Condamnation d’une filiale de R.J. Reynolds pour contrebande de cigarettes canadiennes

Pour la première fois depuis le début de la « crise » de la contrebande de cigarettes de 1992­1994, un cigarettier a été condamné pour complicité dans ce trafic canado-américain fort rentable. Comme pour confirmer le retard des enquêteurs canadiens dans le dossier, la condamnation a été obtenue aux États-Unis, par des procureurs américains, pour évasion de taxes d’accise… américaines.

La société Northern Brands International, filiale du cigarettier R.J. Reynolds créée pour promouvoir les « exportations » de cigarettes canadiennes (en particulier la marque Export ‘A’) aux États-Unis, a écopé d’une amende de 15 millions $ U.S. (près de 23 millions $ Can.) pour complicité dans une fraude à l’endroit du fisc américain, privé d’environ 3,09 millions $ U.S. Cette amende a été imposée le 22 décembre dernier, suite à des aveux de culpabilité de la compagnie, et concerne 26 livraisons de cigarettes Export ‘A’ hors taxes vendues à deux compagnies de façade, LBL Importing et Baltic Imports, et prétendument destinées aux marchés russe et estonien.

Les cigarettes en question ne sont pas restées sous douane et n’ont pas réellement été envoyées en Europe (où le marché pour les cigarettes canadiennes est plutôt restreint!). On doit présumer qu’elles ont été vendues au Canada, bien que les aveux de culpabilité de Northern Brands ne mentionnent que le fait que les cigarettes ont été « mises en commerce » dans l’État de New York.

L’amende imposée à Northern Brand International découle de l’enquête sur les activités du contrebandier Larry Miller, condamné le 5 novembre dernier à Syracuse. Plusieurs observateurs s’attendent à ce que les autorités américaines sévissent bientôt contre d’autres compagnies de tabac; des saisies ont été effectuées auprès d’au moins un autre cigarettier, Philip Morris.

Montant dérisoire

D’après des calculs établis par David Sweanor, avocat à l’Association pour les droits des non-fumeurs, l’amende que le cigarettier vient de verser représente probablement moins que les taxes canadiennes « économisées » sur les 26 livraisons en question. Selon la province où les cigarettes ont finalement trouvé preneur, les pertes des fiscs canadien et provinciaux totalisent entre 15 millions $ et 52 millions $. (Les livraisons en question ont eu lieu après la baisse des taxes de février 1994 au Québec et en Ontario, ce qui porte à croire qu’elles étaient destinées à d’autres provinces.)

Ce montant ne comprend évidemment pas les pertes fiscales enregistrées au plus fort de la crise de la contrebande, ni le manque à gagner, d’au moins 2 milliards $ par année, découlant de la baisse des taxes de 1994 (au Québec, -21 $ par cartouche).

Face à ces chiffres gigantesques, le peu de succès des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada est plus qu’étonnant, dit Me Sweanor. « Vous n’avez qu’à regarder le communiqué du département de la justice américain, commente-t-il. Ils distribuent des remerciements à gauche et à droite, mais ne mentionnent pas une quelconque participation canadienne à l’enquête. Cela en dit long sur la situation. »

Peur irrationnelle d’un regain du trafic

La police fédérale semble se contenter d’alimenter la psychose du retour de la contrebande, poursuit Me Sweanor, qui s’en prend depuis des années aux (sur)évaluations que fait la police de l’importance du phénomène. (Rappelons tout de même que la GRC a arrêté un représentant des ventes de RJR-Macdonald le 15 septembre dernier pour participation présumée à un autre réseau de contrebande.)

Peu avant la baisse des taxes de 1994, la GRC est allée jusqu’à prétendre que la contrebande avait représenté 40 % du marché de la cigarette au Canada en 1993, alors que même l’industrie, dont l’intérêt était de gonfler ce chiffre, parlait de 25 à 31 %. L’évaluation de la police laissait supposer une augmentation énorme du marché global (légal et illégal) de la cigarette qu’aucun sondage auprès des fumeurs ne confirmait.

Après plusieurs années de démarches, Me Sweanor a finalement réussi, en février 1997, à arracher à la GRC une lettre avouant « l’inexactitude » de l’évaluation faite trois années auparavant de l’ampleur du problème.

Néanmoins, le chiffre de 40 % continue d’être cité régulièrement dans les médias québécois pour mettre en garde contre une augmentation rapide des taxes, le plus récemment par le chroniqueur économique Claude Picher dans La Presse du 16 janvier 1999 (« La psychose de 1994 », p. E3). Et ceci malgré le fait que le prix de la cigarette est maintenant beaucoup plus bas au Québec que dans les États américains limitrophes.

Francis Thompson