Les Québécois sont en faveur d’une interdiction de fumer dans les restos et les bars

Si le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec avait voulu préparer la population à l’adoption d’une loi pour interdire de fumer dans les restaurants et les bars, il aurait difficilement pu espérer un meilleur coup de pouce de la part des grands médias, en particulier du Journal de Montréal et du Journal de Québec. De la fin août au 6 septembre, le journaliste Marco Fortier a signé une série d’articles généralement très favorables à la protection des non-fumeurs.

« Bars et restos : Québec veut BANNIR le tabac », titrait la une du Journal de Montréal du 21 août. Avec la mention Exclusif, le populaire quotidien a dévoilé ce qui est un secret de polichinelle parmi nos lecteurs, à savoir que « le gouvernement Charest songe à aller plus loin et à interdire la cigarette dans tous les bars et restaurants de la province ». La source la plus officielle de l’intention provinciale est une citation de l’attachée de presse du ministre de la Santé, Philippe Couillard. « Il est clair que l’abolition du tabac dans les endroits comme les bars et les restaurants est sur la table, a simplement confirmé Cathy Rouleau au journaliste. Rien n’est exclu. On a l’intention de faire un débat là-dessus. »

« Bars et restaurants bientôt sans fumée » et « Fini les sections pour fumeurs », ont lancé hâtivement les titres de l’article de M. Fortier. Le sujet a vite fait le tour de la province, suscitant des reportages aux nouvelles télévisées. Et en quelques jours, la plupart des Québécois ont appris que le gouvernement Charest allait bientôt interdire de fumer dans les restaurants et les bars!

Consultation publique en janvier 2005

La réalité est plus nuancée. Le ministère de la Santé et des Services sociaux lancera probablement une consultation publique écrite auprès des groupes intéressés en janvier 2005, a-t-on appris. Après quoi, un projet de loi serait déposé plus tard dans l’année.

Selon l’article 77 de l’actuelle Loi sur le tabac, le ministre de la Santé « doit au plus tard le 1er octobre 2005 faire rapport au gouvernement sur la mise en oeuvre de la présente loi ». Ce rapport doit aussi être déposé à l’Assemblée nationale et être examiné par une commission parlementaire compétente (en l’occurrence celle des Affaires sociales).

Rappelons que la Loi sur le tabac fut adoptée à l’unanimité en juin 1998, sous l’initiative de l’ancien ministre péquiste de la Santé, Jean Rochon. Alors qu’ils formaient l’opposition officielle, les libéraux ont plusieurs fois talonné le gouvernement pour qu’il renforce la protection des non-fumeurs ; leur porte-parole était l’ex-député de Nelligan, Russell Williams.

Les groupes de santé espèrent que le gouvernement Charest voudra faire les choses rapidement, puisque les sondages indiquent que la population est prête. De plus, le Québec s’avère maintenant la province canadienne la plus négligente en ce qui concerne l’usage du tabac dans les bars et les restaurants.

63 % d’appui

Le Journal de Montréal a même commandé un sondage de Léger Marketing. Se basant sur les réponses de 1009 adultes questionnés fin août, le sondage conclut que 63 % des Québécois sont favorables « à ce qu’une loi interdise totalement la fumée de cigarette dans les restaurants et les bars ». Cet appui baisse à 26 % chez les fumeurs et monte à 75 % chez les non-fumeurs. L’interdiction éventuelle reçoit un appui solide dans toutes les régions, mais surtout à Québec : 74 % des répondants s’y déclarent favorables. La prolifération des restaurants sans fumée de la vieille capitale n’est probablement pas étrangère à cette avance dans l’opinion publique.

Les Québécois sont maintenant très importunés par la fumée des autres. À la question « Diriez-vous que la fumée de cigarette dans les bars, les restaurants ou les salles de bingo vous importune beaucoup, assez, un peu ou pas du tout? », 38 % ont répondu beaucoup, 18 % assez, 13 % un peu, et 29 % pas du tout. Ce qui fait qu’un total de 56 % des gens sont beaucoup ou assez embarrassés par la fumée. Cette proportion monte à 69 % chez les non-fumeurs et baisse à 17 % chez les fumeurs. Les moyennes générales s’approchent plus des résultats des non-fumeurs, car ils sont trois fois plus nombreux que les fumeurs.

Le 29 août, le Journal a publié sur deux pages un Combat des Idées. Dans le coin gauche, Mario Bujold, directeur du Conseil québécois sur le tabac et la santé, y défendait l’interdiction de fumer dans les bars et les restaurants. Dans le coin droit, Renaud Poulin, président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes, proposait plutôt le statut quo jusqu’en 2009. « Il est essentiel de pouvoir protéger la santé des travailleurs, a indiqué M. Bujold. Ici, il y a plus de victimes de fumée secondaire que de victimes du sida. »

Quilles et bingos

Dans deux autres articles, le quotidien montréalais s’est aussi attardé à la fumée dans les salles de quilles et dans les bingos. Il a découvert que les quatre salons de quilles de Baie-Comeau, sur la Côte-Nord, sont devenus simultanément sans fumée le 1er juillet dernier, à la demande des amateurs. Sur la scène provinciale, le directeur général des Salons de quilles associés du Québec, Yves Larocque, affirme s’attendre à une interdiction du tabac dans les prochains mois. « Les quilles, c’est familial. C’est embêtant d’amener des enfants de huit ou dix ans si c’est enfumé », a-t-il dit au Journal. Pour sa part, le président de la Fédération des quilles du Québec, Hubert Houle, est convaincu que la majorité des amateurs seraient contents de jouer dans un environnement sans fumée. « Éventuellement, ça va être non-fumeur partout. Les quilles, c’est quand même un sport. Pourquoi on fumerait», lance-t-il.

Le journaliste Marco Fortier a constaté que « la cigarette est reine dans les bingos du Québec; la majorité des joueurs fument et ils fument beaucoup ». Il a quand même rencontré un gérant de salle, Jacques Talbot, qui aimerait que la loi antitabac s’étende aux bingos. « En Ontario, ils ont eu trois semaines difficiles après l’interdiction et les gens sont revenus », a fait valoir l’homme de 62 ans qui a subi l’ablation d’un poumon en 1996.

Gatineau

M. Fortier a également rencontré le maire de Gatineau, Yves Ducharme, pour faire le point sur son projet de ville sans fumée, lequel imiterait le règlement antitabac complet d’Ottawa, en vigueur depuis l’été 2001. La municipalité est à réunir le financement nécessaire à la promotion et à l’implantation de l’interdiction de fumer, soit 600 000 $ sur trois ans, dont une partie serait défrayée par la Fondation Chagnon, indique le Journal. « On souhaite que le débat se fasse au provincial. C’est un débat de santé publique qui doit se faire dans tout le Québec », a toutefois déclaré le maire Ducharme. Ce désir est partagé par le président de l’Association des tenanciers de l’Outaouais, Daniel Moreau, qui voudrait que la loi soit implantée graduellement, jusqu’en 2007 ou 2009. Le représentant des 285 détenteurs de permis d’alcool s’oppose à un projet-pilote n’impliquant que Gatineau.

Médias influents

En plus de la série d’articles de Marco Fortier, au moins deux interventions des médias méritent d’être soulignées concernant la promotion des environnements sans fumée. Le 23 août, l’émission TVA en direct.com portait sur l’usage du tabac dans les lieux publics. Animée par François Paradis, cette émission d’affaires publiques pose une question à laquelle le public peut répondre par Internet ou par téléphone. Parmi les 1 200 téléspectateurs s’étant prononcés, 72 % ont signifié leur appui à l’interdiction du tabac dans les bars et les restaurants.

Par ailleurs, sur les ondes du réseau TQS, le Grand Journal du 8 septembre avait pour thème les contradictions de l’État. L’animateur Jean-Luc Mongrain se demandait si le gouvernement du Québec souhaitait vraiment que les fumeurs écrasent, alors qu’il empoche près d’un milliard en taxation du tabac. M. Mongrain a souligné que le Québec était classé 11e sur 11 au Canada en matière de protection des non-fumeurs.

Denis Côté