Quel marketing pour l’e-cigarette?

Encadre

Imaginez sur les murs de la ville, dans les magazines, dans les dépanneurs ou à la télévision, des publicités où l’on voit des personnages heureux et dans le vent qui tiennent à la main quelque chose ressemblant à une cigarette. Cela ne relève pas de la science-fiction.

Au Québec, les publicités pour les produits du tabac ont définitivement disparu de l’espace public en 2009, mais des publicités très similaires pourraient refaire surface par la voie des cigarettes électroniques. Que mijotent les fabricants et les vendeurs d’e-cigarettes pour convaincre les fumeurs – et les non-fumeurs – de se mettre à l’usage des e-cigarettes (vapotage)?

Pour l’instant, la publicité sur les cigarettes électroniques, ou e-cigarettes, n’est pas encore très développée au Québec. Elle se limite surtout à des annonces à la radio, des prospectus dans les boîtes aux lettres et des étalages en magasin. On la retrouve aussi dans les magazines américains vendus au Québec. Mais certains craignent que la publicité sur les cigarettes électroniques déferle bientôt au Québec et qu’il vaut donc mieux la réglementer plus tôt que trop tard. Aux États-Unis, par exemple, le marché de la publicité magazine pour les e-cigarettes atteignait déjà 48,1 millions de dollars en 2013, selon un rapport du Congrès américain.

« Les grands cigarettiers sont de plus en plus présents sur le marché des cigarettes électroniques, note Geneviève Berteau, analyste des politiques, Questions d’intérêt public, à la Société canadienne du cancer – Division du Québec. Cela est inquiétant, considérant les antécédents des fabricants de tabac dans la promotion auprès des jeunes et leurs stratégies pour maintenir la dépendance des fumeurs. »

Le retour de la liberté et des stars

Il y a une filiation certaine entre les slogans et l’imaginaire des publicités d’il y a quelques années sur les produits du tabac et celles des e-cigarettes. Aux États-Unis et en Europe, ces dernières exploitent les thèmes de la liberté ou de la sexualité, et associent les e-cigarettes à un style de vie « branché ». La cigarette électronique Cherry Bomb de Vapur, par exemple, « est plus qu’une saveur, vante sa publicité : c’est un mode de vie. » Celui qui l’achète « fait tourner les têtes partout où [il] va », « côtoie les restaurants les plus tendance » et « vit sans compromis ». Rien de moins! De tels messages pourraient attirer aussi des non-fumeurs.

Cherry_bomb

La similitude entre les publicités pour les produits du tabac et les cigarettes électroniques fait craindre les promotions croisées. En gros, que des e-cigarettes aux couleurs et au nom des produits du tabac traditionnels fassent indirectement la publicité de ces derniers. Comme les MarkTen de Philip Morris USA, par exemple, désormais offertes en version « traditionnelle » et… « électronique ».

MarkTen
Philip Morris USA commercialise à la fois des MarkTen combustibles et électroniques. C’est une forme de promotion croisée.
Moins dommageables et utiles pour la cessation

Les publicités sur les e-cigarettes utilisent aussi des arguments spécifi ques à ces produits. Rachel Grana et Pamela Ling ont analysé une soixantaine de sites Web qui en vendent. Dans leur article, paru en 2014 dans l’American Journal of Preventive Medecine, elles révèlent que 95 % d’entre eux attribuent de manière implicite ou explicite des qualités « santé » aux cigarettes électroniques et que 64 % soutiennent que les e-cigarettes aident la cessation tabagique. Ces allégations sont toutefois exagérées puisque les conclusions des différentes études scientifiques demeurent incertaines.

Le marketing, toutefois, ne s’arrête pas à la publicité. Il touche aussi le placement d’un produit, son prix et sa distribution. En somme, c’est une méthode puissante pour rendre les produits aussi attirants et accessibles que possible. Ainsi, certains fabricants modifient le produit lui-même pour attirer le consommateur. Les e-cigarettes VitaCig, par exemple, sont additionnées de vitamines; le Supersmoker Bluetooth permet de répondre au téléphone ou de jouer de la musique en se connectant au système Bluetooth; la Smokio enregistre le nombre de bouffées aspirées ou l’amélioration des signes vitaux suite à l’abandon du tabac « traditionnel ». Enfin, certaines chaînes québécoises comme la Vape Shop offrent même des cartes de fidélité.

Les groupes qui luttent contre le tabac s’inquiètent des messages véhiculés par les publicités pour les e-cigarettes, mais aussi des différents publics qui les reçoivent. En effet, bien des fabricants d’e-cigarettes jurent qu’ils ne s’adressent qu’à des adultes, mais leurs campagnes atteignent vraisemblablement des mineurs. C’est du moins ce que constate une étude du Congrès américain sur neuf marques bien connues de cigarettes électroniques, dont blu et NJOY. Tout comme les publicités pour les produits du tabac d’autrefois, certaines publicités pour des e-cigarettes sont diffusées lors d’événements joignant les jeunes, comme le Super Bowl ou le Grand Prix. Une autre étude du Congrès note qu’on retrouve aussi ces publicités dans les magazines que lisent les jeunes, comme Rolling Stone. Au Québec, les publicités radio pour les e-cigarettes atteignent aussi un jeune public.

E-cigarette

Un minimum : l’assujettissement à la Loi sur le tabac

Comment réagir? Les groupes de santé demandent que la cigarette électronique soit assujettie à la Loi sur le tabac québécoise. « Elle permet un encadrement minimum en termes de marketing : pas de publicité destinée aux jeunes, pas de publicité associant les produits du tabac à un style de vie et aucune commandite, entre autres », énumère la Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT).

En somme, la loi restreint grandement la publicité sur les produits du tabac, mais elle ne l’interdit pas complètement. En fait, la loi précise qu’elle permet la publicité « dans des journaux ou magazines écrits dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs. » Ces publicités sont toutefois assujetties à certaines conditions, dont celle d’afficher une mise en garde portant sur les effets nocifs du tabac sur la santé. Les publicités fournissant des « renseignements factuels sur un produit du tabac, y compris sur le prix ou sur [ses] caractéristiques intrinsèques » sont aussi permises à certaines conditions.

La loi québécoise interdit aussi complètement la publicité indirecte sur les produits du tabac. Celles sur des cigarettes électroniques en seraient un bon exemple, selon un avis juridique du cabinet Fasken Martineau obtenu par la CQCT. Les avocats soulignent notamment « le mot ‘‘cigarette’’ [qui] renvoie directement aux produits du tabac », « la forme longiligne de la ‘‘cigarette’’ électronique, similaire à celle de la cigarette traditionnelle » et la « volute de vapeur produite [qui] ressemble à celle de la fumée d’une cigarette. »

Dans l’Union européenne, la nouvelle directive sur les produits du tabac invite les pays membres à interdire dès 2016 les publicités pour les e-cigarettes dans les médias écrits, à la radio, dans les communications audiovisuelles commerciales et les différentes commandites.

Anick Perreault-Labelle