Les étalages de cigarettes à nouveau interdits
Mars 2005 - No 56
Il aura fallu moins de deux heures aux neuf juges de la Cour suprême pour trancher, de façon unanime, en faveur du gouvernement de la Saskatchewan, dans le litige qui l’opposait au fabricant de cigarettes Rothmans, Benson & Hedges (RBH). Le 19 janvier, le plus haut tribunal du pays a confirmé la validité d’une disposition de la loi provinciale qui interdit d’exposer les produits du tabac à la vue des clients dans les commerces où des mineurs sont admis.
De singulières audiences
« Alors que normalement, l’appelant [dans ce cas-ci le gouvernement] présente ses arguments et qu’ensuite, les intervenants qui le soutiennent prennent la parole, la juge en chef, Beverley McLachlin, a demandé à ce que les propos de l’intimé [Rothmans, Benson & Hedges] soient entendus en premier », a expliqué l’avocat et analyste de la Société canadienne du cancer, Rob Cunningham, à Info-tabac.
Les avocats du cigarettier ont donc plaidé et l’audience a été suspendue. Après une pause de vingt minutes, Mme McLachlin a indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’entendre l’appelant ni les intervenants. « Nous sommes tous d’avis que l’appel devrait être accordé », a-t-elle déclaré devant un auditoire ébahi. Ainsi, la séance fut ajournée, les motifs du jugement devant être dévoilés au cours des prochains mois.
Selon M. Cunningham, il est très rare, surtout dans une cause constitutionnelle, qu’un jugement unanime soit rendu sur le champ. Habituellement, les juges prennent environ cinq ou six mois pour délibérer.
Réactions des parties
Il s’agit d’une amère défaite pour le deuxième fabricant canadien de cigarettes, qui soutenait que la loi de la Saskatchewan était inconstitutionnelle parce qu’elle inclut des mesures plus sévères que la Loi sur le tabac fédérale qui permet, elle aussi, de réglementer les étalages. D’autant plus que la décision de la Cour suprême renverse un précédent jugement de la Cour d’appel de la Saskatchewan qui donnait raison au cigarettier. (Voir historique no 54 d’Info-tabac p. 6).
De son côté, le ministre de la Santé de la Saskatchewan, John Nilson, savoure cette éclatante victoire. « Les dispositions de notre loi concernant les étalages de cigarettes ont pour but de dénormaliser l’usage du tabac, afin que les jeunes ne grandissent pas en voyant le tabagisme comme une activité normale ou acceptable, a-t-il exposé dans un communiqué émis le jour du verdict. Aujourd’hui, le plus haut tribunal au pays a convenu que nous avions le pouvoir de légiférer dans ce domaine. »
Des répercussions bénéfiques
Selon Rob Cunningham, il est évident que ce jugement aura une incidence favorable dans le reste du Canada. Les gouvernements du Manitoba et du Nunavut, qui possèdent des lois similaires à celle de la Saskatchewan, attendaient que la Cour suprême se prononce avant de les appliquer de façon intégrale. Maintenant que la décision a été rendue, les détaillants de ces provinces ne pourront bientôt plus exhiber leurs produits du tabac s’ils accueillent des personnes d’âge mineur.
Plus à l’est maintenant, le ministre de la Santé et des Services sociaux de l’Île-du-prince-Édouard, Chester Gillan, a annoncé que sa province était prête à suivre. En Ontario, le nouveau projet de loi antitabac prévoit contrôler la promotion aux points de vente. Et enfin au Québec, le gouvernement a consacré une importante partie de sa consultation publique à ce sujet.
Des appuis en réserve
Bien qu’ils n’aient pas eu à faire valoir leur position, le gouvernement fédéral et six provinces (la Colombie-Britannique, le Manitoba, l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard) étaient prêts à plaider en faveur de la législation de la Saskatchewan. Ne pouvant se prononcer que par écrit, les organismes non gouvernementaux ont été nombreux à intervenir. La Société canadienne du cancer, l’Association pulmonaire du Canada, l’Association médicale canadienne et la Fondation des maladies du cur du Canada ont manifesté leur soutien à la province tandis que la Western Convenience Stores Association a appuyé la compagnie de tabac.
L’argent derrière les murs…
Les renseignements fournis à Santé Canada par les fabricants indiquent que les cigarettiers canadiens dépensent plus de 90 millions $ par an pour l’étalage promotionnel de leurs produits. Selon le rapport 2004 d’Imperial Tobacco, le Canada compterait environ 40 000 détaillants de tabac. Ceux-ci reçoivent donc une moyenne de 2 250 $ chacun, soit quelque 6 ¢ par paquet de 25 cigarettes vendu.
Au cours des trois dernières années, les sommes versées aux commerçants qui font la promotion des cigarettes ont augmenté de plus de 50 %, selon l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée. Au premier semestre de 2001, les détaillants acceptant d’étaler des produits du tabac dans leur établissement recevaient en moyenne 563,42 $ de chaque fabricant dont les marques étaient mises en valeur. En 2004, la contribution respective de chaque cigarettier fut d’environ 876,66 $ pour la même période.
Fait intéressant, en 2003, l’année où l’interdiction de montrer les produits du tabac a été en vigueur en Saskatchewan, les détaillants ont beaucoup moins vendu de tabac à des mineurs. Seulement 7 % d’entre eux ont accepté de le faire alors que la moyenne des commerçants canadiens était de 29 %.
Plus d’étalages ni de fumée
Il n’y a pas que les étalages de cigarettes qui soient interdits en Saskatchewan… Depuis le 1er janvier dernier, l’usage du tabac est proscrit dans la plupart des lieux publics de la province. Même s’il est toujours permis de fumer sur les terrasses extérieures, l’amendement à la Loi sur le tabac s’applique aussi bien dans les bars, les salles de billard et de bingo, les casinos, de même qu’à l’intérieur des voitures de taxi. Les salles ventilées pour fumeurs sont interdites et les municipalités ont le pouvoir d’adopter des règlements plus sévères que la nouvelle norme provinciale.
Josée Hamelin