Appartements fumeurs ou non-fumeurs : le choix appartient aux propriétaires

On a beaucoup entendu parler, ces derniers temps, du droit de fumer dans les logements, et plus spécifiquement de l’histoire de Sandra Ann Fowler, cette fumeuse montréalaise qui a gagné sa cause devant la Régie du logement, parce que l’interdiction de fumer dans son appartement ne figurait pas dans le bail qu’elle a signé avec sa propriétaire. Toutefois, il faut savoir que ce cas est unique et qu’il ne fait pas jurisprudence. En effet, les propriétaires ont le droit de louer à qui bon leur semble, fumeurs comme non-fumeurs…

À la Régie du logement, Louise Carignan, technicienne en information, confirme que le cas de Mme Fowler est particulier. « On peut penser que la décision de la régisseuse aurait pu diverger si les circonstances avaient été différentes », a-t-elle indiqué à Info-tabac lors d’un entretien téléphonique.

Précisons que dans sa croisade pour le « droit » de fumer, Mme Fowler était soutenue par le groupe monchoix.ca, qui est financé par l’industrie du tabac. Quant à sa propriétaire Olesia Koretski – qui, enceinte et asthmatique, était incommodée par la fumée secondaire qui s’infiltrait par les murs et craignait ses effets sur la santé de son enfant à venir – elle a su s’attirer la sympathie de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). Le regroupement, qui représente environ 10 000 membres, s’explique mal que le préjudice subi par Mme Koretski n’ait pas été pris en considération dans la décision rendue le 4 juillet par Claudine Novello.

« En 2006, la revue Protégez-vous publiait, en collaboration avec la Régie du logement, un numéro spécial intitulé « Guide du locataire ». On pouvait y lire, noir sur blanc, qu’en cas de litige, si la situation démontre que le propriétaire subit un préjudice sérieux, il pourra demander au tribunal la résiliation du bail et l’expulsion du locataire », souligne son responsable des communications, Hans Brouillette.

Celui-ci ajoute que le fait de louer à des fumeurs représente des coûts supplémentaires pouvant varier de quelques centaines à des milliers de dollars, en raison de l’odeur de fumée tenace qui s’incruste dans les meubles, rideaux et tapis, et du jaunissement des murs sur lesquels il faut appliquer des couches de peinture additionnelles.

Dans ce dossier controversé, M. Brouillette indique que les propriétaires n’ont pas le choix de prendre position parce qu’ils subissent la pression des locataires incommodés par la fumée. Ce phénomène se serait d’ailleurs accentué depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le tabac. Toutefois, celle-ci n’empêche l’usage du tabac que dans les aires communes des immeubles de six logements et plus.

Notons que le débat sur le « droit » de fumer à domicile a émergé à l’automne 2006, lorsque la Globe General Agencies – un important consortium immobilier de l’Ouest canadien – a choisi de bannir la cigarette de ses appartements (voir Info-tabac no 68).

Un contaminant cancérigène

Alors que monchoix.ca parle de discrimination et d’incursion dans la vie privée des gens, les groupes antitabac rappellent que la fumée de tabac est un contaminant toxique et cancérigène, même si peu d’entre eux ont une position ferme sur le « droit » de fumer dans les logements.

L’Association pour les droits des non-fumeurs a mis sur son site Web un avis juridique sur le sujet, dans lequel l’auteur (Jacob J. Shelley de l’Université de l’Alberta) soutient que les locataires qui ne fument pas devraient théoriquement être protégés des incursions de la fumée de tabac grâce aux clauses sur le droit à la jouissance de la vie (Quiet Enjoyment) contenues dans plusieurs règlements municipaux et provinciaux. L’organisme a également produit une fiche informative – Questions et réponses sur l’infiltration de fumée de tabac secondaire pour les locataires, les propriétaires de condominiums et les membres de coopératives – qu’il est possible de télécharger via les liens Internet du numéro 70 d’Info-tabac.

Une histoire à suivre

Au début août, on venait tout juste d’apprendre qu’Olesia Koretski contestera la décision rendue par la Régie du logement devant la Cour du Québec. En attendant, la CORPIQ recommande aux propriétaires d’inscrire clairement dans le bail s’ils permettent ou non l’usage du tabac dans leurs appartements.

Droits de la personne versus « droit » de fumer…

En 1996, la Commission des droits de la personne avait statué, à la demande du gouvernement du Québec (qui se préparait à l’époque à adopter la première Loi sur le tabac de la province), que « les exigences de la santé et du bien-être de la collectivité justifient […] la primauté du droit à l’intégrité des non-fumeurs sur le droit du fumeur à la liberté de sa personne ». Sept ans plus tard, dans une cause impliquant un fumeur qui désirait fumer à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique dans lequel il résidait, la Cour supérieure de l’Ontario a jugé que « le droit de fumer » n’est pas garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.

D’après des sondages menés en 2006-2007 pour le compte de l’Ontario Tobacco-Free Network – qui regroupe plusieurs organismes de santé – la majorité (64 %) des Ontariens résidant dans des immeubles à logements multiples seraient plus susceptibles d’opter pour un édifice où la cigarette est complètement bannie, s’ils avaient à faire ce choix. Par ailleurs, près de la moitié des répondants ont confié que des odeurs de tabac se sont infiltrées dans leur logement au cours des 12 mois précédant ces enquêtes.

Josée Hamelin