Quand fumer accompagne la détresse psychologique

Homme assis détresse psychologique dans une chambre

Le tabagisme affecte de manière disproportionnée les personnes ayant un trouble mental. Est-il possible de les aider à se libérer de cette dépendance? L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a publié deux documents sur le sujet : un portrait statistique dont les données proviennent de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2015-2016 ainsi qu’une synthèse des connaissances sur les interventions de renoncement. En voici les faits saillants.

Selon l’ESCC, quelque 1,3 million de Québécois adultes faisaient usage de la cigarette en 2015-2016, soit environ 18 % de la population. Parmi les fumeurs, des groupes particuliers sont surreprésentés. C’est le cas des personnes aux prises avec un trouble mental ou un trouble lié à l’utilisation de substances, chez qui la prévalence du tabagisme atteignait presque le double de celle qu’on retrouve dans la population générale (32 % c. 18 %). Quelles en sont les conséquences? Ces personnes voient non seulement leur qualité de vie atteinte, mais encore sont-elles plus susceptibles de contracter des maladies liées au tabagisme et de mourir prématurément. Plus précisément, alors que les fumeurs perdent en général 10 années potentielles de vie, les gens souffrant de problèmes de santé mentale en perdent jusqu’à 25.

Quelques pistes d’explication

Pour expliquer cette prévalence du tabagisme chez les personnes souffrant d’un trouble mental, la littérature scientifique analysée par l’INSPQ soutient trois hypothèses principales :

  1. les personnes fument afin d’alléger leurs symptômes dépressifs ou anxieux;
  2. la nicotine affecte leurs circuits neurologiques, ce qui augmente leur susceptibilité aux différents stress;
  3. des facteurs de risque génétiques ou environnementaux communs au tabagisme et à la santé mentale les poussent à fumer, tels que la défavorisation socioéconomique.

Bien que ces hypothèses soient intéressantes, une question demeure : comment aider cette clientèle à renoncer au tabac?

Des croyances limitantes

Diverses croyances non fondées perdurent quant à la capacité qu’ont les personnes vivant avec un trouble mental à renoncer au tabac, note l’INSPQ. Les plus répandues sont qu’elles ne veulent pas arrêter de fumer, ne peuvent pas arrêter de fumer, ou encore que l’arrêt tabagique nuirait à leur rétablissement mental. Or, les recherches actuelles démontrent le contraire, d’où se dégage l’intérêt d’offrir à cette clientèle des interventions d’abandon tabagique ciblées et adaptées à leur réalité.

Des interventions faites sur mesure

Selon les données scientifiques examinées par l’INSPQ, des interventions adaptées aux besoins de cette clientèle augmenteraient leur chance de succès. Comme exemples, on peut mentionner une offre de counseling intensif de plusieurs séances, une pharmacothérapie tenant compte du diagnostic psychiatrique établi et un suivi d’au moins un mois afin de favoriser l’abstinence à long terme. En ce qui concerne la pharmacothérapie, quelques constats émergent, et notamment celui que chez les fumeurs aux prises avec un trouble mental grave (ex. : schizophrénie ou trouble bipolaire), les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN), la varénicline et le bupropion sont efficaces à trois mois, alors que la varénicline est également efficace à six mois.

Des pistes d’action prometteuses

Les ouvrages scientifiques et la littérature grise ayant été recensés font ressortir des perspectives d’actions prometteuses, parmi lesquelles se retrouve l’obligation des établissements de santé de devenir des environnements sans fumée, ce qui représente une occasion en or d’offrir du soutien à tous les patients fumeurs, qu’ils soient atteints ou non de troubles mentaux. L’expérience fructueuse de l’Institut Philippe Pinel montre qu’une telle démarche est possible, tout comme celle de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Également, pour les fumeurs ayant un trouble mental modéré qui ne sont pas hospitalisés, il existe des avenues encourageantes comme les médecins de famille, les psychologues en clinique privée, les centres d’abandon du tabagisme (CAT) et les services J’ARRÊTE. Selon Marie Jacques, responsable de l’équipe Montréal sans tabac à la Direction régionale de santé publique de Montréal, il faut toutefois aller plus loin. « Si l’on se compare à ce que fait depuis plus de 15 ans le Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto (CAMH) en tabagisme et santé mentale, il devient évident que le Québec a pris du retard dans l’adaptation de ses services de cessation aux besoins de cette clientèle », affirme-t-elle.

L’INSPQ dégage pour sa part plusieurs perspectives d’actions concrètes, notamment :

  • Identifier les difficultés qui se présenteront lorsque le fumeur cessera de fumer ainsi que des stratégies à déployer pour qu’il demeure abstinent;
  • surveiller les symptômes psychiatriques chez les fumeurs qui renoncent au tabac;
  • intégrer progressivement la cessation tabagique aux autres activités thérapeutiques;
  • convertir les fumoirs à d’autres usages, une fois ceux-ci fermés.

Il reste à souhaiter que ces différentes avenues et perspectives soient fortement mises de l’avant au sein de la société québécoise pour répondre aux besoins de la clientèle cible et qu’elles recueillent, bien sûr, l’investissement nécessaire des divers acteurs concernés, dont les gouvernements.

Catherine Courchesne