Interdire la cigarette dans les parcs : une initiative justifiée?

Règlements municipaux
Après avoir banni le tabac de nombreux lieux intérieurs – des bars aux taxis, en passant par les écoles et les centres communautaires -, on l’interdit de plus en plus dans les espaces verts extérieurs. L’objectif, bien sûr, est toujours de limiter les méfaits de la fumée secondaire. Mais l’interdiction du tabac dans les parcs, les plages, les terrains de sport et les terrains de jeux ne fait pas l’unanimité.

Environ 70 municipalités canadiennes interdisent présentement la fumée dans ces espaces extérieurs, selon l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), qui s’en félicite. Sur le lot, il y a seulement deux villes québécoises : Côte Saint-Luc, sur l’île de Montréal, et L’Ancienne-Lorette, dans la région de Québec. Sur les quelque 1000 municipalités de la province, c’est peu! Les fumeurs, pourtant, ne se lamenteraient guère de ces mesures. « Nous n’avons reçu aucune plainte au sujet de notre règlement et les citoyens que nous avons avertis ont bien réagi », dit Marie-Ève Lemay, directrice du cabinet du maire de L’Ancienne-Lorette.

Au Québec, ces règles municipales sont plus sévères que la Loi sur le tabac. En ce qui concerne les lieux extérieurs, cette dernière proscrit seulement le tabac dans les abribus, les tentes et les chapiteaux accessibles au grand public, de même que sur les terrains des écoles et des centres de la petite enfance, et à moins de neuf mètres d’une porte donnant accès à une école, un établissement de santé ou un centre de loisirs pour les jeunes.

La fumée secondaire extérieure : un danger réel

Ces initiatives municipales sont judicieuses, estime Stanton Glantz, auteur du célèbre The Cigarette Papers (University of California Press, 1998) et professeur au Center for Tobacco Control Research and Education (CTCRE), en Californie. « Ils protègent les gens d’une exposition à de fortes concentrations de fumée secondaire et contribuent au développement d’une société sans tabac », écrit-il dans un courriel à Info-tabac. En effet, une étude de l’Université Stanford note qu’« il est possible que la fumée secondaire extérieure soit élevée et représente […] un risque ». Par exemple, lorsqu’on « soupe avec un fumeur sur une terrasse extérieure [ou qu’on] s’assoit près d’un fumeur sur un banc de parc ». La même étude indique toutefois que, à l’extérieur, « la fumée secondaire […] disparaît presque instantanément dès que la source de tabac s’éteint ».

Bref, la fumée secondaire extérieure n’est pas sans danger. Par contre, elle présente plus de risques à l’intérieur, écrivent les chercheurs. En effet, entre quatre murs, la fumée secondaire peut persister pendant des heures, voire des jours après que la cigarette ou le cigarillo ait été écrasé. C’est pour cette raison, entre autres, qu’il y a un débat autour de la prohibition du tabac dans les espaces extérieurs.

Dénormaliser la cigarette

Alors, qu’en pensent les groupes prosanté de la province? Le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) a une position très nuancée : il ne revendique pas l’interdiction du tabac dans les parcs ou les terrains de jeu, mais supporte les organismes qui le font. « Nos revendications ciblent plutôt les comportements dont les dangers ont clairement été démontrés par la science, explique Mario Bujold, directeur général du CQTS. Or, interdire le tabac dans les parcs relève davantage de la santé publique, dans le sens où cela dénormalise la cigarette et donne l’exemple d’un monde sans fumée aux enfants. »

La ville de New York interdit de fumer dans ses parcs.

« Interdire le tabac dans les parcs ou les terrains de jeu touche moins la santé que l’environnement », renchérit le directeur du bureau québécois de l’ADNF, François Damphousse. En d’autres mots, cela sert moins à préserver notre santé qu’à réduire le nombre de mégots sur le sol. Ce qui n’est pas rien! En effet, les mégots représentent le résidu le plus fréquent aux abords des mers et des rivières, rapporte Ocean Conservancy. En 2010, l’organisme a ramassé plus de deux millions de mégots sur les rivages d’une centaine de pays.

Enfin, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) appuie l’interdiction du tabac sur les terrains de jeu pour enfants. « Ils y côtoient les adultes de proche, ce qui augmente le risque qu’ils respirent de la fumée secondaire », explique Flory Doucas, porte-parole de l’organisme. À l’instar du CQTS, la CQCT estime aussi que ce type de mesure contribue à dénormaliser le tabac en donnant l’exemple d’adultes non-fumeurs aux enfants.

Une vraie priorité?

Certains militants prosanté jugent néanmoins sévèrement les mesures antitabac qui visent les milieux extérieurs. Le professeur australien Simon Chapman, par exemple. Le récipiendaire 2003 du prix Luther L. Terry pour son leadership exceptionnel dans le contrôle du tabac écrivait en 2000, dans Tobacco Control, que ces règlements peuvent amener des citoyens à voir les militants prosanté comme des personnes intolérantes et, par conséquent, à rejeter d’autres politiques antitabac.

Le professeur Chapman n’a pas changé d’avis depuis. Par contre, à l’instar de bien des groupes prosanté, il supporte l’interdiction du tabac dans les endroits extérieurs où les gens sont tassés, comme les terrasses et les stades. Il voit aussi d’un oeil favorable l’absence de tabac dans les lieux extérieurs qui accueillent un grand nombre d’enfants, comme les terrains de jeu.

« La science a clairement démontré que, sur les terrasses, la fumée secondaire affecte notamment les employés qui la respirent à tous les jours », explique François Damphousse. Elle a aussi démontré que la fumée secondaire est présente dans les espaces verts, du moins lorsqu’il y a un fumeur à proximité. Sans compter que moins de tabac rime avec moins de mégots. Pour bien des municipalités, il semble que ce soit des raisons suffisantes pour interdire cigarettes, pipes et cigarillos des parcs et des terrains de jeu.

Anick Perreault-Labelle