La majorité des tenanciers de bars ne voudraient pas revenir en arrière

30 mois après l’interdiction de fumer
Il est rare qu’un propriétaire de bar agisse comme expert invité dans un colloque médical. Voilà le défi qu’ont relevé avec brio les organisateurs des 12es Journées annuelles de santé publique, tenues à Québec en novembre dernier, et Renaud Poulin, propriétaire d’un bar à Châteauguay et président de la CPBBTQ, la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec.

Lors d’une séance portant sur la législation et la réglementation en tabagisme, M. Poulin a résumé les actions de sa Corporation concernant l’interdiction de fumer dans les lieux publics au Québec, dont les restaurants et les bars, une mesure entrée en vigueur en mai 2006.

L’exposé du tenancier révèle les sentiments contradictoires qu’ont vécus et que vivent encore ses collègues du secteur des bars. Selon M. Poulin, il n’y avait aucun conflit entre la clientèle fumeuse et la clientèle non fumeuse avant la loi. Dans la plupart des établissements, on retrouvait environ 40 % de fumeurs ; parmi les employés, c’était entre 60 et 65 %. « Toute cette faune cohabitait dans l’harmonie. Il faut bien comprendre que les gens viennent dans les bars pour se divertir et non pas pour débattre des grandes orientations de la société », se souvient-il.

Malgré cette note de mélancolie, le président de la CPBBTQ est aujourd’hui satisfait de la transformation de son industrie. Selon lui, la plupart des tenanciers ne voudraient pas revenir en arrière. « La qualité de l’environnement que nous avons obtenue au travail valait les sacrifices financiers que la loi a nécessités, admet-il. Assez rapidement, nous avons réalisé l’impact des produits toxiques qui se dégageaient de la cigarette, lorsqu’on constate la propreté de nos plafonds et de nos murs. Auparavant, ils jaunissaient presque à vue d’œil. »

Collaboration avec le Ministère

Dans son exposé, M. Poulin rappelle que sa Corporation s’était d’abord opposée au projet de loi, notamment en commission parlementaire. Mais, après que la loi fut adoptée en juin 2005, et que l’ancien ministre Philippe Couillard ait accordé quelques concessions mineures (dont le droit aux terrasses et aux fumoirs extérieurs), la Corporation a changé son fusil d’épaule. De manière à faciliter le respect de la mesure controversée, elle a contribué à une campagne médiatique, à une tournée provinciale et à des envois postaux. Le logo de la Corporation fut même apposé sur certains documents publicitaires gouvernementaux, avec celui de l’Association des restaurateurs du Québec, laquelle s’était rangée du côté de la santé deux années auparavant.

Travail des médias

M. Poulin signale que la plupart des tenanciers de bars ont utilisé le matériel adéquat fourni par le Ministère pour sensibiliser leur clientèle. « Mais le gros du travail a été fait par les médias qui ont couvert massivement l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, se rappelle-t-il. Aucun Québécois, fumeur ou non-fumeur, ne pouvait ignorer qu’il était interdit, à partir du 31 mai 2006, de fumer dans les endroits publics. Ce qui nous a facilité énormément la tâche. »

L’homme d’affaires indique que la période estivale était appropriée pour l’implantation de la loi, puisque les clients pouvaient aller fumer dehors plus facilement. La première année de la réforme fut quand même difficile. Les tenanciers ont écopé d’une baisse de revenus importante, mais non catastrophique. Les recettes des appareils de loterie vidéo ont baissé de 17 %, après douze années de croissance. Pour l’alcool, la réduction s’est chiffrée autour de 7 à 8 %, mais celle-ci peut s’expliquer partiellement par les mesures contre l’alcool au volant et la diminution constante de consommation dans les bars depuis plusieurs années. C’est le secteur des discothèques qui aurait été le plus touché, en particulier par la fin « d’énormes commandites venant de l’industrie du tabac, dont les cigarettes girls ».

Certains fumeurs se sont sentis offusqués dans leurs droits et ont utilisé le boycott des bars pour se faire entendre, croit Renaud Poulin. Les tenanciers qui ont adopté une approche positive ont mieux traversé cette période difficile.

Denis Côté