La légalisation de la marijuana : une question de santé publique

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La légalisation de la marijuana annoncée par le gouvernement Trudeau soulève des questions de santé publique et interpelle de plus en plus ceux qui luttent contre le tabagisme. Comment s’assurer que le droit de fumer un joint entraîne le minimum d’effets négatifs pour la santé des Canadiens?

Il n’est pas rare, désormais, de humer les effluves du pot sur la rue tandis que certains élus admettent en avoir consommé dans leur jeunesse. Il n’y a pas de doute : qu’importe le nom qu’on lui donne – marie-jeanne, cannabis, marijuana ou pot –, la consommation de cette « drogue douce » est moins taboue qu’avant. Le gouvernement de Justin Trudeau s’apprête même à en légaliser l’usage récréatif. Comment s’assurer que le nouveau statut de cette drogue diminue ses méfaits sans entraîner de nouveaux problèmes de santé publique?

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Le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à légaliser l’usage ‎récréatif de la marijuana au Canada.‎

La question de la marijuana intéresse de plus en plus le milieu de la lutte contre le tabagisme puisque, comme le tabac, c’est une plante qui est généralement fumée. Cependant, rares sont les études sur les effets du pot sur la santé ou sur l’initiation, l’usage ou la cessation tabagique. Par ailleurs, les rares études qui existent donnent un portrait assez nuancé de la situation. Ainsi, il semble que, d’un point de vue individuel, les dommages causés par la Cannabis sativa ne soient pas comparables à ceux du tabac. Mark Pletcher et son équipe, par exemple, ont mesuré l’impact de cette drogue sur la santé pulmonaire d’environ 5000 personnes pendant 20 ans. Leur conclusion? « L’usage occasionnel de la marijuana […] n’est pas associé à des effets négatifs sur la fonction pulmonaire. » (notre traduction)

Le pot : banalisé, mais pas inoffensif

Cela dit, si certains des risques associés à la mari semblent moins prononcés pour les petits usagers, rien ne garantit que tous les fumeurs de pot en fassent un usage modéré. Or, une utilisation quotidienne ou quasi quotidienne du cannabis semble augmenter les risques de développer des problèmes respiratoires, cognitifs, psychomoteurs et de santé mentale. On sait aussi que le Cannabis sativa perturbe la mémoire, la coordination, les sensations physiques et le jugement. Chez les adultes, cependant, ces effets pourraient se dissiper avec le temps, note le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies. En fait, l’usage de cette drogue serait particulièrement nocif pour les jeunes. « L’usage du cannabis présente des risques importants pour la santé, particulièrement pour ceux qui en utilisent fréquemment ou qui commencent à l’utiliser à un jeune âge », conclut le Centre de toxicomanie et de santé mentale, un autre organisme canadien (notre traduction). En effet, il semble bien établi que le pot affecte le développement du cerveau. C’est pourquoi en consommer avant l’âge adulte augmenterait les risques de schizophrénie et de psychose. Par ailleurs, ceux qui ont des antécédents personnels ou familiaux de psychose ou des problèmes cardiovasculaires devraient aussi éviter d’en consommer, estime le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Enfin, il ne faut pas oublier les risques potentiels du pot pour la santé publique. Par exemple, l’impact possible que légaliser cette drogue pourrait avoir sur son usage global, la banalisation de l’acte de fumer et l’augmentation du tabagisme, notamment chez les jeunes.

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Les exemples de l’étranger

L’usage récréatif de la marijuana est déjà légal dans un district et quatre États américains : District de Columbia (Washington D.C.), Washington, Colorado, Alaska et Oregon. D’un État à l’autre, les lois se ressemblent : il faut avoir au moins 21 ans pour en acheter, il est interdit d’en avoir plus d’une certaine quantité sur soi (souvent une once) ou d’en consommer dans les lieux publics. Les vendeurs doivent également obtenir une licence de vente et ne peuvent pas s’établir à proximité des écoles. La promotion des produits est aussi sévèrement encadrée. Toutefois, Washington D.C. se distingue en permettant seulement la culture et la consommation personnelle de pot et en interdisant strictement les ventes à autrui.

En dehors de ces territoires américains, seul l’Uruguay a légalisé l’usage de cette drogue douce. La marijuana y est vendue uniquement en pharmacie. Le gouvernement détermine le prix des produits et exige que vendeurs et acheteurs s’inscrivent auprès de lui.

Aux Pays-Bas et en Espagne, enfin, la vente de pot récréatif est tolérée, mais demeure illégale. Les Pays-Bas, par exemple, tolèrent que les cafés en vendent, sous certaines conditions, tandis que, en Espagne, seuls la culture et l’usage personnel sont permis.

Un groupe de travail canadien

D’un point de vue légal, l’usage médicinal de la marijuana est permis depuis 2001 au Canada. C’est son usage récréatif que le gouvernement de Justin Trudeau s’apprête à légaliser aujourd’hui, à l’image de sept autres territoires dans le monde (voir l’encadré « Les exemples de l’étranger »). Bien que cette décision n’emballe pas tout le monde, elle présente certainement des avantages. Rappelons d’abord que la prohibition actuelle du pot n’a pas enrayé son usage – bien qu’elle l’ait peut-être limité. Par contre, son illégalité empêche les consommateurs de savoir exactement ce qu’ils achètent, favorise le crime organisé, engorge les tribunaux et prive le gouvernement des taxes de vente sur ces produits. Selon certains, légaliser la mari permettrait aussi de mieux l’encadrer et de mener des campagnes de prévention plus efficaces.

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Les ‎propriétés psychoactives du cannabis sont dues au tétrahydrocannabinol (THC).

Pour le guider dans ses réflexions, le gouvernement canadien a créé le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation de la marijuana. En quelques mots, le mandat de ce groupe est de minimiser les dangers liés à la consommation du pot et d’établir des systèmes de production et de distribution sécuritaires et responsables tout en assurant la sécurité et la protection du public. La bonne nouvelle est que le Groupe envisage une « approche fondée sur les leçons tirées du contrôle du tabac et de l’alcool » et laisse une grande place à la santé publique. De fait, plusieurs des options considérées par le Groupe de travail pourraient convenir aux organismes de santé. Par exemple, taxer les produits de marijuana, imposer un âge minimal pour leur achat, en encadrer sévèrement la publicité, en limiter ou en interdire l’usage dans les lieux publics et exiger des mises en garde sur les emballages. Cela dit, bien des choses restent à déterminer (voir l’encadré « Des questions à se poser »).

Le Groupe de travail, qui vient tout juste de terminer une consultation publique, devrait rendre sous peu un premier rapport. De son côté, le Centre de toxicomanie et de santé mentale propose quelques idées pour éviter les risques liés à la consommation de marijuana, dont éviter d’en consommer avant l’âge adulte ou de manière quotidienne ou quasi quotidienne et privilégier un produit avec un taux peu élevé de tétrahydrocannabinol (THC), l’agent actif du pot. Autant de pistes feront sans doute jaser dans les chaumières au cours des prochaines années.

Produits de la marijuana : des questions à se poser
Conception
  • Quels produits contenant de la marijuana pourront être vendus? Par exemple, permettra-t-on des jujubes au pot?
  • Qu’en est-il des e-liquides? Sera-t-il permis de vapoter du THC?
  • Quelle sera la limite maximale de THC admise dans les produits vendus?
  • Quelle forme prendront les emballages de marijuana? Quels avertissements et informations devraient y apparaître?
Fabrication et distribution
  • Qui pourra manufacturer les produits contenant de la marijuana? Doit-on laisser les cigarettiers pénétrer le marché?
  • Comment les producteurs doivent-ils être encadrés? Devraient-ils obtenir une licence du gouvernement?
  • Doit-on permettre aux individus de cultiver leur propre marijuana?
Promotion
  • Quelles formes de publicités ou de promotions seront permises?
  • Le marketing « style de vie » associant un produit à une valeur ou à un mode de vie sera-t-il permis?
Vente au détail
  • L’âge minimal pour acheter de l’alcool ou des cigarettes n’est pas le même dans l’ensemble des provinces : lequel choisir pour la marijuana?
  • Les vendeurs de marijuana pourront-ils s’installer à côté d’une école ou dans un quartier résidentiel?
Prévention
  • L’accessibilité accrue à des produits de marijuana pourrait en faire augmenter l’usage. Le cas échéant, comment s’assurer que cette hausse de la prévalence n’entraîne pas d’importants problèmes de santé publique?
  • Il est courant d’être à la fois fumeur de tabac et de marijuana, mais l’effet que ces deux substances ont l’une sur l’autre est loin d’être clair, que ce soit au niveau de la consommation, du taux de cessation ou du degré de dépendance. Comment l’usage de la marijuana jouera-t-il sur la consommation du tabac? Comment prévenir les effets indésirables?
  • Comment s’assurer que l’usage de la marijuana n’accroîtra pas les accidents de la route?

Anick Labelle