Les femmes touchées en plein coeur

À l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, nous rapportons quelques faits troublants concernant le tabagisme féminin, tels que présentés à la 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac, à Montréal en septembre dernier. Mais consolons-nous, les femmes ne font pas que fumer! Elles sont majoritaires lors des conférences antitabac; elles dirigent les programmes gouvernementaux de lutte contre le tabagisme tant à Québec qu’à Ottawa. Près des trois quarts des Québécoises sont non-fumeuses.

L’industrie cible les jeunes, les pays pauvres, mais aussi les femmes d’une manière très particulière. Et ce n’est pas d’aujourd’hui », dénonçait la Française Sylviane Ratte, chargée de mission pour la Ligue nationale contre le cancer. Son auditoire largement féminin assistait à un atelier de la Conférence internationale francophone. Dès les années 1920, les fabricants de tabac ont cherché à élargir leur cercle de consommateurs en se tournant vers les femmes, profitant alors de leur désir d’émancipation. « Ce sera comme ouvrir une nouvelle mine d’or dans notre propre jardin », aurait avoué à l’époque le patron de l’American Tobacco Company. L’entreprise avait d’ailleurs lancé une campagne de publicité où des actrices connues disaient « Les Lucky Strike sont douces pour ma gorge », et « Je protège ma précieuse voix grâce aux Lucky Strike ».

À partir de 1930, la même compagnie jouait déjà la carte de la minceur avec une affiche montrant la tête d’une jolie jeune femme dont l’ombre sur le mur était celle d’un visage au double menton, avec le slogan « Évitez cette ombre ». L’industrie n’a jamais cessé depuis de « promettre » la minceur aux fumeuses avec des mannequins sveltes et des marques suggestives comme Fine ou Virginia Slims. Une étude récemment menée en milieu scolaire aux États-Unis montre que 40 % des filles, contre 12 % des garçons, fument pour contrôler leur poids.

Autre leurre auquel la gent féminine se montre très sensible : les cigarettes dites légères (en 1995, 48% des fumeuses de l’Union européenne, soit 20 millions de femmes, en achetaient). Philip Morris, dès 1985, explique sans difficulté son succès foudroyant : « En raison de leur rôle de nourrices dans la société, les femmes sont naturellement portées vers des cigarettes à faible teneur en goudron. […] tourmentées par la culpabilité et inquiètes pour leur famille […] elles font un compromis. » Or, on le sait, ces cigarettes ne sont pas moins nocives que les autres.

Sur les thèmes de la séduction et de l’autonomie, on vend les Gauloises comme un « Espace de liberté »; les Royale grâce à une femme d’action en pleine santé à la barre d’un voilier, avec pour slogan « Reprenez le large »; les Royale mentholées comme une « Fraîcheur intense », et les Polo grâce à une femme aux seins nus, jambes écartées, qui fait fumer un homme : « Life can be so simple. » Le prix goudron pourrait toutefois être décerné à la marque allemande West qui a présenté en 1997, en Lituanie, une mannequin avec un oeil au beurre noir et une cigarette à la bouche avouant : « Je préférerais être battue que de faire sans [mes West]. »

Opération réussie

Touchées en plein coeur, les femmes n’ont pas résisté à une telle offensive. Dans une majorité de pays européens, comme en Amérique du Nord, les adolescentes fument aujourd’hui plus que les garçons. Le cancer du poumon tue plus d’Américaines et de Canadiennes que le cancer du sein. Le nombre de décès attribués au tabagisme féminin dans l’Union européenne est passé de 10 000 en 1955, à 113 000 en 1995.

Au Canada, le tabac est devenu la première cause de mortalité des femmes. Les fumeuses sont en effet plus exposées au cancer du col de l’utérus et aux maladies coronariennes, notamment l’infarctus du myocarde. En France, plus de la moitié des adolescentes sous pilule contraceptive fument, le plus souvent sans savoir que ce triste duo augmente considérablement les risques de maladies cardio-vasculaires. Plus de la moitié des fumeuses canadiennes (58 %) continuent à fumer en portant leur bébé. En France, 30 % de l’ensemble des femmes enceintes sont des fumeuses persistantes. « Un nombre croissant de mères dépendantes demandent à être accompagnées en début de grossesse pour se défaire de l’emprise de la cigarette, rapportait en conférence la sage-femme française Conchita Gomez. Le manque de soutien se situe plutôt du côté des professionnels qui choisissent la facilité en conseillant aux mères de réduire leur consommation au lieu de les aider à arrêter pour de bon. »

Le tabac diminue pourtant la fertilité de la mère, augmente le risque de fausses couches, de grossesses extra-utérines, d’avortements spontanés, de mort subite du nourrisson (le tabac est responsable de 30 % de ces décès). « La santé appartient à l’enfant à naître, clamait le docteur Michel Delcroix, professeur de gynécologie-obstétrique en France, au cours d’un atelier consacré à la question. Elle lui est pourtant amputée avant même qu’il ne naisse! Nous faisons face à une intoxication à grande échelle comme nous n’en avons jamais vue. »

Alors, pourrons-nous seulement agir avant que le tabagisme féminin ne devienne l’une des catastrophes sanitaires du nouveau siècle?

Emmanuelle Tassé