Que sait-on sur les liens entre le tabagisme et la COVID-19?

Jeune femme allumant une cigarette avec son masque sous le menton

Les liens entre le tabagisme et la COVID-19 ont fait couler beaucoup d’encre. Des hypothèses ont notamment été formulées pour expliquer le risque accru que courent les fumeurs de souffrir d’une forme sévère de cette maladie qui s’attaque au système respiratoire, ou pour mettre en lumière l’effet protecteur que pourrait avoir la nicotine. Face à ces hypothèses, que doit-on comprendre de la relation entre le tabagisme et la COVID-19? L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) s’est penché sur la question.

La COVID-19 est très meurtrière. Le tabagisme aussi! Alors que la pandémie du coronavirus a fait plus d’un million de morts dans le monde en près d’un an, le tabagisme en fait huit millions par année. C’est exact : huit millions. Par année! Au Québec, la COVID-19 a tué jusqu’à présent plus de 7000 personnes, alors que tous les ans, le tabagisme en tue plus de 12 000. Face à des chiffres aussi saisissants, la lutte contre le tabac sous l’ère du coronavirus n’est pas optionnelle, mais nettement nécessaire. Tout comme l’est l’étude de la relation entre ces calamités qui engendrent toutes deux des problèmes cardiaques et respiratoires. En effet, comment le tabagisme et le coronavirus s’influencent-ils l’un l’autre? L’INSPQ a examiné cette question en publiant en septembre 2020 des résumés d’écrits scientifiques particulièrement pertinents à propos des répercussions du tabagisme sur la COVID-19, et vice versa.

Les répercussions du tabagisme sur la COVID-19
Le tabac comme facteur de risque

Il existerait un lien de plus en plus évident entre le tabagisme et une forme sévère de la COVID-19. C’est ce que suggère l’une des plus grandes méta-analyses sur la question à ce jour, celle de Reddy et collègues (septembre 2020). Regroupant 47 études, elle révèle que, d’un point de vue statistique, les patients consommant ou ayant consommé des produits du tabac seraient significativement plus à risque que les non-fumeurs de présenter une forme sévère de la COVID-19, de nécessiter la ventilation mécanique durant leur hospitalisation ou de mourir des suites de la maladie. De plus, une récente étude de l’INSPQ indique que presque tous les Québécois décédés de la COVID-19, et 87 % de ceux qui ont été hospitalisés pour cette maladie souffraient de comorbidités, dont les plus fréquentes étaient les maladies cardiaques et respiratoires, deux types d’affections dont le tabagisme est le premier facteur de risque évitable.

À ce jour, la COVID-19 a tué plus de 7000 Québécois alors que tous les ans, plus de 12 000 d’entre eux meurent du tabagisme.

En ce qui concerne l’utilisation des produits du vapotage, les études sont encore insuffisantes pour statuer sur leurs liens possibles avec la COVID-19. Cependant, de plus en plus de chercheurs signaleraient des effets délétères de ces produits, particulièrement pour le système respiratoire. Selon un sondage en ligne mené auprès de plus de 40 000 adolescents et jeunes adultes américains, ceux fumant à la fois des cigarettes de tabac et des cigarettes électroniques seraient beaucoup plus susceptibles de présenter des symptômes et de recevoir un diagnostic du coronavirus. Ces résultats doivent cependant être interprétés avec prudence, note l’INSPQ.

La nicotine comme facteur de protection?

En revanche, des chercheurs postulent que la nicotine pourrait avoir un effet protecteur contre la COVID-19. Leur hypothèse veut qu’en se liant à des récepteurs clés, la nicotine aurait un effet anti-inflammatoire contre le coronavirus et pourrait en constituer un traitement. Bien que prometteuses, ces données sont préliminaires. Dans les circonstances, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié en mai dernier un énoncé mentionnant que « les informations dont on dispose sont actuellement insuffisantes pour confirmer tout lien entre le tabac ou la nicotine et la prévention ou le traitement de la COVID-19 ». Cet avertissement de l’OMS est bienvenu quand on sait qu’outre la nicotine, la fumée des produits du tabac contient environ 7000 composantes chimiques dont au moins 70 sont cancérigènes. En outre, d’autres molécules semblent jusqu’à présent plus intéressantes que la nicotine pour contrer la COVID-19.

Statistiques tabagisme Covid-19
Source : Jeroen Bommelé et al., The double-edged relationship between COVID-19 stress and smoking: Implications for smoking cessation, Tobacco Induced Diseases, juillet 2020.
Les répercussions de la COVID-19 sur le tabagisme
La consommation de tabac

Qu’en est-il maintenant des effets de la COVID-19 sur le tabagisme? Se pourrait-il, par exemple, que la pandémie ait des répercussions sur la consommation de tabac? À ce propos, l’INSPQ fait état de résultats allant dans deux directions différentes. En effet, selon une étude de Bommelé et collègues (2020), 19 % des fumeurs ont dit consommer davantage de tabac en raison de la COVID-19, tandis que 14 % ont dit en consommer moins. Les raisons évoquées par les fumeurs ayant augmenté leur consommation sont diverses. Parmi celles-ci, les plus populaires sont l’ennui (49 %), le stress (43 %), la solitude (37 %) et une fréquentation diminuée d’endroits où il est interdit de fumer (24 %). Pour leur part, les fumeurs ayant réduit leur consommation ont invoqué les motifs suivants : vivre une vie plus saine (32 %), la solitude, une nouvelle fois (27 %), avoir des poumons en meilleure santé (21 %) et mieux récupérer advenant une infection au coronavirus (19 %). À Montréal, un sondage Web réalisé par l’INSPQ et analysé par la Direction régionale de santé publique de Montréal arrive à des résultats semblables.

La motivation à renoncer au tabac

Les données actuelles démontrent donc que les fumeurs réagissent différemment face à la pandémie : certains fument davantage, d’autres fument moins. En ce qui concerne la motivation à abandonner le tabagisme, l’étude de Bommelé et collègues (2020) révèle des résultats tout aussi binaires : depuis la pandémie, 16 % des fumeurs ont rapporté être plus motivés à cesser de fumer, contre 12 % qui le sont moins. Une autre étude révèle pour sa part qu’avant la pandémie, environ 10 % des fumeurs australiens et britanniques avaient l’intention de cesser de fumer au cours du mois à venir, une proportion qui aurait plus que doublé depuis la pandémie. Ce n’est pas tout : parmi les participants de cette étude, 49 % souhaitaient bénéficier d’un programme de cessation tabagique par messagerie texte et 61 % auraient aimé pouvoir suivre des thérapies de remplacement de la nicotine (TRN). En tenant compte de ces données, l’INSPQ souligne l’importance de faciliter l’accès à du soutien d’arrêt tabagique à distance afin de favoriser les tentatives de renoncement au tabac. Un tel propos nous amène à jeter un coup d’œil sur les divers services de soutien d’arrêt tabagique offerts à la population québécoise en ces temps de pandémie.

Les services de soutien d’arrêt tabagique

Évidemment, aucun service aux citoyens n’échappe entièrement aux retombées de la COVID-19. Ainsi, depuis mars 2020, les programmes de soutien à la cessation tabagique offerts en présentiel ont dû ralentir. Au Québec, c’est le cas de nombreux centres d’abandon du tabagisme (CAT) et de groupes d’entraide sous l’initiative de l’Association pulmonaire du Québec, qui ont dû transformer leurs services en personne en consultations téléphoniques ou virtuelles. « Il existe également d’autres options efficaces de soutien à l’arrêt tabagique », souligne Valérie Hamel, chef d’équipe de la ligne J’ARRÊTE. Cette dernière invite notamment les fumeurs à se tourner vers les services J’ARRÊTE par téléphone, par texto (SMAT) ou en ligne, sur le site Web www.jarrete.qc.ca. « Et aux fumeurs n’ayant pas accès à Internet, on peut envoyer des documents de cessation tabagique par la poste », précise-t-elle. Là ne s’arrêtent pas les recours des fumeurs : plusieurs d’entre eux peuvent solliciter l’aide de leur médecin et de leur pharmacien afin de se procurer des TRN qui pourront leur être remboursées à certaines conditions. Ainsi, que la pandémie sévisse ou non, l’aide à l’abandon tabagique existe bel et bien et gagne à se répandre. D’ailleurs, en avril 2020, un numéro spécial des publications Cochrane portant sur la COVID-19 listait des options efficaces et pertinentes de renoncement au tabac en contexte de pandémie. Parmi celles-ci, mentionnons le soutien comportemental (notamment le counseling téléphonique, les interventions interactives et personnalisées sur Internet et les programmes de messagerie texte), les TRN et la réduction progressive du nombre de cigarettes.

L’énorme fardeau du tabagisme et de la COVID-19

Bien que la COVID-19 et le tabagisme soient deux problématiques différentes, ce sont des fléaux ayant des conséquences graves sur la santé des gens, sur les divers réseaux de la santé ainsi que sur l’économie du monde entier. L’INSPQ encourage donc les gouvernements, les professionnels de la santé ainsi que les citoyens à poursuivre leurs efforts. Après tout, comme le rappelle Michèle Tremblay, médecin-conseil à l’INSPQ et coautrice des publications sur le sujet, « les différentes législations adoptées depuis les 20 dernières années ont permis des gains notables au Québec, où la prévalence du tabagisme a décliné de façon appréciable ». Malgré tout, ajoute-t-elle, « le nombre annuel de décès dus au tabac demeure extrêmement élevé et c’est pourquoi la lutte doit se poursuivre, même en temps de pandémie. » Heureusement, à son avis, la société québécoise semble aller dans ce sens, particulièrement les acteurs de la santé publique œuvrant dans le domaine de la lutte contre le tabagisme qui, « malgré le fait qu’ils soient mobilisés depuis plusieurs mois à soutenir le réseau de la santé dans différentes activités visant à contrôler la COVID-19, sont tous très motivés à poursuivre leur travail pour réduire l’immense fardeau du tabac ». N’oublions surtout pas que contrairement au cas de la COVID-19, aucun vaccin n’existe contre le tabagisme…

Catherine Courchesne