Le nombre de cigarettes taxées vendues au Québec a bondi de 17,2 % en 2010

Deuxième année de suite d’augmentation après 12 ans de diminution
En deux ans, le volume des ventes a crû de 29,8 %
Une compilation annuelle de Santé Canada vient confirmer un phénomène dont les médias ont peu parlé : les dépanneurs et autres points de vente légaux des produits du tabac ont généralement fait de très bonnes affaires au Québec en 2009 et 2010 avec la vente de cigarettes.

Le volume des ventes est passé de 5,87 milliards de cigarettes en 2008 à 6,50 milliards d’unités en 2009 (+10,8 %), puis à 7,62 milliards en 2010 (+17,2 %), pour un gain cumulatif de 29,8 % par rapport à deux ans plus tôt. Il faut remonter à 2004 pour trouver un nombre de cigarettes taxées vendues au Québec qui était supérieur à celui de 2010. Le volume des ventes légales dans la province francophone était en diminution année après année entre 1996 et 2008.

M. Michaël Ha, 20 ans, est satisfait de la hausse du marché légal du tabac pour le dépanneur de son père, mais il ajoute que « fumer n’est pas super bon pour la santé ».

Au Canada dans son ensemble, des tendances similaires sont observables.  Après une diminution continue entre 1996 et 2008, le volume des ventes dans le réseau de distribution où les taxes sont perçues a augmenté de 3,9 % en 2009, puis de 10,6 % en 2010, pour s’établir à 31,65 milliards d’unités.

Au Canada comme au Québec, il faut remonter à 1994 pour trouver une année où l’augmentation du volume des ventes de cigarettes taxées était plus forte qu’en 2010. En février 1994, les gouvernements d’Ottawa et de certaines provinces, dont le Québec, avaient rabaissé de moitié le taux de taxation sur les cigarettes, afin de couper radicalement l’herbe sous le pied du marché noir alors florissant. En 2010, les taxes n’ont baissé nulle part et ont augmenté dans certaines juridictions canadiennes. 

Deux ans et plus de recul du marché noir

Rob Cunningham, qui est analyste des politiques de santé publique pour la Société canadienne du cancer à Ottawa, et François Damphousse, du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs, croient que c’est principalement la réduction en volume de la contrebande qui explique la remarquable remontée en 2010 du nombre des cigarettes écoulées dans les points de vente légaux. 

Les résultats annuels de l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (ESUTC) de 2010, sortis le 7 septembre, indiquent que la consommation moyenne des fumeurs québécois n’a pas changé significativement par rapport à 2009. Tant les résultats de l’ESUTC que ceux de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2010, sortis en juin, indiquent une absence de changement significatif en 2010 du taux de tabagisme au Québec. 

Étant donné que la population est croissante, la stagnation du taux de tabagisme se traduit par croissance de 4,7 % du nombre de fumeurs (170 000 de plus) au Québec, selon l’ESCC. Cunningham et Damphousse concluent donc que cette sombre nouvelle du côté de la demande ne saurait suffire à expliquer la ruée en 2010 sur les cigarettes taxées. Les deux hommes estiment plutôt que plusieurs fumeurs qui avaient l’habitude de s’approvisionner sur le marché noir sont revenus au marché légal en 2010, même s’ils ont dû payer plus cher leurs achats. Cela devrait en inciter à décrocher à plus long terme. Les deux défenseurs de la santé publique jugent que le recul de la contrebande en 2010 est un encouragement pour les pouvoirs publics à continuer leurs efforts contre le marché noir, afin de restaurer l’effet dissuasif de la taxation sur la quantité de tabac consommée et la prévalence du tabagisme.

Dans leurs rapports annuels de 2010, les multinationales British American Tobacco, qui possède Imperial Tobacco Canada (ITC), et Philip Morris International, qui possède Rothmans Benson and Hedges (RBH), ont toutes deux crédité la lutte anticontrebande des gouvernements, et non pas la qualité de leurs produits, pour leur nombre accru de cigarettes vendues toutes taxes comprises en terre canadienne. ITC et RBH sont les deux principaux fournisseurs de nicotine des fumeurs au pays. Dans son rapport financier pour le premier trimestre de 2011, sorti le 21 avril, comme dans plusieurs de ses rapports trimestriels précédents, Philip Morris International parlait de nouveau d’une croissance du volume des ventes au Canada « reflétant principalement l’application plus rigoureuse de mesures pour réduire les ventes en contrebande depuis le milieu de 2009 ».

Au Québec, l’expansion des ventes légales semble s’être poursuivie au deuxième trimestre de 2011. Florent Gravel, président de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA), parle de 7 % de croissance, « principalement en volume », observée auprès de ses membres qui vendent des produits du tabac. L’ADA regroupe environ 9000 propriétaires d’épiceries et commerces de détail dans le monde de l’alimentation au Québec.

L’hiver dernier, l’ADA avait déjà souligné la forte augmentation des ventes de cigarettes au Québec qu’elle a observée en 2010, augmentation qu’elle trouvait particulièrement marquée dans les régions administratives comme l’île de Laval et l’île de Montréal, ainsi que dans la ville de St-Jérôme, où des brigades policières spécialisées, au sein des corps de police locaux, combattaient (et continuent de combattre) les ventes illégales de tabac dans les quartiers.  

En 2011, en conséquence du budget 2011-2012 du gouvernement du Québec adopté par l’Assemblée nationale en mars, des agents de police additionnels ont été affectés à temps plein à la lutte contre la revente locale de cigarettes non taxées, notamment à Québec, à Saguenay et à Sherbrooke.

Pendant qu’étaient constituées ou reconstituées les petites équipes spécialisées au sein de corps de police locaux, deux escouades de la Sûreté du Québec, dont l’une active en Montérégie et l’autre dans Lanaudière, ont vu leur effectif augmenté dans le même but.

Tous ces renforts policiers sont présentement à l’oeuvre. Les enquêtes locales anticontrebande sont désormais financées par un programme des ministères des Finances, du Revenu et de la Sécurité publique surnommé ACCES, pour Actions Concertées pour Contrer les Économies Souterraines.

Florent Gravel de l’ADA reproche au gouvernement du Québec de ne pas mieux publiciser les mesures efficaces qu’il prend pour dissuader la contrebande.

Des saisies massives

Il n’y a rien d’étonnant à ce que des fumeurs jadis présents sur le marché noir achètent de nouveau leur tabac dans les épiceries et les dépanneurs, lorsqu’on considère le volume des saisies de produits du tabac non taxés, nettement plus élevé au cours des dernières années.

Pierre Croteau