Le retour de la publicité pour les produits du tabac?

Les vendeurs d’e-cigarettes commanditent des événements destinés aux jeunes qui n’ont rien à voir avec le tabac, exactement comme les grandes marques de cigarettes d’autrefois.
Les vendeurs d’e-cigarettes commanditent des événements destinés aux jeunes qui n’ont rien à voir avec le tabac, exactement comme les grandes marques de cigarettes d’autrefois.
Comme les anciennes publicités pour les produits du tabac, celles pour les e-cigarettes sont sexy et se présentent comme des emblèmes de liberté, de rébellion et de modernité. Les messages se ressemblent à tel point que, pour la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), les réclames pour les e-cigarettes ne sont rien de moins que des publicités indirectes pour les produits du tabac – une pratique illégale selon la Loi sur le tabac québécoise.

Il est urgent d’agir. En effet, si l’on se fie aux États-Unis, le tsunami des publicités pour les e-cigarettes est proche : chez nos voisins du Sud, les annonces pour ces produits ont augmenté de 400 % entre 2011 et 2012, rapporte Citigroup.

Des pubs (presque) absentes au Canada

Pour l’instant, le Canada échappe à cela. « Puisque  la loi canadienne interdit les e-cigarettes avec nicotine,  il est normal qu’il n’y ait pas de publicités qui en fassent la promotion », explique  Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer (SCC). Évidemment, ces publicités sont toutefois accessibles à n’importe qui via le Web. Les Canadiens peuvent aussi voir ces réclames dans les magazines et sur les chaînes de télévision étrangères offertes au Canada.

Par exemple, une annonce pour l’e- cigarette FIN est parue dans l’édition de mai 2013 du magazine américain In Style, disponible au Canada. On y voit une jeune femme sexy nous invitant à « réécrire les règles. » À la télévision, les publicités « transfrontières » pour les e-cigarettes sont de plus en plus courantes. Celle pour la blu eCig nous annonce que « nous sommes tous des adultes  » et qu’« il est temps que nous reprenions notre liberté ». Dans celle pour les e-cigarettes NJOY, la chanteuse Courtney Love répond à une bourgeoise s’offusquant de son vapotage : « Relaxe, c’est une c**** de NJOY ». Et dans la réclame pour l’e-cigarette Vuse, une voix hors-champ vante la fabrication américaine du produit et son microprocesseur donnant une « bouffée parfaite. »

Chronologie de l’interdiction de la publicité
1988

La Loi réglementant les produits du tabac entre en vigueur au Canada. Elle interdit complètement la publicité pour le tabac. Les cigarettiers la contestent immédiatement devant la cour.

1995

La Cour suprême du Canada invalide les articles de la loi interdisant complètement la publicité pour le tabac.

1997

En réponse à ce jugement, le Canada adopte la Loi sur le tabac. Les cigarettiers cessent de diffuser des publicités, mais contestent immédiatement la loi devant la cour.

1998

La Loi sur le tabac québécoise est adoptée. Elle interdit notamment les publicités « diffusée[s] autrement que dans des journaux et magazines écrits dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs. »

2007

La Cour suprême confirme la validité de la Loi sur le tabac fédérale.

2008

Tel que permis par les lois fédérale et provinciale, des publicités pour le tabac apparaissent dans les médias dont le lectorat est composé d’au moins 85 % d’adultes.

2009

Amendée par la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes, la Loi sur le tabac canadienne interdit désormais les publicités pour le tabac dans les médias imprimés.

Liberté et rébellion

Toutes ces réclames reprennent l’imaginaire d’antan des produits du tabac : liberté, rébellion, science. La pub de Vuse, par exemple, fait écho aux anciennes réclames qui mettaient en vedette des médecins recommandant une marque de cigarettes. La blu eCig utilise une bande dessinée mettant en scène Mr Cool tout en précisant que le produit n’est pas destiné aux mineurs! Enfin, comme les marques d’autrefois qui commanditaient des événements sportifs et culturels, blu eCig et Vype organisent des événements, comme le blu Electric Lounge ou le Vype Social. En somme, « ces compagnies vendent la possibilité de contourner les lois sur le tabac, constate Gaëlle Fedida, directrice par intérim, Questions d’intérêt public, à la Division du Québec de la SCC. Elles veulent ‘‘renormaliser’’ l’usage du tabac ou attirer les jeunes avec des événements branchés et des personnages de dessins animés. »

June Marchand ne s’étonne pas que les vendeurs d’e-cigarettes reprennent le discours traditionnel de l’industrie du tabac. « Ces produits ont peu d’avantages intrinsèques, dit la professeure au Département d’information et de communication à l’Université Laval. Pour les vendre, il faut donc les enrober d’une image, d’un style de vie, d’une ambiance. » Elle s’inquiète de la similarité entre les publicités pour les e-cigarettes et les autres produits du tabac. « Cela banalise  la cigarette, qui demeure un produit dangereux », dit-elle. Certains recommandent des publicités purement informatives, qui indiqueraient simplement le mode d’utilisation et les caractéristiques des e-cigarettes. Mais encore faudra-t-il définir les avantages et les inconvénients de ce produit qui reste mal connu.

Dans les années 1960, une publicité pour les cigarettes du Maurier vendait le prestige et la liberté avec des images de golf, d’équitation et de voyage.
Dans les années 1960, une publicité pour les cigarettes du Maurier vendait le prestige et la liberté avec des images de golf, d’équitation et de voyage.
La CQCT porte  plainte

Pour l’instant, les publicités des e-cigarettes ressemblent fort à celles des produits du tabac. À un point tel qu’elles représentent des publicités indirectes pour le tabac, estime la CQCT. Or, ce genre de publicité est interdit par la Loi sur le tabac. La CQCT compte donc déposer une plainte auprès du ministre de la Santé et des Services sociaux à cet effet.

En théorie, la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac permettrait aussi d’interdire la diffusion des publicités d’e-cigarettes étrangères sur le territoire canadien. Selon son article 13.7, « les Parties qui ont interdit certaines formes de publicités en faveur du tabac, de promotion et de parrainage ont le droit souverain d’interdire ces formes de publicités, de promotion et de parrainage transfrontières entrant dans leur territoire. » « C’est vrai, mais c’est très difficile à appliquer, dit Flory Doucas, codirectrice de la CQCT. Ce n’est pas évident de stopper les chaînes câblées à la frontière! » L’Europe, elle, a tranché : si la nouvelle directive sur les produits du tabac est adoptée, les publicités pour les e-cigarettes seront interdites. Point.

Anick Perreault-Labelle