La Colombie-Britannique intente une poursuite contre les cigarettiers

L’industrie du tabac pourrait avoir à rembourser des frais de santé pour des centaines de milliers de fumeurs en Colombie-Britannique, suite à une requête déposée par le gouvernement de cette province le 12 novembre dernier.

La Colombie-Britannique, qui s’est déjà distinguée récemment avec plusieurs interventions législatives musclées pour combattre le tabagisme (voir encadré), met donc à exécution des menaces formulées en juin 1997, au moment du dépôt d’un premier projet de loi visant à faciliter les poursuites civiles contre les cigarettiers.

À l’époque, le gouvernement néo-démocrate avait sommé les compagnies de tabac de cesser tout marketing du tabac auprès des mineurs, de divulguer tout ce qu’elles savent au sujet des risques du tabac pour la santé et sur la manipulation de la nicotine, et de prendre en charge le coût des soins de santé pour les maladies reliées au tabac.

La réponse de l’industrie, surtout cette année, a été d’attaquer les néo-démocrates en ouvrant à Vancouver un nouveau bureau du Conseil des fabricants de produits du tabac et en envoyant plusieurs gros canons sur la côte ouest, dont Don Brown, le pdg d’Imperial Tobacco, pour critiquer vertement le gouvernement.

Le gouvernement a donc décidé de porter le litige devant les tribunaux, surtout qu’une nouvelle loi sur les recours contre l’industrie du tabac a été adoptée à l’Assemblée législative en juillet, avec l’appui du principal parti d’opposition, les libéraux. Cette loi précise que le gouvernement, dans un recours contre les cigarettiers, agit non seulement à titre de représentant des fumeurs rendus malades par le tabac, mais aussi à titre de partie directement concernée, puisque obligée à défrayer les soins de santé pour les victimes du tabagisme.

Les accusations lancées par le gouvernement comprennent, entre autres

  • la négligence – les cigarettiers savaient depuis 1950 que leurs produits sont dangereux et causent la dépendance, mais n’ont pas entrepris suffisamment de recherches pour améliorer les cigarettes à cet égard;
  • le défaut d’avertir les consommateurs des dangers de la cigarette;
  • le marketing auprès des enfants et des adolescents, malgré l’interdiction de vendre les cigarettes aux mineurs;
  • la fausse représentation concernant le niveau des risques associés à l’usage du tabac et l’accoutumance à la nicotine, dont l’utilisation d’euphémismes tels que « cigarettes légères », « faibles en goudron », etc.;
  • la conspiration dans la mise en oeuvre de cette stratégie de minimisation, en particulier par le biais du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac.

En plus du Conseil et des trois principaux cigarettiers canadiens, la requête du gouvernement vise Imasco (le holding qui contrôle Imperial Tobacco), sa compagnie-mère British-American Tobacco (BAT), tous les grands cigarettiers américains et leurs deux porte-parole, le Council for Tobacco Research et le Tobacco Institute, et les multinationales des quatre grandes « familles » de cigarettiers au monde. (C’est-à-dire BAT, Philip Morris, Rothmans et RJR.)

Tant en ce qui concerne les parties défenderesses que le contenu des accusations, ce recours est donc encore plus large que les trois recours collectifs jusqu’ici lancés en Ontario et au Québec, en particulier en ce qui a trait aux allégations de conspiration, notion qui n’existe pas sous cette forme dans le droit civil québécois.

Priddy fait le tour des capitales

Suite au dépôt de la requête, la ministre de la Santé de Colombie-Britannique, Penny Priddy, est partie en tournée pour susciter l’appui de ses homologues des autres provinces. Bien qu’aucun autre gouvernement ne puisse se joindre directement à la poursuite à Vancouver, Mme Priddy espère bientôt avoir des imitateurs, à commencer par le Manitoba, où les conservateurs envisagent un recours similaire.

À l’autre bout du Canada, deux provinces sous gouverne libérale, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard, seraient aussi très intéressées, affirme Mme Priddy. L’impopularité des cigarettiers et les gros montants en jeu sont tels que la vague des poursuites civiles pourrait rapidement dépasser les chicanes de partis, paraît-il.

Jusqu’ici, l’initiative de Mme Priddy n’a suscité aucune réaction chez les gouvernements ontarien et québécois; la ministre de la Santé de l’Ontario, Elizabeth Witmer, s’est même dite trop occupée pour la rencontrer!

Mais au niveau fédéral, où Allan Rock se fait de plus en plus reprocher sa mollesse face au lobby du tabac, le ministre de la Santé a donné son appui moral à la démarche de la Colombie-Britannique.

Chez les organismes de santé, que Mme Priddy a aussi pris le temps de rencontrer lors de sa récente visite à Ottawa, l’espoir est grand de voir émerger une masse critique de recours contre les cigarettiers canadiens; ces poursuites pourraient, comme cela a été le cas aux États-Unis, s’alimenter mutuellement en preuves documentaires, en arguments et en stratégies, et même forcer l’industrie à s’asseoir à la table des négociations.

Mme Priddy tente aussi de convaincre ses homologues des autres provinces de faire de la lutte au tabagisme une priorité pan-canadienne, ce qui pourrait pallier les hésitations du fédéral dans le dossier (voir « L’insatisfaction grandit à l’égard du gouvernement libéral »).

Francis Thompson