Ottawa veut défendre l’intégralité de sa Loi sur le tabac en Cour suprême

Fin octobre, à quelques jours de la date d’échéance, le gouvernement du Canada a décidé d’en appeler du jugement de la Cour d’appel du Québec qui a récemment rejeté certaines dispositions de la Loi sur le tabac fédérale. Bien que le tribunal ait, en grande partie, confirmé sa constitutionnalité, des articles ont été invalidés sous prétexte qu’ils contrevenaient d’une manière injustifiée à la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.

« Je suis très heureux que la Cour d’appel du Québec ait maintenu la validité de la plupart des articles de la Loi sur le tabac, a déclaré le ministre fédéral de la Santé, Ujjal Dosanjh. Cependant, la loi a été rédigée conformément à des directives établies par la Cour suprême du Canada [et] nous croyons qu’elle aurait dû être entièrement maintenue […] ».

Retour des commandites

Parmi les brèches créées par le laborieux jugement de la Cour d’appel du 22 août, l’une d’entre elles permet aux compagnies de commanditer des événements en utilisant leur nom corporatif, s’il n’est pas rattaché à une marque de cigarettes.

Pour les groupes antitabac, cette décision est préjudiciable parce qu’elle ouvre la porte à une publicité de type « style de vie ». Ainsi, Imperial Tobacco Canada pourrait par exemple changer son nom pour « Tabac Cool », et commanditer le Festival de jazz de Montréal qui deviendrait le « Festival de jazz Tabac Cool ». Rappelons qu’en dépit des interdictions, les compagnies de tabac ont eu recours à des sociétés parallèles pour commanditer différents événements de 1989 à 1995.

Le droit de créer une fausse impression…

Considérant les termes de l’expression « susceptible de créer une fausse impression », de l’article 20, comme étant « vagues et trop englobants », la Cour d’appel les a jugés inconstitutionnels. Or, la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé – que le Canada a ratifiée – oblige les pays membres à interdire la promotion « susceptible de créer une impression erronée ».

Pour sa part, le Procureur général du Canada soutient que la protection de la santé publique doit primer sur la liberté d’expression des sociétés de tabac. Même la Cour suprême des États-Unis a conclu que la publicité fausse et trompeuse ne jouissait d’aucune protection constitutionnelle.

Payer des études scientifiques

Un autre point invalidé par la Cour d’appel concerne les circonstances où la présence de produits du tabac est permise (article 18, section 2a). Selon cette disposition, il est légal de faire référence à la cigarette ou à une marque dans : « Des oeuvres littéraires, dramatiques, musicales, cinématographiques, artistiques, scientifiques ou éducatives sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie, directement ou indirectement, pour la représentation du produit ou de l’élément de marque dans ces oeuvres […] ». La partie que le tribunal a jugé inopérante s’applique aux « oeuvres scientifiques ». Il considère que l’industrie a le droit de les « commanditer ».

La santé publique en péril

Dans sa demande d’appel, le Procureur général du Canada souligne que « les brèches ouvertes par la Cour d’appel sont importantes et mettent en péril l’objectif législatif de la Loi sur le tabac qui vise à protéger les Canadiens et les jeunes des incitations à faire usage des produits du tabac […] ». Bien que le jugement de la Cour d’appel ne soit valable qu’au Québec, le gouvernement soutient qu’il s’agit d’une question d’intérêt national puisque les cigarettiers font le commerce et la promotion de leurs produits dans toutes les provinces et territoires du Canada, et utilisent la science du marketing malgré les effets mortels du tabagisme.

L’industrie est « surprise et déçue »

Imperial Tobacco Canada, qui considérait que la décision de la Cour d’appel avait laissé suffisamment « intacte » la Loi sur le tabac, est à la fois « surprise et déçue » d’apprendre que le gouvernement interjetait appel devant la Cour suprême. Il faut dire que les deux dernières comparutions de l’industrie devant la Cour suprême se sont soldées par de cuisantes défaites… En janvier, ce tribunal accordait au gouvernement de la Saskatchewan le droit d’interdire que des paquets de cigarettes soient étalés dans les commerces où des mineurs sont admis. Plus récemment, il jugeait valide la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé attribuables au tabac de la Colombie-Britannique.

Lettre aux ministres

Par le biais d’une missive envoyée le 18 octobre, une soixantaine d’intervenants, issus d’organismes réputés, ont demandé aux ministres de la Santé et de la Justice, Ujjal Dosanjh et Irwin Cotler, de porter cette cause devant la Cour suprême. « Seul un tel appel serait en mesure d’apporter la transparence et les certitudes requises pour mettre un terme au marketing abusif et trompeur pratiqué depuis trop longtemps par l’industrie du tabac », écrivaient-ils.

Ces derniers ont également suggéré d’interdire totalement la publicité sur le tabac, la preuve scientifique en faveur d’un tel bannissement étant plus abondante qu’au début des années 1990. À l’époque, le gouvernement n’avait pas réussi à convaincre la Cour suprême du bien fondé de cette mesure.

Josée Hamelin