Le fédéral promet une exemption pour les écuries internationales de Formule 1

Le gouvernement Chrétien a finalement cédé aux pressions de l’industrie du tabac et promet des amendements à sa nouvelle Loi sur le tabac pour donner plus de visibilité aux commandites des équipes de course automobile par les cigarettiers.

Le 28 octobre, deux jours après la victoire spectaculaire du pilote Jacques Villeneuve au Grand Prix d’Europe à Jerez (Espagne), le nouveau ministre de la Santé, Allan Rock, a annoncé son intention de déposer à la Chambre des communes des amendements à ce propos avant le congé des Fêtes.

« D’un côté, nous avons les mesures de protection sanitaire de la Loi sur le tabac, a déclaré M. Rock aux journalistes. De l’autre, nous avons la réalité d’un événement important qui se tient au Canada, qui est populaire et qui présente des avantages économiques importants. Nous ne voulons pas le perdre à cause de cette loi. »

M. Rock a avoué qu’il se sentait quelque peu mal à l’aise de proposer des amendements qui ne seront pas « entièrement compatibles avec (nos) objectifs de santé ». Mais il se disait lié par l’engagement pris par son gouvernement en avril dernier, suite à l’adoption de la loi C-71 au Sénat.

Il faisait ainsi référence à la lettre du 17 avril envoyée par son prédécesseur David Dingwall aux organisateurs des principales courses automobiles canadiennes. M. Dingwall écrivait à l’époque : « Avant la fin de 1997, nous aurons le temps… de présenter au Parlement les amendements nécessaires au respect des normes internationales en ce qui a trait à l’usage des sigles sur les voitures, les conducteurs, les équipes des puits de ravitaillements et à l’équipement de transport. »

Les organismes de santé, bien que déçus par cette lettre, avaient fondé beaucoup d’espoirs sur l’expression « respect des normes internationales », car on savait déjà au printemps que le gouvernement américain avait l’intention de mettre un terme aux commandites de tabac, ce qui aurait pour effet de redéfinir les « normes internationales » pour les courses de formules World Series (Toronto et Vancouver) et Atlantique (Trois-Rivières).

Quelques semaines plus tard, l’élection d’un gouvernement travailliste en Grande-Bretagne semblait ouvrir la voie à une interdiction complète de la publicité de tabac à l’échelle de l’Union européenne, ce qui éliminerait d’un coup les commandites de tabac pour les 9 Grands Prix de Formule Un qui se tiennent sur le territoire de l’Union. Contrairement à leurs prédécesseurs conservateurs, qui avaient réussi, avec l’appui des gouvernements néerlandais, allemand et grec, à bloquer une telle interdiction au sein de la Commission européenne, les travaillistes avaient la réputation d’être fermement antitabac (voir « Tony Blair éclaboussé par des accusations de trafic d’influence au profit de Bernie Ecclestone »).

Un vote à ce sujet devrait avoir lieu le 4 décembre; ici au pays, le mouvement antitabac souhaitait évidemment que le gouvernement fédéral attende le résultat du vote européen avant de se prononcer sur l’avenir des commandites au Grand Prix du Canada.

Une course qui change tout…

C’est donc avec inquiétude que les organismes de santé ont observé la frénésie médiatique entourant la victoire de Jacques Villeneuve. Dans les heures qui ont suivi, plusieurs politiciens canadiens et québécois ont tenté de profiter de l’effet Villeneuve pour redorer leur blason.

Les accusations d’opportunisme politique lancées par plusieurs commentateurs dans les médias québécois se sont intensifiées deux jours plus tard avec l’annonce du ministre Rock de ce qu’on a rapidement baptisé l’exemption Villeneuve. « Si Jacques Villeneuve s’était conduit comme Schumacher et avait couvert de honte les Canadiens, Ottawa aurait sans doute fait preuve de moins d’empressement, a commenté l’éditorialiste Jean Martel dans Le Soleil. Le gouvernement cède là où il doit se montrer inflexible : dans le domaine du sport où les vedettes exercent un grand attrait sur les jeunes. »

Les principaux organismes antitabac fédéraux ont convoqué une conférence de presse à Ottawa le 3 novembre pour critiquer le manque de fermeté de M. Rock. « Allan Rock a tort, a commenté le Dr David Esdaile, vice-président des Médecins pour un Canada sans fumée. Il a tort de donner priorité aux voitures de course plutôt qu’aux vies humaines. »

Garfield Mahood, directeur général de l’Association pour les droits des non-fumeurs, a souligné la responsabilité de Jean Chrétien et de ses conseillers, plus sensibles aux pressions politiques de l’industrie et aux intérêts économiques des organisateurs du Grand Prix à Montréal qu’à la protection de la santé publique. Mais il a aussi rappelé que le tabagisme coûte environ 15 milliards $ par année à la société canadienne.

Dans l’espoir de faire avorter l’amendement Villeneuve, l’ADNF et sept autres organismes de santé ont publié à plus de 4 000 exemplaires une brochure de quatre pages, « Alerte urgente », qui explique le rôle de la course automobile dans la promotion du tabac et encourage les citoyens à faire pression sur le gouvernement Chrétien à ce sujet. La brochure est disponible en français en téléphonant à la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac au (514) 598-5533.

Francis Thompson