Le fédéral parvient à sortir le tabac de ses pénitenciers

Depuis l’été 2008, le gouvernement canadien parvient à faire respecter une interdiction de fumer dans les prisons sous sa juridiction, et cela autant dans l’enceinte extérieure des établissements de détention que dans les bâtisses. Et si le Service correctionnel du Canada (SCC) y réussit, c’est en partie parce que c’est un peu moins difficile à faire que de seulement empêcher de fumer à l’intérieur des bâtiments carcéraux.

Voilà peut-être une leçon à tirer du récit que faisait le directeur adjoint aux opérations de la prison de Donnacona, Jean Simard, aux participants des Journées annuelles de santé publique (JASP) de novembre à Québec.

À partir de janvier 2006, le SCC avait interdit partiellement de fumer dans les prisons sous son autorité : le personnel et les détenus étaient autorisés à fumer à l’extérieur des bâtisses. L’application de cette règle causa cependant des soucis et alimenta des griefs de la part des gardiens et des détenus, concernant l’exposition à la fumée secondaire.

Pour s’assurer qu’un détenu puisse fumer dehors mais ne tente pas de fumer à l’intérieur, il fallait gérer l’entreposage des articles pour fumeur (tabac, pipes, briquets, etc.). La manipulation quotidienne de ces objets favorisait leur introduction et usage à l’intérieur, de même que des vols. Le SCC constatait tout cela et devait imposer aux fautifs des peines appropriées à la gravité et la fréquence des infractions. « On ne peut pas mettre en prison quelqu’un qui y est déjà », souligne Jean Simard. Les saisies de tabac, assez fréquentes, donnaient parfois lieu à des « incidents ». Au bout du compte, le SCC annonçait en juin 2007 une prochaine interdiction totale de fumer, une règle qui allait s’appliquer environ 11 mois plus tard.

Jean Simard dit que « le SCC était conscient qu’une interdiction totale de fumer dans ses établissements serait mal accueillie par une portion de la population carcérale », surtout les détenus ayant un problème de santé mentale, et ceux usant du tabac comme monnaie dans l’économie souterraine des prisons. Les détenus, en forte majorité des fumeurs, furent « encouragés à discuter de leur préoccupation quant à la mise en œuvre » de la politique, laquelle prévoyait aussi l’interdiction de posséder du tabac en prison. En janvier 2008, le SCC fournit aux fumeurs des renseignements sur les aides pharmacologique et psychologique à l’arrêt tabagique offertes sans frais à compter de février, trois mois avant et trois mois après la mise en vigueur prévue du règlement. Le 21 avril, l’ébauche du nouveau règlement fut transmise au personnel, aux détenus et à diverses associations « afin d’obtenir leurs commentaires quant au contenu et au langage de la politique ». Environ 92 % des détenus fumeurs profitèrent des aides offertes, et le SCC dépensa près de 2,3 millions de $ en nicotine médicinale et en Zyban, dans les six premiers mois de 2008 (voir note 1).

L’interdiction totale de fumer et de posséder du tabac en prison est d’abord entrée en vigueur dans les prisons à sécurité maximale, le 5 mai; puis dans celles à sécurité moyenne le 20 mai; et le 2 juin dans le reste des établissements. Les détenus de Springhill en Nouvelle-Écosse et de Warkworth en Ontario invoquèrent le nouvel interdit parmi plusieurs motifs d’un refus de travailler ou de participer à des programmes, mais ils restèrent calmes et finirent par reprendre leurs activités normales, à Warkworth le 4 juin et à Springhill le 23 juin. Dans deux prisons au Québec, Cowansville et Drummond, des détenus refusèrent de regagner leurs cellules le 2 juillet, et « certains ont tenté de causer des dommages aux biens de l’État », mais sans succès, raconte Jean Simard. Certains prisonniers refusèrent par la suite de travailler durant quelques semaines.

Chaque mois, de nouveaux détenus et des visiteurs pénètrent dans l’enceinte d’une prison, et y introduisent parfois du tabac. En novembre dernier dans les prisons du SCC, une blague de tabac de 50 grammes pouvait se vendre clandestinement plus de 700 $, révèle Jean Simard. Le tabac était devenu plus rare, mais le désir d’en posséder subsistait.

Pierre Croteau

Note [1] : Depuis la fin d’août, seule la gomme de nicotine est accessible à la cantine des détenus, afin d’éviter la répétition d’incidents liés au mauvais usage souvent volontaire de timbres transdermiques.