L’Ontario décide de frapper un grand coup contre les cigarillos

Deux des trois grands fabricants canadiens de cigarettes ont plaidé coupables d’activités reliées à la contrebande de tabac qui a fait rage, surtout au Québec, au début des années 1990. Ils ont écopé de pénalités totalisant 1,15 milliard $ payables aux gouvernements fédéral et provinciaux. Ottawa récoltera 575 millions $ sur quinze ans alors que la part destinée à Québec est de 210 millions $.

En Ontario, il sera bientôt interdit de mettre en marché des cigarillos aromatisés et de vendre les autres cigarillos dans des emballages de moins de vingt unités. Ces interdictions ont été ajoutées à la Loi favorisant un Ontario sans fumée par l’Assemblée législative provinciale, en décembre dernier. Leur date d’entrée en vigueur n’est pas encore connue. Le nouveau texte de loi donne une définition passablement inclusive de ce que peut être un cigarillo, et stipule qu’il est aromatisé quand il contient un agent aromatisant, ou quand il est présenté comme étant aromatisé par son emballage, sa publicité ou autrement.

Sus aux « cigarettes brunes »

Aux yeux de la nouvelle loi ontarienne, un cigarillo est un produit du tabac prenant la forme d’un rouleau ou d’un tube, formé d’une cape ou robe contenant du tabac en feuilles naturel ou reconstitué; et qui pèse moins de 1,4 gramme ou qui est muni d’un filtre fait notamment de cellulose ou d’acétate. Ce peut être aussi un autre objet vendu comme étant un cigarillo. Et pour éviter que les fabricants ou les distributeurs de cigarillos commencent à jouer avec les mots, n’importe quel autre produit du tabac que le gouvernement ontarien « prescrit » comme étant un cigarillo sera aussi un cigarillo.

Pour Heidi Rathjen, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), un organisme qui a réclamé depuis des années aux autorités fédérale et québécoise une réglementation plus sévère contre les cigarillos, « la loi ontarienne est un modèle à suivre ». La directrice de campagne de la CQCT note que l’interdiction de tous les arômes par la loi ontarienne ne s’appliquera qu’aux cigarillos, mais elle juge que cette mesure « combattra de manière efficace le phénomène extrêmement préoccupant qu’est la popularité de ces produits, surtout auprès des jeunes ». Heidi Rathjen considère que l’obligation de vendre les cigarillos au nombre minimal de vingt unités est aussi une mesure importante.

Au grand dam de groupes canadiens de lutte contre le tabagisme, dont notamment les Médecins pour un Canada sans fumée et l’Association pour les droits des non-fumeurs, la réglementation fédérale qui touche la vente des produits du tabac fait la partie beaucoup plus facile aux cigares, et aux « petits cigares », comme Ottawa appelle les cigarillos, qu’aux cigarettes.

En vertu de la réglementation fédérale canadienne, les cigarettes doivent être vendues en paquets de vingt ou plus; une mise en garde sanitaire illustrée doit couvrir au moins 50 % de chacune des deux grandes surfaces du paquet; la liste des composants chimiques de la fumée doit être imprimée sur le côté du paquet; et un message d’information sanitaire doit aussi être glissé à l’intérieur.

En revanche, les cigarillos, qui ne valent pas mieux que les cigarettes pour la santé, peuvent être vendus au Canada sans liste de composants de la fumée émise et sans message glissé dans le paquet. Lorsque les cigarillos sont vendus dans un emballage de plusieurs unités, une mise en garde sanitaire doit être apposée sur le paquet, où celle-ci occupe entre 13 % et 27 % de la surface, en toute légalité. Cette mise en garde peut n’être visible que sur un seul côté de l’emballage. Un cigarillo peut aussi être vendu à l’unité et aucune des obligations que l’on vient d’énumérer ne s’applique alors à lui.

Au Québec, où un règlement oblige à débourser un minimum de 5 $ pour acheter un ou des produits du tabac autres que des cigarettes, des paquets de trois cigarillos sont offerts et vendus à 5,01 dollars. À partir du 1er juillet prochain, l’adepte des cigarillos ne pourra plus s’en procurer légalement sans débourser au moins 10 $. La réglementation québécoise ne parle toutefois pas de l’emballage du produit, ni d’une interdiction de la vanille, du chocolat, de la pêche ou de quelque arôme que ce soit.

Les groupes de lutte contre le tabagisme considèrent les cigarillos comme un puissant instrument de recrutement d’une jeune clientèle par l’industrie du tabac, parce que ces produits favorisent l’expérimentation. Une fois piégé par le tabac, ce qui survient très vite, le jeune qui juge trop onéreuse sa consommation de cigarillos pourra préférer consommer des cigarettes, tout simplement.

La consommation des « petits cigares »

Les détaillants de tabac n’ont pas le droit de vendre des cigarillos aux personnes mineures. La contrebande des cigarillos semble un phénomène plus que marginal. Pourtant, les cigarillos se retrouvent aux lèvres de nombreux jeunes, y compris des mineurs.

En marge de l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (ESUTC), l’agence Statistique Canada s’intéresse distinctement à la consommation de « petits cigares » depuis 2007.

Les dernières estimations de l’agence fédérale, lesquelles sont basées sur des déclarations recueillies durant les mois de février à juin 2008, ont révélé qu’au Canada, 7 % des personnes âgées de 15 à 17 ans ont fumé un « petit cigare » aux cours des derniers trente jours, comparativement à 14 % des personnes de 18 et 19 ans, à 14 % de celles de 20 à 22 ans, et à 11 % de celles de 23 et 24 ans.

Quand elle regarde au-delà des trente derniers jours, l’ESUTC donne le portrait suivant : 33 % des jeunes de 15 à 19 ans ont déjà essayé le cigarillo. Cette proportion atteint 50 % chez leurs aînés âgés d’entre 20 et 24 ans, mais seulement 37 % dans l’ensemble de la population de 15 ans et plus. Un an plus tôt, dans la même enquête, les proportions atteignaient 31 % chez les 15 à 19 ans, 46 % chez les 20 à 24 ans, et 37 % dans l’ensemble de la population de 15 ans et plus. Voilà pour les cigarillos. Or, la population de 20 à 24 ans est la seule chez qui la proportion des fumeurs de cigarettes a augmenté depuis 2006, bien qu’on ne soit pas encore certain que ce soit de façon vraiment significative.

Selon les statistiques que nous a transmises Philippe Laroche, relationniste à Santé Canada, les ventes de « petits cigares » au Canada sont passées de 53 millions d’unités en 2001 à 276 millions en 2006 puis à 403 millions en 2007. Le nombre de « petits cigares » consommés en 2007 était donc 7,6 fois plus grand que six ans plus tôt, alors que le nombre de cigarettes vendues légalement au Canada est passé de 42,1 milliards à 28,7 milliards durant la même période. Reste à voir si l’interdiction depuis juin 2008 des étalages de produits du tabac au point de vente dans les deux provinces les plus populeuses du Canada aura pour effet de freiner significativement les achats impulsifs de produits du tabac, et en particulier les achats de cigarillos.

Pierre Croteau