L’industrie américaine parvient à tuer le projet de loi McCain

Moyennant une campagne publicitaire sans précédent, les cigarettiers américains ont réussi de justesse à empêcher l’adoption du projet de loi antitabac du sénateur John McCain.

Les mesures proposées par le sénateur républicain de l’Arizona et appuyées par la minorité démocrate au Sénat comprenaient, entre autres, une hausse de prix de 1,10 $ U.S. par paquet de 20 cigarettes (l’équivalent de plus de 2 $ Can. par paquet de 25) et une interdiction complète de la publicité. Contrairement à l’entente « globale » négociée entre les procureurs généraux des États et l’industrie du tabac il y a un an, le projet de loi McCain dans sa version finale n’accordait aucune immunité à l’industrie face aux recours collectifs.

Mais finalement, la majorité républicaine au Sénat n’a pas pu, ou n’a pas voulu, résister à l’immense campagne de pression des cigarettiers, qui ont dépensé environ 40 millions $ U.S. en publicité pour convaincre les électeurs que le projet de loi McCain était bien plus une mesure fiscale qu’un plan d’action en matière de santé publique. Reprenant un thème cher à la droite américaine, l’industrie du tabac a accusé McCain et ses alliés démocrates de se servir du tabagisme juvénile comme prétexte pour justifier une gigantesque hausse de taxes et la mise sur pied de nouveaux programmes gouvernementaux.

Le leader parlementaire des républicains, le sénateur Trent Lott, a donné le 17 juin le coup de grâce à son collègue McCain en forçant le vote à propos d’une question de procédure, sur laquelle M. McCain avait besoin de 60 voix (sur 100 sénateurs) afin d’éviter que son projet de loi ne meure au feuilleton. Il n’aura manqué que trois voix au sénateur arizonien, qui a reçu l’appui de 43 démocrates et de 13 de ses collègues républicains.

La Maison Blanche a réagi fortement à la défaite du projet de loi McCain, accusant le parti républicain de s’être laissé acheter par l’industrie du tabac. Le président Bill Clinton a promis d’en faire un enjeu électoral lors des élections législatives de novembre prochain.

Le leader parlementaire des démocrates au Sénat, Tom Daschle, est allé jusqu’à accuser la majorité républicaine d’avoir « fusionné avec RJR », la compagnie de tabac qui a mené la campagne contre le projet de loi.

Incident de parcours?

Pourtant, l’heure n’était pas au pessimisme chez les organismes de santé, qui s’attendent encore à ce que l’impopularité grandissante de l’industrie du tabac force l’adoption de mesures antitabac.

En faisant avorter le plan McCain, les cigarettiers se retrouvent à la case départ, souligne David Sweanor, avocat à l’Association pour les droits des non-fumeurs qui suit de près les développements chez nos voisins du sud. C’est l’industrie qui a cherché à en arriver à une entente globale avec les procureurs généraux des États pour mettre fin aux poursuites contre elle; ces procédures reprendront maintenant de plus belle.

À en juger par la réaction des démocrates, ceux-ci entendent se servir du vote du 17 juin pour poursuivre leurs attaques sur les républicains au sujet du financement des campagnes et des partis politiques. Dans l’entourage du président Clinton, on se rappelle encore avec amertume comment les grandes sociétés d’assurance, en collaboration avec les républicains, sont parvenues en 1994 à tuer le plus important projet du premier mandat Clinton, la mise en place d’un système universel d’assurance-maladie.

À l’époque, une campagne publicitaire de 14 millions $ U.S. avait réussi à convaincre la majorité des Américains, pourtant favorables au départ au principe d’un régime universel, que la réforme Clinton représentait une menace inacceptable pour la liberté de choix en matière de soins de santé. Cette fois-ci, la campagne trois fois plus importante des cigarettiers a soulevé des doutes chez les électeurs au sujet de la motivation des partisans du projet de loi McCain, mais n’a pas changé le cynisme très fort qui prévaut à l’égard des alliés politiques de l’industrie du tabac.

Pour contrer l’offensive démocrate, les républicains n’ont donc d’autre choix que de présenter leur propre législation antitabac.

C’est déjà chose faite : un autre sénateur républicain, Orrin Hatch, a dévoilé, en collaboration avec la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, un nouveau projet de loi qui se rapproche beaucoup plus de l’entente globale de juin 1997. (Le projet de loi Hatch-Feinstein prévoit une augmentation plus modeste du prix des cigarettes et une limitation de la responsabilité civile de l’industrie.)

À la Chambre des représentants, le président républicain Newt Gingrich promet un projet de loi mieux « ciblé », ne comportant aucune augmentation de prix, mais prévoyant tout de même une gigantesque campagne de publicité contre le tabagisme juvénile… et des ressources supplémentaires pour la fameuse « guerre contre les drogues » (illicites).

M. Gingrich suit sans doute de près les sondages d’opinion, qui indiquent que les drogues illicites arrivent toujours en tête de liste lorsqu’on demande aux parents américains d’identifier les dangers qui pèsent sur leurs propres enfants – en dépit de toutes les statistiques montrant que la nicotine est de loin la menace numéro un pour la santé publique. L’industrie du tabac a beau être très mal vue aux États-Unis, les républicains ont beau avoir la réputation d’être beaucoup trop laxiste à son égard, la stratégie de M. Gingrich pourrait fort bien marcher.

D’une façon ou d’une autre, la question du tabagisme restera une préoccupation politique majeure aux États-Unis au cours des prochains mois.

Francis Thompson