Montrer pourquoi on taxe le tabac et le taxer davantage

De plus en plus d’États sur la planète proclament, dans leurs lois fiscales, que le but de la taxation du tabac est de dissuader le tabagisme, en plus d’allouer par avance à la lutte contre ce fléau sanitaire une partie ou la totalité des fonds prélevés.

En plus d’être une occasion pour les spécialistes de faire état de cette tendance et de l’analyser, la 14e Conférence mondiale sur le tabac OU la santé, tenue à Mumbai en mars, leur a permis de souligner de nouveau la pertinence d’une hausse des taxes sur le tabac dans le monde, malgré la persistance de la contrebande, cette vieille ennemie.

Intégrer fiscalité et politiques de santé

Entre la 13e Conférence mondiale sur le tabac OU la santé, à Washington en juillet 2006, et le rendez-vous indien de cette année, la Thaïlande, la Mongolie et la Roumanie se sont toutes dotées d’une politique qui attribue clairement un but de santé publique à la législation fiscale concernant le tabac. Dans la fédération canadienne, par contraste, les lois fiscales continuent de ne rien dire du but des taxes sur le tabac, à moins qu’il ne soit précisé qu’elles servent bêtement à alimenter le Trésor public, au même titre, par exemple, qu’une taxe de vente générale. Au cours de notre histoire, lorsqu’une taxe sur le tabac a été associée à un financement quelconque, ce n’était pas à la lutte contre le tabagisme.

Clarifier le but de la taxation n’est cependant qu’un des avantages d’une vraie politique fiscale antitabac, comme l’ont montré Ayda Yurekli, Hana Ross et Vinayak Prasad, lors de la Conférence de Mumbai. Yurekli est économiste à Genève pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Ross est professeure d’économique à l’Université d’État de la Géorgie à Atlanta, et Prasad est le directeur national de la santé publique au ministère indien de la Santé et du Bien-être familial.

De nombreux États, au lieu de verser la recette des taxes sur le tabac dans un fonds consolidé, l’affectent par avance à des objectifs de santé publique en matière de tabagisme. Figurent parmi ces États l’Australie, l’Équateur, la Finlande, l’Islande, l’Indonésie, la Corée du Sud, la Malaisie, le Népal, le Pérou, la Pologne et le Portugal, ainsi que des États de l’Union américaine, comme la Californie. Une telle politique n’est pas seulement plus populaire auprès de l’électorat, mais renforce les mesures de lutte contre le tabagisme.

D’ordinaire, l’hypothécation d’une taxe, c’est-à-dire son affectation légale à une dépense particulière, avant même que le budget annuel de l’État soit voté, est une pratique critiquée par les spécialistes des comptes publics, qui recherchent la transparence comptable. Des économistes font aussi valoir que l’hypothécation des taxes peut conduire au sous-financement de certaines missions des gouvernements, certaines missions qui sont mal aimées mais qu’il faut tout de même financer par des impôts.

Toutefois, comme les participants à la Conférence de Mumbai se le sont fait rappeler, ces principes généraux n’ont pas empêché un organisme des Nations Unies comme la Banque mondiale, en 2001, d’appuyer clairement la pratique d’une taxation hypothéquée pour le tabac. La Banque mondiale, de même que l’OMS, s’entendent pour dire que dans le cas de la taxation du tabac, les avantages d’une taxation hypothéquée l’emportent largement sur les coûts et inconvénients.

Aider en utilisant les fonds

Les économistes Ross et Yurekli, ainsi que le doyen de l’École de santé publique de l’Université du Michigan, le Dr Kenneth E. Warner, qui participait à d’autres discussions sur la fiscalité du tabac à Mumbai, n’ont pas seulement parlé du besoin d’intensifier le freinage fiscal de la consommation. Ces trois spécialistes ont aussi plaidé pour que les taxes du tabac soient utilisées pour aider les groupes les moins favorisés de la société.

Certes, le bénéfice d’arrêter de fumer est proportionnellement plus grand pour un gagne-petit que pour une personne riche. Cependant, des subventions pour augmenter les services d’arrêt tabagique et l’offre de nicotine médicinale, par exemple, peuvent aider plus de fumeurs à réussir leur sevrage. Des programmes favorisant la reconversion professionnelle des travailleurs employés dans la culture du tabac ou les manufactures de cigarettes peuvent faciliter le changement social.

Contre-exemple chinois

Même si la Chine a ratifié en 2005 la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, le gouvernement de Pékin s’est montré depuis longtemps très hésitant à taxer davantage les produits du tabac, comme l’a observé Teh-wei Hu, professeur émérite d’économie de la santé à l’Université de Californie à Berkeley. À Mumbai, lors du colloque sur la fiscalité du tabac, l’économiste californien a passé en revue une série de facteurs expliquant cette réticence du gouvernement chinois. L’ancien Empire du Milieu est devenu le plus grand producteur de feuilles de tabac et de cigarettes de la planète. En République populaire de Chine, c’est l’État lui-même qui possède la totalité de l’industrie du tabac, laquelle procurait au gouvernement central 7,6 % de tous ses revenus en 2005. Les gouvernements provinciaux touchent aussi leur part, ce qui multiplie les défenseurs du statu quo dans le pays. Aux facteurs politico-économiques s’ajoutent des freins culturels. Ainsi, par exemple, il y est courant et encore perçu comme normal d’offrir des cigarettes en cadeau.

La Chine est un pays durement frappé par le tabagisme, qui y fait déjà un million de morts par année, et cause des maladies chez des millions d’autres.

Robert Walsh, directeur exécutif du Conseil canadien pour le contrôle du tabac