Les coûts sociaux du tabagisme

Le calcul des coûts sociaux attribuables au tabagisme est un sujet qui prête à controverse à plusieurs niveaux.

Par exemple, en termes purement comptables, on pourrait prétendre que la mort d’un assisté social à l’âge de 45 ans à cause d’un cancer du poumon représente un gain net pour la société si la personne en question avait peu de chances de se trouver un emploi au cours des deux décennies à venir. Et comment chiffrer la valeur restante de la vie d’un retraité de 75 ans qui aurait pu vivre 10 ans de plus s’il n’avait pas fumé?

On préfère en général éviter ce genre de calcul répugnant, qui pose des problèmes tant au plan pratique qu’au plan de l’éthique. Pour compliquer la chose, il y a d’autres coûts associés au tabagisme qui sont très significatifs mais presque impossibles à mesurer : la détresse psychologique des familles des victimes de cancers ou de crises cardiaques, l’inconfort des non-fumeurs dans les lieux enfumés, le déboisement dans certains pays lié à la culture du tabac et ainsi de suite.

Malgré toutes ces difficultés, le Centre canadien contre l’alcoolisme et les toxicomanies a publié récemment une grande étude intitulée Les coûts de l’abus de substances au Canada qui a de bonnes chances de faire autorité en la matière pendant plusieurs années.

À partir de données de 1992, l’étude conclut que le tabagisme est responsable de 19,3 p. 100 de la mortalité au Québec – une mort sur cinq – et de 8,3 p. 100 du total des jours d’hospitalisation. Les coûts directs de santé s’élevaient à 661 millions $.

Il faut souligner qu’il s’agit de chiffres conservateurs : l’étude évalue le nombre de décès dus au tabagisme à 9 457 par année, alors que d’autres études en arrivaient à 12 000. En termes sociaux, les dépenses médicales sont loin d’être le poste le plus important dans le bilan du tabagisme.

La perte de production économique qui résulte de la mort prématurée de milliers de travailleurs représente un montant d’environ 1,7 milliards $ par année au Québec. Cette somme comprend la valeur du travail non rémunéré effectué par les moins de 65 ans, par exemple par les mères qui restent à la maison s’occuper de leurs jeunes enfants. Par contre, la contribution sociale des retraités n’est pas comptabilisée, tout comme les coûts dits « intangibles » (détresse psychologique occasionnée par ces décès prématurés, etc.).

Au grand total, le tabagisme entraîne des coûts sociaux bruts de 2,4 milliards $ par année, soit 1,5 p. 100 du PIB. (À titre de comparaison, le déficit du gouvernement québécois s’élevait à 2,3 p. 100 du PIB en 1995-96.)

L’étude du Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies ne calcule pas les coûts sociaux nets du tabagisme. Mais contrairement à la consommation d’alcool, qui (en modération) diminue le risque de certaines maladies et entraîne donc aussi des bénéfices sociaux importants, le tabac n’a que très peu d’effets positifs sur la santé. (L’étude évalue le nombre de décès évités par le tabagisme à 356 par année à l’échelle du Canada – principalement à cause de l’effet de la nicotine sur la maladie de Parkinson – ce qui ne représente que 1,1 p. 100 des décès causés par le tabagisme.)

Francis Thompson