La Convention-cadre passe à une autre étape
Décembre 2018 - No 135
Le combat international contre l’usage du tabac délaisse quelque peu l’élaboration des politiques pour s’atteler plus sérieusement à leur mise en œuvre.
Le chiffre est effarant : au 21e siècle, pas moins d’un milliard de décès seront causés par le tabac. C’est 1141 décès par heure ou plus de 27 000 par jour.
Adoptée en 2005, la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) propose une feuille de route qui permettrait d’éviter ce massacre. En octobre, les pays et territoires qui l’ont ratifiée ont profité de leur 8e rencontre biennale pour passer de l’élaboration de règles et de politiques à leur mise en application. Cette 8e conférence des parties (COP8) a rassemblé pendant une semaine quelque 1200 délégués, représentant 150 des 181 pays ayant ratifié la CCLAT. « Les journées sont très longues, mais très stimulantes, rapporte Martine Pageau qui y assistait à titre de directrice de la promotion des saines habitudes de vie, au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Notre détermination à agir est renforcée lorsque l’on constate en plénière ou dans les sous-groupes de travail que la lutte contre le tabac mobilise tous les pays et qu’ils partagent tous les mêmes objectifs. »
Des avancées réelles
Il n’y a aucun doute : l’adoption de la CCLAT a aidé de nombreux pays et territoires à resserrer leurs règles entourant l’usage du tabac. C’est ce que constate un rapport du Secrétariat de la CCLAT, le bureau qui coordonne la mise en œuvre du traité. On y apprend notamment que 71 % des parties appliquent désormais des mesures pour contrer l’interférence de l’industrie dans l’élaboration des lois et règlements. Le Brésil, l’Afrique du Sud et le Sri Lanka ont même créé un observatoire pour surveiller les activités des cigarettiers. C’est une demande de longue date des groupes de santé du Québec et du Canada. Le rapport mentionne aussi une initiative québécoise : les politiques d’environnement sans fumée exigées par la Loi concernant la lutte contre le tabagisme de la part des établissements de santé et d’enseignement supérieur.
Malgré ces progrès, de nombreux défis restent à relever. La mise en œuvre des mesures est ralentie par le manque de fonds ou de volonté politique, l’interférence de l’industrie ou l’absence de connaissances. Résultat : le taux de tabagisme canadien tend à faire du surplace alors que certains prédisent une hausse de 40 % du taux de tabagisme africain d’ici 2030.
Une stratégie pour accélérer les progrès
Pour obtenir de meilleurs résultats, les délégués rassemblés à Genève ont adopté la Stratégie globale pour accélérer la lutte contre le tabagisme. Il s’agit d’un plan d’action pour 2019-2025 qui établit des objectifs et des budgets pour quelques secteurs d’action prioritaires. « C’est la première fois que les parties de la CCLAT se dotent d’un mécanisme pour mesurer systématiquement leurs progrès, ou leur absence de progrès », explique Francis Thompson, directeur général de Framework Convention Alliance, un organisme canadien qui œuvre à l’implantation de la CCLAT. Pendant deux ans, un projet pilote testera aussi des mécanismes de révision de l’application du traité, afin d’en déterminer plus facilement les problèmes d’implantation les plus communs, ainsi que leurs solutions.
L’argent a aussi occupé les discussions. Il manque environ 27 G$US pour mettre en œuvre certaines mesures clés de la CCLAT à travers le monde, calcule Framework Convention Alliance. « À eux seuls, les programmes de soutien à la cessation ou les campagnes nationales de sensibilisation peuvent coûtent cher, dit Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. Mais plusieurs mesures de lutte contre le tabagisme ne coûtent rien – comme hausser les taxes, par exemple. »
Or, bien que les fonds manquent, les parties n’ont pas augmenté leur contribution financière au Secrétariat de la CCLAT depuis 2006. La Grande-Bretagne fait toutefois exception : en 2016, elle a décidé de verser à la CCLAT, pendant cinq ans, une portion des sommes habituellement investies dans le développement international. L’Australie fait de même depuis 2018.
Pour augmenter leur pécule, les délégués ont aussi mandaté le Secrétariat de la CCLAT d’étudier la création d’un fonds d’investissement affecté à la lutte contre le tabagisme. Enfin, pour mieux évaluer le coût réel des différentes mesures, la Stratégie globale pour accélérer la lutte contre le tabagisme favorisera des démarches budgétées qui précisent les sources de financement possibles.
L’industrie, toujours présente
Enfin, rappelons que les représentants de l’industrie du tabac arrivent encore à s’infiltrer dans les conférences de la CCLAT, malgré les règlements interdisant leur présence. Ces derniers ont distribué des catalogues vantant leurs produits sans fumée, organisé des soirées mettant en valeur la nicotine ou visiblement influencé certaines délégations. « L’industrie du tabac comprend très bien à quel point la CCLAT est cruciale dans la lutte mondiale contre le tabagisme, dit Rob Cunningham. C’est pourquoi elle essaie par tous les moyens de retarder les discussions et d’affaiblir les mesures adoptées, ou leur mise en œuvre. » En somme, les cigarettiers et leurs alliés font perdre du temps aux délégués alors que, chaque heure, 1141 personnes meurent des suites de leur tabagisme.
Les mises en garde se répandent
Plus de la moitié de la population mondiale (58 %) bénéficie désormais de mises en garde illustrées sur les paquets de cigarettes. Encore mieux : la majorité de ces avertissements couvrent au moins 50 % du paquet, en moyenne, comme recommandé par la CCLAT. C’est ce que rapporte Mises en garde sanitaires sur les paquets de cigarettes, un rapport de la Société canadienne du cancer rendu public à la 8e conférence des parties, à Genève.
De grands avertissements illustrés sont un élément essentiel de la prévention du tabagisme. D’abord, une image vaut mille mots. Ensuite, des mises en garde plus grandes permettent d’imprimer des images de meilleure qualité ou de donner davantage d’information sur les services d’abandon du tabac, par exemple. À son tour, l’emballage neutre, désormais introduit dans six pays, gommera les caractéristiques distinctives des produits du tabac, ce qui contribue à montrer qu’ils sont tous aussi dangereux les uns que les autres.
Anick Labelle