De nouvelles mises en gardes sont requises
Mai 2006 - No 63
Une nouvelle méthode de recherche appelée « neuromarketing » a récemment confirmé l’urgence de renouveler les mises en garde de santé illustrées qui figurent sur les paquets de cigarettes vendus au Canada. Une équipe de recherche montréalaise a étudié l’activité du cerveau de fumeuses et de non-fumeuses à qui on a présenté la série d’avertissements. Elle conclut que ces derniers sont efficaces s’ils sont renouvelés périodiquement, contrairement à ce qui a été rapporté par plusieurs grands médias.
Renouvellement en cours
C’est au Canada que les premières mises en garde illustrées sont apparues sur les emballages de produits du tabac. Cette innovation est depuis imitée à travers le monde. Santé Canada se charge de renouveler périodiquement ces avertissements exigés en vertu de la section 17 de la Loi sur le tabac fédérale. En effet, le public devient moins réceptif à ces messages l’avertissant des méfaits du tabac lorsqu’il y est exposé de façon continue.
« La politique fédérale en matière de réglementation exige que les Canadiens et Canadiennes soient consultés et aient l’occasion de participer à l’élaboration ou à la modification des règlements et des programmes réglementaires, a expliqué Christine Belle-Isle, gestionnaire de la réglementation au Programme de la lutte au tabagisme fédéral et responsable de la production de la nouvelle série de mises en garde. C’est pourquoi Santé Canada prévoit divers projets de recherche d’opinion publique et d’autres d’ordre quantitatif au cours de la prochaine année. » Selon elle, les nouvelles mises en garde pourraient faire leur apparition d’ici 2008.
Ces consultations serviront à conclure avec diligence les démarches de renouvellement débutées en 2004. Un document de consultation, produit en août 2004, indique que Santé Canada devrait normalement implanter de nouveaux modèles d’avertissements tous les deux ans. Or, la série figurant actuellement sur les paquets date de l’an 2000.
Évaluation objective
« Nous avons observé que les fumeurs ne regardent plus les avertissements. Il faudrait que la mise à jour soit plus fréquente, tous les 3 à 6 mois idéalement », a indiqué Maurice Ptito, professeur en neurosciences visuelles à l’Université de Montréal et l’un des trois auteurs de la récente étude de neuromarketing. Avec Jean-Charles Chebat, spécialiste en marketing et professeur à l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC), le professeur Ptito a contribué à cette recherche préliminaire dans le cadre du projet de maîtrise en éducation de Shoshanna Campbell, qui cherche tout d’abord à trouver des solutions à l’insensibilité des jeunes aux campagnes illustrant les méfaits du tabagisme.
L’équipe juge que pour être efficaces, les messages de contremarketing du tabac doivent faire référence à la gravité de la pathologie du tabagisme, être ancrés dans la réalité de ce qui arrive aux gens qui fument, être assez courts et utiliser une imagerie qui a beaucoup d’impact, comme ceux de la campagne de dénormalisation De Facto : La vérité sans filtre. « C’est dommage que ce projet n’ait pas continué, c’est exactement ce qu’il faudrait avoir comme messages », a commenté le professeur Ptito.
En plus de leur expertise en marketing, les chercheurs se sont servis du neuromarketing pour évaluer l’efficacité des messages publicitaires, grâce au soutien financier de l’Initiative canadienne de recherche pour la lutte contre le tabagisme. Ils ont examiné par imagerie à résonance magnétique l’activité des différentes zones du cerveau de 12 fumeuses et 12 non-fumeuses pour 15 mises en garde présentement en circulation. Ces enregistrements ont été analysés à la lumière des fonctions associées aux régions cérébrales les plus actives.
On a ensuite comparé ces résultats à ceux d’un questionnaire-type standardisé appelé « échelle ADSAM », couramment employé pour évaluer comment les gens traitent l’information qu’ils reçoivent. « Cette technique permet de valider si ce qui se passe objectivement dans leur cerveau correspond à ce que les gens disent percevoir, ce qui élimine la subjectivité des réponses obtenues par des méthodes d’évaluation traditionnelles comme les focus-groupes », a précisé Maurice Ptito.
Couverture médiatique déformée
Le but de l’étude préliminaire était donc d’objectiver la méthode d’évaluation des mises en garde illustrées et non d’en démentir la pertinence et l’efficacité prouvées par de nombreuses autres études. « Les résultats du questionnaire subjectif collaient parfaitement à notre interprétation des résultats de l’imagerie par résonance magnétique. Les images plus choquantes comme les dents jaunies, les poumons noircis et d’autres images d’organes endommagés engendrent un plus grand sentiment d’aversion, surtout chez les non-fumeuses, a rapporté Mme Campbell. Mais il faut confirmer cette hypothèse auprès d’un plus large échantillon de sujets. » Malheureusement, plusieurs médias ont mal interprété ces résultats en rapportant que les mises en garde sont totalement inefficaces.
Efficacité prouvée
Cette nouvelle a laissé plus d’un expert de la lutte antitabac perplexe, incluant Garfield Mahood, directeur de l’Association pour les droits des non-fumeurs du Canada. Ils se demandaient comment cette étude a pu démentir des décennies de travail de recherche en communications, en marketing et en sciences sociales. « D’après les coupures de presse que j’ai vues, j’ai eu l’impression que les chercheurs étaient mal informés », a soulevé M. Mahood, qui a effectué une revue exhaustive des évaluations de l’efficacité des mises en garde illustrées pour le compte de l’Organisation mondiale de la santé.
Pourtant, l’équipe de Mme Campbell est unanime au sujet de la présence des mises en garde sur les emballages : « On doit les garder. Mais il y aurait tout de même lieu d’améliorer leur valeur promotionnelle. Il faut s’attaquer au déni que les fumeurs démontrent par rapport à ces messages. »
Selon la dernière évaluation d’impact des mises en garde, 51 % des fumeurs adultes et 55 % des jeunes fumeurs affirment qu’elles augmentent leur désir de cesser de fumer. Cependant, cet effet s’estompe avec le temps.
Julie Cameron