La fumée du tabac endommage les artères

On sait maintenant que la réduction de l’exposition des travailleurs et de la population en général à la fumée secondaire, à la suite d’interdictions de fumer dans les lieux de travail et les lieux publics, a provoqué une diminution rapidement détectée, en Écosse et en Italie par exemple, de l’incidence des infarctus ainsi que des décès dus aux maladies du système cardiovasculaire. Les mécanismes qui sont en cause sont moins souvent vulgarisés.

Lors de la 14e Conférence mondiale sur le tabac OU la santé, au début de mars en Inde, c’est à cette tâche que s’est attaqué le Dr Joaquin Barnoya, directeur de recherche de l’unité de chirurgie cardio­vasculaire de Guatemala, capitale du pays du même nom, et chercheur affilié à l’École de médecine de l’Université Washington à St. Louis, au Missouri.

Après seulement 30 minutes d’exposition à la fumée secondaire du tabac, des dommages à l’endothélium, la surface intérieure des vaisseaux sanguins, peuvent déjà être observés. L’endothélium s’en trouve anormalement oxydé. Certes, les plaquettes sanguines arrivent généralement d’elles-mêmes à réparer les dégâts faits à la tuyauterie interne de notre corps, mais elles finissent par perdre la partie si l’exposition à la fumée est sans cesse répétée. Entre autres conséquences, le mauvais état des artères impose un travail plus grand au muscle cardiaque. Au surplus, la résistance à l’insuline s’en trouve renforcée, ce qui s’avère néfaste pour les personnes sujettes au diabète.

« Heavy metals » coupables, nicotine innocente

De l’ensemble des constituants normaux de la fumée du tabac qui se retrouvent dans le sang, ce sont en particulier le plomb et le cadmium, que les chimistes et le Dr Barnoya appellent les métaux lourds (heavy metals), qui sont responsables de ces méfaits à nos vaisseaux sanguins. La nicotine, qui est elle aussi contenue dans la fumée, n’aurait que des effets mineurs, croit le Dr Barnoya, ce qui pourrait donner une raison supplémentaire aux nicotinomanes incurables de se servir leur nicotine pure, sous forme médicinale, plutôt que dans le cocktail très toxique que constitue la fumée de tabac.

De son côté, la Dre Nancy A. Rigotti, professeure à l’École de médecine de Harvard, au Massachusetts, a constaté que les cardiologues américains prescrivent plus volontiers à leurs patients fumeurs certains médicaments qui visent la réduction de l’hyperlipidémie et de l’hypertension artérielle, qu’ils ne prescrivent de traitements d’arrêt tabagique, alors que la réduction du risque de problème cardiaque qu’on peut attribuer à l’usage de médicaments antitabagiques est statistiquement plus grande, y compris chez des patients qui ont déjà fait un infarctus. En guise d’explication partielle de cette tendance, le Dr Paras K. Pokharel, de l’École de santé publique et de médecine communautaire de l’Institut Koirala, à Dharan au Népal, avance, à la suite d’une vaste enquête qu’il a conduite dans son pays, que le corps médical a tendance à sous-estimer le risque de morbidité et de mortalité lié au tabagisme de ses patients, entre autres parce que la formation des médecins passe trop rapidement sur cette connaissance pratique et parce que les incitatifs financiers manquent généralement, lorsqu’il s’agit de faire de la prévention.

Pierre Croteau