L’industrie canadienne et Agriculture Canada coopèrent pour développer des variétés de tabac à plus haute teneur en nicotine
Avril 1997 - No 6
En étroite collaboration avec l’industrie du tabac, Agriculture Canada travaillait encore en 1996 sur l’augmentation de la teneur en nicotine de nouvelles variétés de tabac, indiquent des documents obtenus par l’Association pour les droits des non-fumeurs.
L’association a fait deux demandes d’accès à l’information pour en savoir plus sur les activités du centre de recherches d’Agriculture Canada à Dehli, au coeur de la région de tabaculture en Ontario, et sur le Tobacco Variety Evaluation Committee.
Ce dernier regroupe des représentants du centre de recherches de Dehli, du ministère ontarien de l’agriculture, des offices de commercialisation du tabac et des fabricants de cigarettes. Il décide des variétés de tabac que les tabaculteurs auront le droit de cultiver, et oriente aussi les programmes de développement de nouvelles variétés.
Bien que le centre de recherches de Dehli appartienne à Agriculture Canada, l’industrie du tabac finance une bonne part de ses activités. Il n’est donc pas étonnant que les besoins des cigarettiers soient au coeur des préoccupations des chercheurs. Et une importante priorité, dans les procès-verbaux du comité de 1983 à 1996, semble bien être le niveau de nicotine dans les plants de tabac.
En témoigne cet extrait du procès-verbal d’une réunion du 20 mars 1984 : « N. Cohen [représentant du fabricant Rothmans] fait remarquer que nous parvenons à des niveaux de plus en plus élevés de nicotine dans nos variétés. Santé et Bien-être finira peut-être par interdire ce type de tabac. Il suggère de maintenir à leur niveau actuel la teneur en nicotine dans les programmes d’élevage à venir. »
Plus tard dans la même réunion, un fonctionnaire fédéral et le représentant d’une compagnie d’exportation de feuilles de tabac discutent de l’avantage comparatif que représente cette tendance à la hausse de la teneur en nicotine : « B. Court [Agriculture Canada] doute que les compagnies de tabac acceptent une variété avec une réduction de la teneur en nicotine de plus de 20 p. 100. J. Campbell [British Leaf] répond que les variétés cultivées aux USA sont déjà en deçà des paramètres, alors qu’au Canada, les [nouvelles] variétés contiennent plus de nicotine. Ceci devrait rendre le tabac canadien plus vendable. »
De 1990 à 1995, on discute beaucoup de l’élevage d’une nouvelle variété de tabac destinée aux provinces maritimes; cette variété doit être à la fois plus résistante aux maladies et à teneur plus élevée en nicotine. En 1995, on accorde une licence à la variété 88TK14-5 pour la culture dans l’Île-du-Prince-Édouard; un sous-comité note que cette variété compte 15 p. 100 de plus en nicotine que la variété autorisée jusque-là.
Une chose du passé?
À la Chambre des communes à partir de la mi-mars, le député réformiste Keith Martin a tenté pendant plusieurs jours d’obtenir des explications claires à ce sujet du ministère de l’agriculture. Les libéraux ont laissé entendre que les réformistes exagéraient de beaucoup l’importance de l’affaire.
« C’est certain que le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire ne finance pas de recherche sur la nicotine, a affirmé Jerry Pickard, secrétaire parlementaire du ministre de l’Agriculture. Nous mesurons la quantité de nicotine dans les plants, un peu comme on le fait pour mesurer le sucre dans les plants. Nous mesurons la longueur des plants de tabac et notons l’emplacement des feuilles sur les plants, mais nous ne faisons pas de recherche sur la manière d’ajouter de la nicotine dans les plants. »
Pour ce qui est du développement de nouvelles variétés destinées aux Maritimes, M. Pickard dit qu’il n’existe plus de culture commerciale de tabac dans le Canada atlantique, parce que « nous avons constaté que le taux de nicotine des plants de tabac était inférieur aux normes internationales ».
Deux questions à régler
S’il est vrai que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont beaucoup fait pour encourager les tabaculteurs à prendre leur retraite ou à changer de culture au cours des années 80 et 90, l’existence même d’un centre de recherches subventionné à la fois par le fédéral et l’industrie du tabac semble quelque peu anachronique.
Mais les documents entourant le centre de recherches de Dehli pourraient être importants pour une toute autre raison, qui a trait à la classification des produits du tabac. En effet, depuis bien des années les fabricants de cigarettes, tant aux USA qu’ici, prétendent que la cigarette n’est pas un « instrument pour administrer une drogue » au sens de la loi. (La Loi sur les aliments et les drogues au Canada comprend une définition très similaire à la législation américaine à cet égard.)
Puisqu’il devient de plus en plus difficile de nier les effets pharmacologiques de la nicotine, les fabricants prétendent maintenant que la nicotine est peut-être une drogue, mais que sa présence dans les cigarettes n’est qu’un hasard de la nature.
Pour contrer cet argument, les organismes de santé doivent donc démontrer que les fabricants contrôlent de manière précise et scientifique le dosage de la nicotine dans chaque cigarette. Dans ce contexte, il faut donc voir dans ces documents d’Agriculture Canada des éléments de preuve supplémentaires.
Francis Thompson