Cesser de fumer prolonge la vie, confirme l’étude longitudinale de Richard Doll

Nul doute, la plupart des gens aimeraient bien retarder le moment de leur mort… ce qui est possible, du moins pour les fumeurs. Cesser de fumer à 60, 50, 40 ou 30 ans leur permet de vivre en moyenne 3, 6, 9 ou 10 ans de plus, révèle une étude publiée fin juin dans le British Medical Journal.

En plus de comparer les ravages de la cigarette sur la santé d’hommes ayant fumé à différentes époques, « Mortality in relation to smoking : 50 years’observations on male British doctors » a mesuré la diminution des risques de l’usage du tabac en fonction de l’âge auquel les fumeurs ont réussi à vaincre leur dépendance.

Amorcée en 1951, l’étude, qui s’est échelonnée sur une période de 50 ans, a suivi la trace de 34 439 médecins britanniques nés entre 1851 et 1930. Les données ont été recueillies par le biais de questionnaires postaux envoyés à quelques reprises au fil des ans. Ils portaient entre autres sur le statut tabagique et l’état de santé des participants. La cause du décès des médecins qui ont trépassé a également été répertoriée afin de déterminer si on pouvait l’attribuer au tabagisme.

Les unités d’essais cliniques et d’épidémiologie de l’Université d’Oxford ont supporté la recherche qui a été financée par trois fondations britanniques soit : Medical Research Council, British Heart Foundation et Cancer Research.

Renverser la vapeur

Si on savait déjà que l’arrêt tabagique avait un impact positif sur la santé humaine, les résultats actuels démontrent avec précision que l’abandon du tabac permet aux anciens fumeurs de vivre plus vieux et en meilleure santé. « Cesser de fumer à 50 ans réduit de moitié les méfaits de la cigarette alors que le fait d’arrêter à 30 ans les élimine presque tous », peut-on lire en conclusion de l’étude.

À l’inverse, chez les personnes qui fument tout au long de leur vie, les risques de souffrir d’un cancer du poumon ou d’une maladie pulmonaire obstructive chronique augmentent en fonction du nombre de cigarettes fumées. Les fumeurs réguliers vivent en moyenne 10 ans de moins que les non-fumeurs et leur consommation de tabac conduira la moitié d’entre eux au cimetière.

Sir Richard Doll

Épidémiologiste réputé, Richard Doll est le principal auteur de cette étude longitudinale, réalisée avec trois autres chercheurs de renom (Richard Peto, Jilian Boreham, Isabelle Sutherland). Ancien professeur de médecine à l’Université d’Oxford, le Dr Doll, maintenant âgé de 91 ans, est un pionnier en matière d’épidémiologie. « Il est un des premiers chercheurs à avoir considéré le tabagisme et ses méfaits comme une épidémie majeure n’étant pas provoquée par un agent infectieux mais plutôt par un comportement », précise Bernard Heneman, médecin-conseil à la Direction de santé publique (DSP) de Montréal.

En 1954, alors que 80 % des hommes britanniques fumaient, Richard Doll a publié, avec Austin Bradford Hill, les résultats de la phase préliminaire de la présente étude prouvant, pour la première fois, que la cigarette pouvait causer le cancer du poumon. « À cette époque, personne ne nous croyait, a-t-il confié, fin juin au réseau BBC. Les gens prétendaient qu’il devait y avoir d’autres explications… »

En plus d’associer le tabagisme à ce type de cancer, la recherche actuelle considère qu’il cause plusieurs maladies pulmonaires et cardiaques, de même que les cancers de la bouche, du larynx, du pharynx et de l’oesophage. Une portion de 3 % des causes de mortalité externe est également attribuée au tabac, les fumeurs étant plus nombreux que les non-fumeurs à se placer dans des situations risquées et à boire des quantités excessives d’alcool.

Vu l’importance de cette recherche, le British Medical Journal a réédité sa version intégrale de 1954 dans son numéro du 26 juin 2004. Les précédents résultats de l’étude du Dr Doll (parus 20 ans et 40 ans après le début des investigations) étaient la référence en matière de mortalité reliée au tabagisme et d’augmentation de l’espérance de vie des personnes qui cessent de fumer, indique André Gervais, médecin-conseil à la DSP de Montréal. Afin d’attirer l’attention du public sur ces plus récentes données, le Dr Gervais, a cosigné, avec deux de ses collègues de la lutte antitabac une lettre ouverte parue dans deux quotidiens québécois.

« Année après année, plus de 45 000 Canadiens, dont 13 000 au Québec, meurent prématurément parce qu’ils ont continué à fumer. Arrêter à n’importe quel âge est bon pour la santé et la longévité, même pour celui qui arrête à 60 ans et qui gagne, en moyenne trois ans de vie », font valoir André Gervais, Fernand Turcotte, professeur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, et Stan Shatenstein, rédacteur adjoint de la revue Tobacco Control.

« Le fait d’éviter la cigarette, ou de mettre fin à sa consommation, produit des résultats spectaculaires, une vie dont on peut profiter à pleins poumons et bien longtemps », concluent-ils.

UN PASSÉ ENFUMÉ

Vers la fin du 19e siècle, le tabac est surtout fumé à l’aide de pipes ou sous forme de cigares, la cigarette n’étant que très peu consommée. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que les cigarettes manufacturées connaissent leur véritable essor. Après la Première Guerre mondiale, fumer la cigarette est une habitude à laquelle s’adonnent la plupart des jeunes hommes britanniques. Les soldats qui subissent la conscription durant la Deuxième Guerre mondiale bénéficient même de rabais sur les cigarettes.

Victimes de cette funeste popularité, les fumeurs nés aux alentours de 1920 sont trois fois plus nombreux que leurs congénères non-fumeurs à être morts à un âge prématuré (entre 35 et 69 ans). Au milieu des années 1940, le cancer du poumon devient l’une des principales causes de mortalité en Grande-Bretagne.

Josée Hamelin