L’encadrement difficile des cigarettes électroniques
Décembre 2018 - No 135
Au Canada, des publicités sur les cigarettes électroniques contreviennent à la loi fédérale. Pendant ce temps, aux États-Unis, on annonce de nouvelles mesures pour limiter l’accès des jeunes aux produits de vapotage.
L’arrivée des cigarettes électroniques au milieu des années 2000 a pris tout le monde par surprise. Depuis, les gouvernements et les groupes de santé se démènent pour encadrer adéquatement ces produits, c’est-à-dire permettre aux fumeurs adultes d’y avoir accès, sans favoriser leur usage par les non-fumeurs ou les jeunes. Au Canada, les groupes de santé et des chercheurs déplorent la clémence du gouvernement fédéral dans ce dossier alors qu’aux États-Unis, les autorités s’engagent à serrer la vis aux manufacturiers des produits de vapotage.
Selon la Loi sur le tabac et les produits de vapotage, les publicités sur les produits de vapotage peuvent uniquement transmettre les caractéristiques objectives de leurs produits.
Au Canada, l’adoption de la Loi sur le tabac et les produits de vapotage, en mai 2018, a légalisé la vente aux adultes des produits de vapotage contenant de la nicotine. Le problème, c’est qu’entre 2014-2015 et 2016-2017, le pourcentage de jeunes ayant vapoté au cours des 30 derniers jours a augmenté de 66 %, passant de 6 % à 10 %. C’est ce que montre une nouvelle analyse de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues chez les élèves de 2014-2015. Parmi eux, pas moins de 36 % ont mentionné n’avoir jamais fumé une cigarette, ni même pris une bouffée. Des données à venir de David Hammond, un chercheur en santé publique de l’Université de Waterloo, montreraient des données similaires pour 2018. Pour mettre un frein à cette épidémie, la Société canadienne de pédiatrie recommandait déjà en février 2018 que le gouvernement fédéral interdise la diffusion de publicités sur les cigarettes électroniques destinés à de jeunes publics. Aujourd’hui, des groupes de santé exigent que les articles de la loi fédérale concernant ces publicités soient respectés.
La Loi sur le tabac et les produits de vapotage permet la diffusion de publicités sur ces produits dans presque tous les médias, incluant la télévision, les médias sociaux, la radio et les panneaux d’affichage. Par contre, elle proscrit formellement que ces publicités soient de type style de vie. En gros, elles ne peuvent pas associer les produits de vapotage à une façon de vivre impliquant du prestige, des loisirs, de l’enthousiasme ou de la vitalité, par exemple. Concrètement, les manufacturiers peuvent uniquement transmettre des informations sur les caractéristiques objectives de leurs produits. Or, la publicité télévisée sur la cigarette électronique Vype ePen3 de British American Tobacco (BAT) associe celle-ci à un mode de vie actif, à l’urbanité, à la richesse et à la beauté, entre autres. De plus, des affiches pour le Vype ePen3 assurent qu’il « frappe dans le mille » (« Hits the spot »). En somme, il semblerait que BAT cherche moins à informer les fumeurs sur le Vype ePen3 qu’à attirer une nouvelle clientèle. C’est ce que révèle un document de la multinationale, dans lequel elle se félicite de sa stratégie visant à séduire de nouveaux consommateurs a priori peu attirés par le tabac combustible.
À la mi-novembre, la situation a été dénoncée d’une seule voix par quatre groupes de santé : la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), Médecins pour un Canada sans fumée, l’Ontario Campaign for Action on Tobacco et Action on Smoking & Health. En conférence de presse, ils ont réclamé le respect de la loi fédérale ainsi qu’un renforcement de la réglementation afin que la publicité sur les produits de vapotage soit vue seulement par des adultes ou des fumeurs, par exemple, en l’insérant dans les produits de tabac.
Le Québec, heureusement, échappe en grande partie à ces publicités, grâce à la Loi concernant la lutte contre le tabagisme. En effet, celle-ci limite aux points de vente et aux « journaux et magazines écrits dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs » les publicités qui sont destinées au grand public, et leur impose de nombreuses conditions.
Des énoncés trop cléments
Une semaine avant la conférence de presse des quatre groupes de santé, la CQCT dénonçait une autre réglementation touchant les cigarettes électroniques : les énoncés à paraître sur les publicités pour les produits de vapotage. Dans une lettre envoyée à Santé Canada, le groupe de santé a exigé que ces énoncés reflètent mieux la réalité quant aux risques relatifs du vapotage et du tabagisme. La CQCT estime profondément inadéquats ceux qui ont été proposés, car ils exagèrent les avantages du vapotage tout en minimisant ses risques (voir l’encadré). Concrètement, ces énoncés insistent lourdement sur le fait que la substitution complète du tabac par un produit de vapotage permet de réduire l’exposition à des substances toxiques et, donc, de limiter les dommages à la santé.
Or, l’usage réel des cigarettes électroniques est beaucoup plus nuancé, rappelle la CQCT. D’abord, environ les deux tiers des Canadiens qui ont vapoté dans les 30 derniers jours sont également des fumeurs. De plus, l’efficacité des cigarettes électroniques pour l’abandon du tabac reste à démontrer, certaines études concluant même que celles-ci diminuent la probabilité de se libérer du tabac! Enfin, chez les jeunes, il existe une corrélation positive entre vapotage et tabagisme.
En somme, les énoncés de risque relatif proposés par Santé Canada sont incomplets. Selon la CQCT, ils renseignent mal les fumeurs sur la probabilité que la cigarette électronique les libère du tabac et améliore leur santé. L’organisme québécois en réclame donc de nouveaux qui favoriseront une compréhension plus juste et complète des risques et avantages reliés à ces produits.
Quels énoncés sur les publicités pour les produits de vapotage?
Santé Canada propose sept énoncés de risque relatifs qui paraîtraient sur les publicités pour les produits de vapotage. Des groupes de santé, dont la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), proposent que ceux-ci soient plus représentatifs des dangers réels de ces produits. Voici quatre des sept énoncés proposés, avec la contreproposition de la CQCT.
Les États-Unis resserrent la vis
Aux États-Unis, au contraire, l’encadrement des cigarettes électroniques prend un tournant plus ferme. Là-bas, pas moins de 20,8 % des jeunes de 14 à 18 ans ont vapoté au cours des 30 derniers jours, soit 78 % de plus qu’en 2017, selon les Centers for Disease Control and Prevention. Pour Scott Gottlieb, le commissaire de la U.S. Food and Drug Administration (FDA), il s’agit d’une « épidémie ». C’est pourquoi, le 15 novembre 2018, il a annoncé son intention de mettre en œuvre plusieurs mesures visant à mieux protéger ces derniers contre les produits de tabac et de vapotage. À terme, la vente de toutes les cigarettes électroniques comportant des saveurs – sauf celles de menthe, de menthol et de tabac – devrait être réservée à des commerces qui n’admettent pas les mineurs ou, encore, aux sites Web qui vérifient l’âge des internautes à l’aide de moyens respectant les meilleures pratiques. De plus, la FDA souhaite interdire toutes les saveurs dans les cigarettes et les cigares, incluant le menthol, comme c’est déjà le cas au Canada et au Québec.
Le dirigeant de la FDA l’a répété dans sa déclaration du 15 novembre : permettre aux adultes qui le souhaitent d’obtenir de la nicotine sans fumée, par l’entremise d’une cigarette électronique, « ne peut pas et ne doit pas se faire au détriment d’une génération d’enfants dépendants à la nicotine ». (notre traduction) Il a aussi promis de revoir les mesures annoncées si celles-ci ne suffisent pas à diminuer le vapotage chez les jeunes.
Les demi-mesures de l’industrie
À la suggestion de la FDA, les manufacturiers des produits de vapotage se sont engagés à agir, mais pour les groupes de santé, leurs gestes ne vont pas assez loin. Imperial Brands, par exemple, a restreint les ventes en ligne de sa cigarette électronique blu aux personnes de 21 ans ou plus, mais a conservé tous ses produits comportant des saveurs. De son côté, JUUL Labs a promis de retirer ses produits aromatisés de quelque 90 000 points de vente accessibles aux mineurs aux États-Unis. Mais cet engagement n’a pas dépassé les frontières américaines : au Canada, ces produits avec de la nicotine si populaires auprès des jeunes sont vendus dans tous les dépanneurs.
Pour sa part, Santé Canada n’a pas cru bon de renforcer les règles à la suite des États-Unis, se contentant de rappeler dans une déclaration qu’elle « continue de surveiller attentivement le marché […] pour déceler les signes d’une augmentation de l’usage de produits de vapotage chez les jeunes ». Pour les groupes de santé, il est urgent, au contraire, que l’organisme fédéral rédige promptement des énoncés plus réalistes pour les produits de vapotage et exige le respect des règles sur la publicité contenues dans la Loi sur le tabac et les produits de vapotage.
Anick Labelle
Correction : Une version précédente de cet article rapportait erronément que Santé Canada a mené une consultation sur des mises en garde pour les emballages des produits du vapotage. En réalité, ce sont des énoncés de risque relatif à paraître sur les publicités des produits du vapotage qui ont été soumis à la consultation.
Correction : Une version précédente de cet article rapportait erronément que 20,8 % des jeunes de 15 à 19 ans ont vapoté au cours des 30 derniers jours en 2018. C’est plutôt le cas de 20,8 % des jeunes de 14 à 18 ans.