Un premier centre jeunesse sans fumée à Montréal

En 2011, le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire a décidé d’interdire complètement le tabagisme dans l’ensemble de ses installations. Quatre ans plus tard, l’ambitieux projet connaît un réel succès.

Info-tabac centre jeunesse sans fumée

Imaginez plus de 1000 jeunes aux prises avec des problèmes de comportement et de communication qui cohabitent. Imaginez aussi que 65 % d’entre eux fument quotidiennement. Imaginez, enfin, que vous leur interdisiez de consommer du tabac, même à l’extérieur. Impossible? C’est pourtant ce qu’a réussi à faire le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU). D’ici fin 2015, ce centre jeunesse sera le deuxième au Québec – après celui de l’Abitibi-Témiscamingue – à devenir un établissement sans fumée.

Le tabac : un problème à plusieurs facettes

« Ç’a été un gros projet pour nous, notamment parce nous avons 45 points de service », dit Marie-Josée Lemieux, chef du service de santé du CJM-IU. Sans compter quelque 1100 adolescents et enfants et plus de 3000 employés. Le centre jeunesse est allé de l’avant avec cet important projet pour plusieurs raisons. D’abord et avant tout, parce que 65 % des jeunes du centre fument la cigarette chaque jour, selon une étude de 2012 de l’Agence de santé et de services sociaux de Montréal (chez l’ensemble des élèves de la 6e année du primaire à la 5e année du secondaire, c’est moins de 2 % qui fument quotidiennement et 12 % qui ont fumé dans les 30 derniers jours, rapporte l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, 2013). « On savait aussi que beaucoup de jeunes commencent à fumer pendant leur séjour en centre jeunesse », regrette Marie-Josée Lemieux. Enfin, l’usage du tabac au centre entraînait des problèmes d’ordre légal. En effet, alors que la Loi sur le tabac interdit aux adultes d’acheter des produits du tabac à un mineur, certains éducateurs en procuraient à des jeunes qui avaient obtenu de leurs parents la permission de fumer, mais n’avaient pas de cigarettes.

La Direction de santé publique de Montréal : un partenaire essentiel
Marie-Josée Lemieux, chef du service de santé du CJM-IU
Marie-Josée Lemieux, chef du service de santé du CJM-IU

Pour amener les jeunes du centre à diminuer ou arrêter leur consommation de tabac, un comité mandaté par le CJM-IU décide d’abord d’en interdire l’usage uniquement chez les jeunes. Une réflexion plus poussée – soutenue par l’équipe-tabac de la Direction de santé publique (DSP) de Montréal – amène toutefois le centre jeunesse à interdire le tabac à l’ensemble des résidants et du personnel. Bref, à devenir un établissement sans fumée. « Les intervenants sont des modèles pour les jeunes : leur permettre de fumer envoyait un drôle de message!, dit Mme Lemieux. D’ailleurs, que tout le monde arrête de fumer en même temps a beaucoup contribué au succès du projet. » Devenir un établissement sans fumée demandait toutefois plus que de simplement fixer une date à partir de laquelle le tabac serait interdit. « Les jeunes se seraient retrouvés seuls face à leur manque de nicotine et les intervenants auraient eu à gérer leurs crises, explique Mme Lemieux. C’est pourquoi nous avons prévu la gestion des envies de fumer ainsi que l’aide qu’on apporterait aux jeunes et aux intervenants pour surmonter leur dépendance. »

Le Centre jeunesse de Montréal
c’est 45 points de service,
1100 adolescents et enfants
et plus de 3000 employés.

Un projet collectif

Le centre jeunesse s’est donné environ un an – de septembre 2014 à décembre 2015 – pour mener cela à bien. Pour orchestrer le tout, un coordonnateur avec une longue expérience en centre jeunesse a été embauché : Ronald Chartrand. Le CJM-IU a aussi bénéficié de l’aide de la DSP de Montréal et de plusieurs centres d’abandon du tabagisme des Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Les 45 points de service du CJM-IU ont d’abord été divisés en quatre groupes. Chaque groupe a eu ou aura cinq mois pour se débarrasser du tabac. Le siège social et le bureau Est du centre jeunesse (où travaille Mme Lemieux) appartenaient à la première cohorte. L’équipe dédiée au projet a d’abord consulté tous les intéressés, dont les psychoéducateurs, la haute direction, les syndicats, les comités de résidants (qui regroupent les jeunes) et les comités d’usagers (qui regroupent les jeunes et leurs parents). « Nous voulions que tous s’expriment afin de pouvoir répondre le plus adéquatement possible à leurs appréhension  », explique Mme Lemieux. Par la suite, des activités ont été organisées pour les jeunes, afin que ceux-ci se sentent parties prenantes. Chaque unité, par exemple, a dû décider comment gérer l’absence de tabac (une unité est une maison dans laquelle habitent 12 jeunes et leurs intervenants). « Les propositions des jeunes devaient être structurées et présentées à la direction », précise Mme Lemieux. Certaines unités ont décidé d’éliminer progressivement les pausestabac quotidiennes autorisées; d’autres ont décidé que les jeunes sortiraient un à un pour aller fumer (plutôt qu’en groupe); d’autres encore ont remplacé les pausestabac par des séances d’aki. Les unités ont aussi été invitées à créer une affiche sur la fin du tabac au centre. Celles-ci ont été exposées dans la cafétéria et chacun a voté pour sa préférée.

Le médecin et les infirmiers du site Mont-Saint-Antoine du Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire ont travaillé fort pour transformer leur centre jeunesse en un établissement sans fumée. Ici, ils posent devant l'affiche qui a été votée la plus belle pour illustrer ce passage vers un lieu de vie libéré du tabac.
Le médecin et les infirmiers du site Mont-Saint-Antoine du Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire ont travaillé fort pour transformer leur centre jeunesse en un établissement sans fumée. Ici, ils posent devant l’affiche qui a été votée la plus belle pour illustrer ce passage vers un lieu de vie libéré du tabac.
Des méthodes à inventer

Marie-Josée Lemieux et son équipe ont rencontré un autre problème : le fait que, lorsqu’il est question de tabagisme chez les jeunes, on parle toujours de prévention. Or, au CJM-IU, il s’agissait plutôt de cessation. À ce niveau, malheureusement, tout reste à faire. Par exemple, Santé Canada ne recommande pas l’usage des timbres, gommes et pastilles à la nicotine chez les mineurs parce qu’aucune étude n’a étudié cette population. Les jeunes du centre peuvent toutefois obtenir une prescription à la suite d’une rencontre avec un médecin. Le centre a aussi contacté les parents des jeunes pour leur expliquer leur nouvelle politique et leur demander de soutenir leur enfant dans ce projet. La lettre leur indiquait aussi à qui s’adresser s’ils souhaitaient eux-mêmes arrêter de fumer. Le centre d’abandon du tabagisme du CSSS de la Pointe-de-l’Île a été d’une grande aide dans cette aventure. Il a notamment offert du counseling individuel et organisé des kiosques d’information et des ateliers sur le tabagisme. « Ces derniers étaient tout sauf moralisateurs, précise Marie-Josée Lemieux. Ils amenaient les jeunes à discuter sur les composants des cigarettes, sur la définition de la dépendance, sur l’impact du tabac sur leur niveau de stress, etc. »

Enfin, la veille de l’interdiction formelle du tabac, de nombreuses activités ont marqué le coup : dîner spécial, humoristes de la relève, partie de soccer sumo et une immense pinata en forme… de cigarette. Les employés n’ont pas été oubliés. Les adultes ont pu bénéficier, pendant leurs heures de travail, de counseling individuel du centre d’abandon du tabagisme. Enfin, les employés ont droit à une petite échappatoire : un fumoir sur le terrain du centre, mais à l’écart des unités et de l’école. Le CJM-IU évaluera sous peu le nombre de jeunes et d’employés qui ont cessé de fumer grâce à cette nouvelle politique. Mais, d’ores et déjà, les rumeurs veulent que plusieurs employés aient écrasé. Histoire d’avoir une meilleure santé et d’être de meilleurs modèles pour les jeunes!

Anick Perreault-Labelle