Hausse de taxes réclamée de 10 $ par cartouche de cigarettes
Novembre-Décembre 1999 - No 29
Perdant patience face aux hausses symboliques des dernières années, le lobby antitabac canadien réclame une majoration substantielle de taxes.
Le 25 octobre, en conférences de presse parallèles à Ottawa et à Montréal, l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), Médecins pour un Canada sans fumée (MCSF) et la Société canadienne du cancer (SCC) ont exigé des gouvernements québécois, ontarien et fédéral des hausses de taxes combinées dau moins 10 $ par cartouche de cigarettes. Pour le Québec, cette majoration élèverait le prix du paquet de 25 cigarettes de 4 $ à 5,25 $ environ.
Rappelons que le 8 février 1994, pour endiguer la contrebande du tabac qui sévissait principalement au Québec, les gouvernements libéraux de Daniel Johnson et de Jean Chrétien avaient réduit leurs taxes sur les cigarettes québécoises d’environ 24 $ la cartouche. Cette chute spectaculaire de 3 $ le paquet (5,85 $ à 2,85!) a eu pour effet d’enrayer rapidement la contrebande des cigarettes canadiennes qui transitaient par les États-Unis, mais aussi toutefois, de créer un nouveau réseau de contrebande entre les provinces, depuis le Québec.
Après avoir tenté avec l’appui de toutes les provinces anglophones de renverser cette initiative d’Ottawa-Québec, l’Ontario s’était résignée, deux semaines plus tard, à réduire à son tour le prix des cigarettes, de presque moitié, à cause de la contrebande qui affluait depuis la belle province. « Cette mesure me répugne, avait admis le trésorier néo-démocrate de l’Ontario, Floyd Laughren. Les pertes seront de 500 millions $ cette année et elles devront être compensées par des compressions ailleurs, vraisemblablement dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation. »
À l’exception de Terre-Neuve, les provinces atlantiques avaient dû suivre le mouvement à la baisse. La politique unilatérale d’Ottawa, qui demeure en vigueur, était en quelque sorte : « Nous réduisons nos taxes de 5 $ la cartouche partout au pays. Si des provinces veulent baisser les leurs de plus de 5 $, nous les suivons! » Ainsi, les taxes fédérales varient encore beaucoup d’un océan à l’autre. Pour un même paquet, les fumeurs de Colombie-Britannique paient bien plus de taxes fédérales que ceux du Québec ou de l’Ontario.
Cette baisse spectaculaire devait être temporaire. Dans une entrevue à La Presse, parue le 11 février 1994, Jean Chrétien avait déclaré : « Dans un an, dépendant de la vitesse où on contrôlera la maladie, je pense qu’on pourrait revenir là où on était cette année et la deuxième année, les revenus recommenceront à être substantiels. » Pour sa part, Daniel Johnson avait affirmé son intention d’augmenter les taxes sur le tabac une fois que les réseaux de contrebandiers seraient démantelés.
Quant à Guy Chevrette, alors leader parlementaire de l’opposition, il accusait le gouvernement Johnson de laxisme en ayant laissé un réseau de contrebande se former, se financer, se développer et s’armer. Il réclamait « une commission d’enquête en mesure de faire parader les têtes du réseau, de les démasquer et de faire l’éducation du public ». Porté au pouvoir cette année-là, le Parti québécois n’a pas encore institué de commission d’enquête à ce sujet.
Une recension des dommages
En appui à leur requête d’augmenter substantiellement les taxes, les quatre groupes ont rendu public une étude intitulée Une recension des dommages résumant l’historique de la contrebande, l’implication des fabricants, les pertes en taxation et les dommages à la santé publique.
En plus de la hausse de taxation de 10 $ la cartouche, cette étude recommande des mesures pour prévenir la contrebande. Elle réclame l’élimination de l’échappatoire que constituent le tabac à rouler et les bâtonnets de tabac. Les groupes exigent que le fédéral investisse 120 millions $ par année dans la lutte au tabagisme. Ils demandent la fin des exemptions pour les boutiques hors-taxes, à l’image de ce qui s’est fait entre les pays européens, de même qu’une politique sérieuse de taxation et surveillance des exportations.
40 % plus cher aux États-Unis
L’argumentation principale de l’étude repose sur le fait que les cigarettes américaines sont maintenant largement plus dispendieuses que celles du Québec et de l’Ontario. À cause de nouvelles taxes aux États-Unis, du coût de l’entente globale entre les fabricants et les États américains (refilé aux fumeurs par des hausses de prix), et de la faiblesse du dollar canadien, le prix moyen dune cartouche est maintenant d’environ 48 $ CAN dans l’État de New York, dans le Maine et dans le Vermont, trois voisins du Québec. Au New Hampshire, il est de 45 $ CAN.
Les cigarettes étant environ 40 % plus chères chez nos proches voisins du Sud, la crainte de contrebande est donc totalement injustifiée. De plus, ces prix s’appliquent aux marques américaines, qui n’ont pas la faveur des fumeurs canadiens.
Signalons que le marché américain du tabac est totalement différent du nôtre : le type de tabac, les marques et le format des paquets sont distincts. Cette particularité est une embûche à la contrebande, du fait que tout mouvement important de cigarettes de type canadien, hors du pays, devient un sérieux indice de contrebande.
Pertes fiscales inouïes
Le rapport des quatre groupes note que les trésors publics ont énormément souffert de la baisse des taxes depuis 1994. Selon des estimations conservatrices, le gouvernement fédéral a perdu 2,9 milliards $ en cinq ans; les cinq provinces qui se sont ralliées à la baisse ont, quant à elles, perdu 2 milliards $. Ces estimations sont basées sur les revenus fiscaux de 1993, lesquels étaient passablement réduits à cause de la contrebande.
L’élimination de la contrebande, sans baisses de taxes, aurait engendré des recettes encore bien supérieures, explique Francis Thompson de lADNF, un des auteurs du rapport. En effet, si la perte combinée était calculée en fonction des revenus de 1991, avant la crise de la contrebande, elle serait de plus de 9 milliards $, au lieu de 4,9 milliards $!
Impact sur le tabagisme
Les auteurs ont comparé la consommation de cigarettes per capita, de 1990 à 1998, entre les provinces touchées par la contrebande et la baisse des taxes, et celles des provinces épargnées par ces deux fléaux. Durant ces huit années, la consommation a chuté de 24 % dans les provinces à taxes élevées, et de seulement 8 % dans les autres. En terme de santé publique, cette différence de 16 % (de la consommation totale) est énorme, puisqu’elle aboutit par la suite en épidémies de cancers, d’emphysèmes et de maladies cardiaques.
Hausse minime de 15 ¢ le paquet?
Représentant la Société canadienne du cancer, Louise Labrie est découragée de la rumeur selon laquelle les gouvernements ne hausseraient les taxes que de 15 ¢ le paquet, ce qui fait 1,20 $ la cartouche.
« De toutes les politiques qui ont été essayées à ce jour, les taxes élevées sur le tabac sont la plus efficace pour empêcher les jeunes de fumer, souligne-t-elle. Une petite augmentation de 15 ¢ le paquet n’aurait pas d’effet appréciable. Cela fait penser à des pompiers qui tentent d’éteindre un incendie majeur avec des seaux et quelques litres d’eau. Depuis cinq ans, le Québec vit une véritable catastrophe aves ses cigarettes à bas prix. Il faut en finir avec ces petites augmentations symboliques. »
Constatant les débordements du système de santé québécois, Louis Gauvin, coordonnateur de la CQCT, fait valoir qu’une hausse substantielle de la taxation du tabac pourrait avoir deux retombées favorables : injecter de l’argent neuf dans la santé et réduire le fardeau des maladies liées au tabagisme. Il rappelle que cette habitude tue quelque 12 000 Québécois par année.
Denis Côté