Recul du tabagisme au Québec

Le tabagisme a baissé de façon significative au Québec entre 1994 et 1997, indique un sondage dont les résultats ont été rendus publics fin avril.

L’enquête, réalisée par Sondagem, indique que la prévalence du tabagisme (c’est-à-dire le pourcentage de fumeurs) était tombée à 30 % vers la fin de 1997, alors qu’elle était encore de 35 % en 1994 d’après l’Enquête nationale sur la santé de la population. (Dans les deux cas, on parle des 15 ans et plus.) En termes statistiques, l’écart de 5 % entre les deux sondages est significatif.

« Ce sont des résultats très encourageants… étonnants mais encourageants », commente Danièle Brochu, agente de planification et de programmation à la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux de Montréal-Centre, qui a piloté la recherche avec son collègue Jean Gratton. (L’enquête était un projet conjoint de la Direction de la santé publique de Montréal-Centre et du Conseil des directeurs de santé publique de la Conférence des régies régionales.)

Cela reste encore à confirmer, mais la prévalence au Québec semble retrouver sa tendance à long terme, c’est-à-dire la courbe descendante (en particulier pour les hommes) qui avait été interrompue au début des années 1990. De 44,5 % en 1985, la prévalence observée chez les hommes québécois était passée à 40,9 % en 1986, 41,1 % en 1987, 36,3 % en 1989 et 32,8 % en 1991, avant de remonter à 35,7 % en 1992-93 et à 38,5 % en 1994. Chez les femmes, la prévalence a beaucoup moins varié au cours de la même période, les deux extrêmes observés étant de 38,8 % (1987) et 32,3 % (1994).

La baisse constatée par le sondage de 1997 touche autant les hommes (32,7 % contre 38,5 % en 1994) que les femmes (26,7 % contre 32,3 %). Cette diminution pourrait maintenant avoir un effet d’entraînement, puisqu’elle facilitera la tâche aux gouvernements qui souhaitent adopter des mesures antitabagiques et encouragera les fumeurs à redoubler leurs efforts pour cesser de fumer, affirme Mme Brochu.

Ces résultats de recherche contredisent les attentes pessimistes de beaucoup d’intervenants en santé publique, qui prévoyaient une remontée du tabagisme suite à la baisse des taxes de février 1994, surtout compte tenu de la recrudescence spectaculaire du tabagisme juvénile constatée lors d’autres enquêtes.

Dans ce cas-ci, la firme de sondage Sondagem a non seulement vérifié à nouveau sa méthodologie mais aussi inclus une question sur la prévalence dans un de ses sondages omnibus dans le but de confirmer l’exactitude des résultats obtenus. Ce deuxième sondage a donné sensiblement les mêmes chiffres.

Les effets du débat sur la contrebande?

Mme Brochu rappelle qu’il est tout à fait normal de voir des fluctuations dans les taux de prévalence et qu’il faut comparer les résultats de multiples enquêtes sur plusieurs années pour avoir une idée fiable de la tendance à long terme. Son collègue Jean Gratton, conseiller en recherche à la Régie de Montréal-Centre, propose tout de même une hypothèse intéressante : selon lui, ce n’est peut-être pas le dernier résultat obtenu qui constitue une exception, mais bien le taux de 35 % observé en 1994.

À l’époque, le débat public était centré sur la question de la contrebande. On voyait des fumeurs à la télévision insister sur leur « droit » de fumer des cigarettes bon marché, même si cela contrevenait à la loi. On critiquait allègrement les gouvernements, qui auraient perdu le contrôle de la situation par ferveur antitabac ou pour des raisons bassement fiscales.

Dans ce contexte-là, il est possible qu’un nombre d’ex-fumeurs plus élevé que d’habitude aient fait des rechutes, coupant court à la tendance à long terme au Québec, où le tabagisme est en déclin depuis plus de 20 ans. Une fois la crise de la contrebande passée, les autres facteurs – sensibilisation accrue aux méfaits du tabac, conseils des médecins à leurs patients fumeurs, etc. – ont sans doute repris de l’importance.

François Damphousse, directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs, souligne aussi le rôle du débat public engendré par l’adoption de la loi C-71 à Ottawa. « Quand on confronte l’industrie, il y a une réaction de la part des consommateurs de cigarettes », dit-il.

Quoi qu’il en soit, rien ne nous indique que le problème du tabagisme, et en particulier du tabagisme juvénile, soit résolu pour autant. « Trente pour cent, c’est encore énorme », rappelle Mme Brochu. De plus, il est tout à fait possible que le tabagisme juvénile augmente en même temps que le tabagisme adulte diminue, car les divers groupes d’âge réagissent parfois différemment aux stimuli.

Plusieurs études ont ainsi constaté que les fumeurs adolescents, qui disposent en général de moins d’argent et n’ont pas atteint le même degré d’accoutumance à la nicotine, sont beaucoup plus sensibles aux fluctuations de prix que les fumeurs adultes – et moins sensibles aux préoccupations de santé. Donc, si une pression sociale accrue sur les fumeurs ou une meilleure sensibilisation aux méfaits à long terme de l’usage du tabac coïncide avec une baisse significative des prix, on peut très bien avoir des tendances opposées dans les deux groupes démographiques.

Quand on sait en plus que le degré de dépendance à la nicotine semble varier en fonction de l’âge de l’initiation – plus on est jeune lors de la première cigarette, plus on risque une dépendance très forte rendu à l’âge adulte – on comprend qu’il est beaucoup trop tôt pour se croiser les bras si on veut prévenir l’émergence d’une nouvelle génération de fumeurs encore plus accrochés que leurs aînés.

Bonnes nouvelles sur la FTE

Au chapitre de la fumée de tabac dans l’environnement, cette nouvelle étude confirme les tendances observées depuis plusieurs mois : la FTE est effectivement un sujet qui préoccupe beaucoup les Québécois, qui sont généralement favorables à ce qu’on étende l’interdiction de fumer à un plus grand nombre de lieux publics.

Ainsi, 63 % des répondants non fumeurs rapportent qu’ils sont « beaucoup » ou « assez » incommodés par la FTE. Cette exposition est assez généralisée, en particulier dans les « lieux d’activité principale » (milieux de travail, universités, écoles, etc.), où 45 % des non-fumeurs sont exposés.

Contrairement à d’autres sondages qui donnaient une solution mitoyenne au problème de la FTE – l’aménagement de fumoirs à ventilation séparée – cette enquête proposait uniquement la possibilité d’une interdiction complète de fumer dans différents types de lieux publics.

Il n’y a qu’une seule catégorie de lieux pour laquelle se dégage une majorité en opposition à une interdiction complète : les bars. Partout ailleurs, plus de 50 % des répondants se disent « très favorables » ou « plutôt favorables » à une interdiction complète. C’est l’unanimité presque totale pour les garderies (95 %), les hôpitaux (89 %) et les écoles (89 %) ; on descend sous la barre des 70 % lorsqu’on parle des cégeps et des universités (68 %), des milieux de travail (60 %), des centres commerciaux (58 %) et des restaurants (54 %).

Comme on pouvait s’y attendre, il y a une divergence prononcée entre fumeurs et non-fumeurs en ce qui concerne l’éventualité d’interdictions complètes – et le fort appui aux espaces sans fumée est sans doute relié à la proportion de plus en plus importante de non-fumeurs. Parmi les nicotinomanes, on retrouve tout de même des minorités non négligeables prêtes à appuyer de telles interdictions : 39 % pour les milieux de travail, 44 % pour les salons de coiffure, 39 % pour les centres commerciaux et 27 % pour les restaurants.

Surtout, les fumeurs sont très conscients que la FTE est une question de santé. Appelés à commenter l’affirmation « La fumée de tabac des autres est nocive pour tout le monde », 53 % des fumeurs se disent « tout à fait d’accord » alors qu’un autre 29 % est « plutôt d’accord ». De l’avis de 89 % des fumeurs, la FTE est particulièrement nocive pour les enfants; 75 % reconnaissent qu’elle peut « causer un problème de santé chez les non-fumeurs ».

On peut bien sûr se demander comment il se fait que la majorité des fumeurs reconnaissent pleinement la nocivité de la FTE mais qu’ils n’acceptent pas nécessairement qu’on les oblige à sortir pour fumer. Deux hypothèses possibles : ou bien ils se font des illusions sur l’efficacité des systèmes de ventilation pour régler le problème, ou bien ils envisagent la mise sur pied de fumoirs intérieurs.

Ce sondage a été réalisé entre le 24 novembre et le 12 décembre 1997. Pour l’ensemble du Québec, il y a eu 2 002 répondants, dont 1 105 dans l’île de Montréal. On a choisi d’avoir une surreprésentation de répondants montréalais pour obtenir des résultats locaux significatifs, mais tous les pourcentages cités pour l’ensemble du Québec ont été pondérés pour éliminer l’effet de cette surreprésentation.

En ce qui concerne la prévalence du tabagisme au Québec, on peut donc être certain à 95 % qu’elle se situe entre 27,6 à 31,6 %, à comparer à l’intervalle de confiance de 33,3 à 37,5 % calculé pour 1994.

Francis Thompson