Les recours collectifs québécois progressent lentement mais sûrement

En 1998, deux groupes de plaignants déposaient, à quelques mois d’intervalle, des requêtes en vue d’intenter des poursuites en nom collectif contre les trois principales compagnies de tabac canadiennes.

Alors que le premier représente les fumeurs québécois devenus, malgré eux, dépendants de la nicotine, le second inclut ceux qui souffrent d’emphysème ou d’un cancer du poumon, du larynx ou de la gorge causé par leur tabagisme. Près de dix ans plus tard, les procédures suivent leur cours, lentement mais sûrement. Et fait plutôt encourageant, les cigarettiers ont échoué dans leur dernière tentative visant à ralentir leur rythme.

À la mi-mai, le juge Pierre J. Dalphond, de la Cour d’appel du Québec, a rejeté l’appel des fabricants qui tentaient de renverser une décision rendue, en février 2007, par la magistrate Carole Julien, qui est assignée au dossier.

La manoeuvre d’Imperial Tobacco, Rothmans Benson & Hedges et JTI-Macdonald visait à discréditer les représentants des recours (Cécilia Létourneau et Jean-Yves Blais), en alléguant qu’ils n’avaient pas l’intérêt requis pour agir contre toutes les compagnies, n’ayant respectivement fumé que des cigarettes manufacturées par une seule d’entre elles.

Toutefois, « en raison des allégations d’un complot ou d’une concertation […], notamment pour cacher des informations utiles à l’ensemble des fumeurs sur la présence et les conséquences de la nicotine dans les cigarettes […] le recours a une assise extracontractuelle suffisante », a tranché le juge.

Les manufacturiers ont également remis en doute la représentativité de M. Blais, qui agit au nom des victimes d’emphysème, de cancer du poumon, du larynx ou de la gorge, en invoquant qu’il ne peut prétendre représenter tous les membres de son groupe, puisqu’il ne souffre que d’une seule des maladies mentionnées. Or, l’honorable Pierre J. Dalphond a statué que leur requête n’était pas justifiée, en rappelant que lors de l’autorisation des recours, le tribunal avait conclu « en la qualité du membre désigné ».

Pour le Conseil québécois sur le tabac et la santé, qui pilote ce dossier, la décision de la Cour d’appel était très importante. « Si le juge avait donné raison aux cigarettiers, cela nous aurait obligé à identifier d’autres membres désignés atteints des autres maladies couvertes par notre recours collectif, explique son directeur général, Mario Bujold. Il aurait donc fallu recommencer plusieurs procédures déjà complétées. »

Étapes passées

Rappelons qu’en février 2005, la Cour supérieure autorisait les recours collectifs, en définissant une série de questions communes aux deux causes qui cheminent maintenant côte à côte pour faciliter leur avancement. Lors du procès, dont la date n’est pas encore fixée, le tribunal cherchera entre autres à savoir si les compagnies « avaient connaissance des risques et des dangers associés à la consommation de leurs produits », « ont mis en oeuvre une politique de non-divulgation de ces risques et dangers », « ont nié ou banalisé ces risques ou dangers », ou « ont conspiré pour maintenir un front commun visant à empêcher les utilisateurs d’être informés du danger de leur produit ».

Démarches actuelles

Alors que les plaignants ont déposé leurs rapports d’experts à l’automne 2006, les interrogatoires de leurs témoins – qui sont actuellement en cours – devraient se terminer d’ici la fin de l’été. Ensuite, les avocats de l’industrie devront produire leur défense et déposer leurs propres expertises. Une fois ces étapes complétées, les avocats des victimes du tabac pourront (s’ils le désirent et que la cour le leur permet) interroger les chercheurs de l’industrie.

Pas de règlement en vue

Selon Me Danielle Parizeau du cabinet Trudel & Johnston [qui défend les personnes dépendantes] le règlement à l’amiable est toujours une issue possible en théorie : « Toutefois, dans un cas comme celui-ci, qui dure depuis maintenant presque dix ans, ce serait très surprenant qu’il y ait une entente entre les compagnies et les parties en cause. » Soulignons qu’ensemble, les deux groupes de victimes – qui espèrent une condamnation conjointe et solidaire des compagnies de tabac – réclament plus de 22 milliards $.

Josée Hamelin