Il faut mettre fin à l’imposture des cigarettes à faible teneur en goudron

Il y a quatre ans, l’ancien ministre fédéral de la Santé, Allan Rock, lançait aux fabricants de cigarettes le défi de mettre volontairement fin à l’utilisation des mots « douces » et « légères » comme descriptifs de leurs marques. C’était le 31 mai 2001, lors de la Journée mondiale sans tabac. Du même souffle, M. Rock annonçait avoir demandé à ses fonctionnaires de trouver une manière appropriée de résoudre le problème, au cas où les compagnies ne se conformeraient pas à sa requête.

Le ministre avait accordé un délai de 100 jours aux manufacturiers. Or, plus de 1 000 jours ont passé sans que ceux-ci n’aient cessé leur marketing trompeur, ni que Santé Canada ne soit parvenu à les contraindre de le faire.

La saga de l’interdiction des « douces » et « légères » est devenue un téléroman de santé publique, enrichi de changements d’acteurs (quatre ministres de la Santé en quatre ans) et de revirements étranges (Santé Canada qui plaide avec Imperial Tobacco pour tenter d’enrayer un recours collectif axé sur les appellations trompeuses). Comme dans un véritable téléroman, cette histoire ne débouche jamais vers la conclusion attendue depuis longtemps : l’élimination des termes controversés.

Dernier épisode : Santé Canada vient de reculer (encore) sur son intention de dévoiler une réglementation au printemps 2005. Une autre série d’études devra plutôt être effectuée. Le Ministère veut maintenant obtenir une analyse coûts-bénéfices, laquelle ne sera pas complétée avant le début 2006. La mesure ne pourra donc pas être en vigueur avant 2007.

Là où le Canada traîne de la patte, d’autres gouvernements ont pourtant réussi. Ces appellations sont interdites dans les 25 pays de l’Union européenne, au Brésil et en Israël. Les mêmes multinationales du tabac qui ont refusé le défi du ministre canadien de la Santé, il y a quatre ans, viennent de céder aux pressions des autorités australiennes, en acceptant de retirer les termes faussement rassurants des paquets.

L’expérience de ces pays démontre que l’élimination de ces appellations est un objectif de santé publique légitime et réalisable. Toutefois, la manière dont les fabricants ont adapté leurs pratiques de marketing devrait encourager les Canadiens à songer à des mesures plus sévères que de simplement bannir les « douces » et « légères ».

En Europe et au Brésil, les compagnies de cigarettes ont contourné les réglementations en implantant un code de couleurs qui remplace les mots interdits. Le rouge signifie généralement « régulières », le bleu « légères », l’argent « extra-légères » et le vert la saveur de menthol. Le code de couleurs rappelle faussement aux fumeurs qu’en optant pour des cigarettes « moins fortes », ils pourront plus facilement briser leur dépendance, ou réduire les risques de cancers et de maladies cardiaques.

Pour venir à bout de cette supercherie, il faut prévenir les ruses des fabricants qui consistent à faire croire à leurs clients qu’il existe des différences de « forces » entre les produits. En plus de bannir les termes, quatre autres mesures devraient être imposées.

Fin des emballages trompeurs

Le concept des emballages de cigarettes renforce la fausse impression qu’il y a une différence significative entre les marques. Voici ce que constatait un chercheur d’Imperial Tobacco Canada : « Le nom de la marque possède des connotations qui peuvent changer la perception du produit. Cependant, les influences les plus importantes s’avèrent le produit lui-même et son emballage. Des variantes graphiques peuvent manipuler l’évaluation subjective. »

L’emballage des cigarettes Player’s démontre comment, pour la même marque, des éléments graphiques sont utilisés pour suggérer des différences. On y remarque des sortes de bateaux, des chevrons plus ou moins accentués, des surfaces blanches variables, des teintes de bleus et différents mots descriptifs. ITC signale que ces éléments aident les fumeurs à « naviguer dans le spectre du goudron ».

Éliminer les taux d’émissions toxiques

Depuis 1976, les paquets vendus au Canada doivent porter une mention indiquant la quantité de certains produits toxiques, tels qu’absorbés par une machine à fumer. En 2000, une seconde série de chiffres fournie par Santé Canada s’est ajoutée aux données de l’industrie du tabac, rapportant des valeurs plus élevées qui tiennent compte du comportement humain.

La quantité de substances toxiques inhalées par les fumeurs est probablement située entre les taux apposés sur les emballages. Fait à signaler, ces taux passent du simple au triple. De surcroît, il n’y a pas de manière de prévoir les quantités absorbées par un fumeur. Les informations sont donc au mieux, inutiles, et au pire, dangereuses car trompeuses.

L’Australie a déjà instauré des mesures pour éliminer ces chiffres des emballages. Rien n’indique que le Canada envisage une telle chose.

Proscrire les extensions de marque

Dans la mise en marché du tabac, une « extension de marque » est un type de cigarettes vendu sous le même nom, mais avec un descriptif additionnel, tel que « filtre » ou « veloutée ». Imperial Tobacco, par exemple, en propose six dans la famille du Maurier, huit dans la famille Player’s, et le même nombre pour ses Matinée.

Puisque les fumeurs sont exposés à autant de types de produits sous une même marque, ils s’attendent à des différences entre ces extensions. Ils croient que ces variables signifient quelque chose. Du fait que ces cigarettes sont mises en marché selon une échelle de « forces », les fumeurs sont enclins à y voir une échelle de risques pour la santé.

Interdire les cigarettes trompeuses

Ainsi, les fabricants ont adopté plusieurs moyens pour laisser croire aux fumeurs que certaines cigarettes sont moins nocives que d’autres. Mais ce n’est pas tout : les cigarettes elles-mêmes sont conçues pour créer et maintenir la supercherie.

En effet, les cigarettes modernes sont fabriquées avec du papier ventilé et des filtres qui permettent de diluer la fumée avec de l’air. La fumée obtenue est moins dense, et par conséquent, les fumeurs doivent inhaler plus profondément pour obtenir la même dose de nicotine. Mais les fumeurs ne s’en rendent pas compte car ils en inhalent davantage, tout en absorbant autant de substances toxiques. Le consommateur garde l’impression que les cigarettes ventilées sont plus « légères ».

Il y a des dizaines de façons de manipuler le design de la cigarette pour susciter la compensation. Si la réglementation s’attaque à une ou à plusieurs formes de concepts, les fabricants pourraient trouver d’autres manières afin que le fumeur compense son besoin de nicotine. Nous avons besoin de standards qui élimineraient tous les designs trompeurs. Une possibilité serait d’interdire toute marque dont la lecture prise selon la méthode intense de Santé Canada, dépasserait de 50 %, ou plus, celle prise selon la méthode ISO standard.

Après quatre années de reports à Santé Canada, la communauté de la lutte contre le tabagisme vient d’apprendre que bien des mois seront encore requis avant qu’une réglementation bannisse enfin les descriptifs trompeurs des marques de cigarettes. Ce délai représente une opportunité de convaincre les fonctionnaires et les politiciens, que des mesures plus complètes sont nécessaires pour vraiment protéger les fumeurs. Ces mesures doivent être à la hauteur de la stratégie employée par l’industrie pour insinuer que certaines cigarettes sont moins nocives pour la santé.

Cynthia Callard