La dépendance au tabac s’acquiert plus tôt qu’on le croit

À peine dix semaines après l’initiation tabagique, les premiers signes d’accoutumance apparaissent chez le quart des adolescents.

C’est ce qu’indique la plus récente analyse d’une équipe de chercheurs dirigés par Jennifer O’Loughlin, épidémiologiste à l’Université McGill, et experte-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec. Publiée en août dernier dans le Journal de l’Association médicale canadienne (JAMC), l’étude se penche sur la succession de six symptômes de la dépendance à la nicotine et six niveaux de consommation du tabac. Elle est la première à établir la probabilité de franchir les étapes qui commencent par une bouffée et culminent en nicotinomanie complète.

Pour près de 25 % des adolescents, la consommation d’une cigarette entière se produit généralement deux mois et demi après le premier essai. À ce moment, ils se disent psychologiquement dépendants (voir tableau). « À la suite de la première inhalation, environ six semaines après l’initiation tabagique, les événements se précipitent. Les symptômes de dépendance apparaissent avant qu’une augmentation marquée de la consommation ne survienne », soutient l’un des auteurs de l’article paru dans le JAMC, le Dr André Gervais, de la Direction de santé publique de Montréal.

Le projet de recherche de Mme O’Loughlin étudie l’acquisition du tabagisme depuis 1999. Il a suivi 1 293 adolescents de secondaire 1 fréquentant l’une des dix écoles montréalaises sélectionnées. Les données ont été recueillies par le biais d’un nouveau modèle de questionnaire, par des prises de tension artérielle et de mesures corporelles, et même par l’analyse génétique de prélèvements sanguins.

Ces récents résultats contestent la croyance populaire voulant qu’on ne puisse parler de dépendance sans que la consommation soit quotidienne ou du moins régulière, et que deux ou trois ans se soient écoulés depuis la première « pof ». En fait, la dépendance s’acquiert très tôt, et l’usage quotidien du tabac ne serait que la dernière des 11 étapes de la dépendance au tabac, telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (voir encadré).

L’apparition des premières fortes envies de fumer, qui survient quatre mois et demi après l’initiation à la cigarette, est une étape sous-estimée de l’évolution du tabagisme juvénile. « Les étudiants qui ont rapporté ce symptôme étaient beaucoup plus susceptibles de faire un usage quotidien du tabac et de devenir entièrement dépendants, a indiqué Mme O’Loughlin. Il leur est alors très difficile de cesser de fumer. » Après 54 mois, environ 30 % des jeunes qui ont expérimenté la cigarette finiront par être « accros ».

De tous les étudiants participants à l’étude, seulement 311 ont été retenus pour l’analyse publiée dans le JAMC. On a écarté ceux qui n’ont pas fumé pendant l’étude et ceux qui fumaient avant qu’elle ne débute. Les filles semblent plus vulnérables à la nicotinomanie que les garçons, car elles présentent plus souvent et plus rapidement les symptômes précoces de la dépendance. Cependant, la taille de l’échantillon n’a pas permis d’analyser plus précisément cette différence potentielle entre les sexes.

« Je crois que notre étude remet sérieusement en question la façon dont les interventions de prévention ou de soutien à la cessation tabagique des jeunes ont été conçues », affirme Mme O’Loughlin. Selon la chercheuse, les jeunes, leurs parents et les professionnels de la santé doivent réaliser que les symptômes de la dépendance se manifestent bien avant que les jeunes ne fument régulièrement.

Niveau de consommation
de tabac

Temps écoulé depuis l’initiation tabagique

Symptôme de dépendance
au tabac

Inhalation

1,5 mois

Cigarette entière

2,5 mois

Dépendance psychologique

4,5 mois

Fortes envies de fumer

5,4 mois

Dépendance physique

Tabagisme mensuel

8,8 mois

11,0 mois

Symptômes de sevrage

13,0 mois

Tolérance

Tabagisme hebdomadaire

19,4 mois

100 cigarettes consommées

19,5 mois

Tabagisme quotidien

23,1 mois

40,6 mois

Dépendance clinique au tabac, selon l’OMS

La dépendance, selon l’OMS

Selon l’Organisation mondiale de la santé, une personne souffre de dépendance au tabac si trois des six énoncés suivants décrivent son rapport au tabac :

  • désir compulsif d’utiliser le tabac;
  • perte de capacité à contrôler le tabagisme;
  • symptômes de sevrage;
  • tolérance : c’est-à-dire un besoin de consommer plus pour ressentir le même effet;
  • temps croissant consacré à l’utilisation du tabac;
  • consommation de tabac malgré ses conséquences nocives.

Julie Cameron