Fumer ne garde pas les filles plus minces mais peut nuire à la croissance des garçons

Fumer pourrait avoir des conséquences encore inconnues sur le développement corporel des adolescents et des adolescentes, mais cela n’a certainement pas l’effet amincissant que certaines adolescentes imaginent. De plus, le tabagisme pourrait avoir un effet que les garçons en train de grandir risquent de juger indésirable.

Autant entre 12 et 15 ans qu’entre 15 et 17 ans, les garçons qui fument quotidiennement ne grandissent pas tout à fait autant que les garçons qui fument moins souvent ou ne fument pas. En outre, leur indice de masse corporelle (IMC), obtenu en divisant leur poids par le carré de leur taille, croît moins que l’IMC des garçons qui fument moins souvent ou ne fument pas. Par contre, le degré d’adiposité de ces garçons, mesuré par l’épaisseur du pli de peau au triceps, n’est pas significativement affecté dans sa variation.

Ces découvertes proviennent d’une longue étude pilotée par l’épidémiologiste Jennifer O’Loughlin, professeure au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal. Elles ont été publiées en mars dans la revue scientifique Annals of Epidemiology.

Dans leur article, Jennifer O’Loughlin, Igor Karp, Melanie Henderson et Katherine Gray-Donald montrent également que le fait de fumer n’a pas d’influence détectable sur l’IMC, le degré d’adiposité et la grandeur des filles, aux mêmes âges.

Une étude de longue haleine

En vingt occasions, de 1999 à 2004, à intervalles réguliers de trois mois, l’équipe de la professeure O’Loughlin a interrogé par écrit 1 293 élèves de dix écoles secondaires, écoles anglophones ou francophones, dans divers milieux socio-économiques de Montréal et des alentours. On a questionné ces adolescents et adolescentes sur leurs habitudes en matière d’alimentation, de tabagisme et d’activité physique, ainsi que sur leur degré d’inquiétude vis-à-vis de leur poids. Des questions visaient aussi à cueillir des données sur les caractéristiques socio-économiques du ménage dont était issu l’élève.

À la première visite des chercheurs, de même qu’à la douzième et à la dix-neuvième, des assistants de recherche qualifiés ont aussi mesuré la grandeur, au millimètre près, le poids, au cinquième de kilogramme près, et le degré d’adiposité, au demi-millimètre près, des sujets présents.

À défaut d’être parfaitement aléatoire, l’échantillon qui a servi à tirer les conclusions de l’article se voulait quand même représentatif de l’univers étudié, celui de l’adolescence. Il était composé de 451 garçons et 478 filles. 28 % des garçons de l’échantillon avaient déjà fumé au moins une cigarette au début de leur première année à l’école secondaire, contre 26 % des filles. Entre 12 et 15 ans, 7 % des garçons et 13 % des filles fumaient 30 cigarettes et plus par mois (tabagisme quotidien). Entre 15 et 17 ans, c’était encore 7 % des garçons mais plus de 15 % des filles qui fumaient quotidiennement. Au fil des années, pendant qu’on les étudiait, les jeunes fumeuses et surtout les jeunes fumeurs ont aussi énormément augmenté leur consommation mensuelle.

Pas d’effet amincissant chez les filles

Une étude américaine parue en 2004 avait montré que, chez les filles qui font de l’embonpoint ou qui se considèrent elles-mêmes trop grosses, à raison ou à tort, l’inclination à se mettre à fumer est un peu plus forte que chez les adolescentes en général. Dans leur article de mars dernier, O’Loughlin et compagnie admettent qu’il est possible que le gain de poids observé chez les adolescentes fumeuses dans l’échantillon eût été plus grand si ces dernières n’avaient pas fumé. Mais si le tabagisme avait comme effet d’empêcher la prise de poids entre 12 et 17 ans, cet effet est si faible qu’il est indiscernable. L’effet est indétectable, même avec un modèle explicatif tenant compte de variables comme la mauvaise alimentation et l’inactivité physique, des comportements peut-être plus fréquents chez les jeunes fumeuses que chez les filles en général. À part de s’imposer des coûts à la santé et au portefeuille, les adolescentes fumeuses ne récoltent donc rien en fumant, et les scientifiques croient que les adversaires du tabagisme peuvent mettre l’accent sur ce fait dans leurs messages adressés aux filles.

Troublantes corrélations chez les garçons

Plusieurs études scientifiques avaient révélé que les garçons précocement pubères sont plus enclins que les autres à commencer à fumer tôt. Et de fait, l’IMC mesuré lors du début de cette recherche était en moyenne un peu plus élevé chez les garçons qui fumaient quotidiennement que chez les autres garçons, comme s’ils étaient physiquement plus avancés que les autres. En revanche, la grandeur et le degré d’adiposité des fumeurs de 12 ans ne différaient pas significativement de ceux des autres garçons de leur âge.

En élaborant un modèle explicatif pour tenir compte du régime alimentaire et du niveau d’activité physique des sujets durant l’étude, ainsi que de leur âge précis et de leur taille au début de chacune des deux sous-périodes d’étude, les scientifiques ont pu observer que les garçons qui fumaient quotidiennement ont un peu moins grandi que leurs confrères qui fumaient moins ou ne fumaient pas du tout. Les chercheurs sont parvenus à estimer qu’un garçon qui fumerait en moyenne 10 cigarettes par jour pendant deux ans et demi entre l’âge de 12 et de 17 ans grandirait de 2,5 centimètres de moins que son camarade qui aurait les mêmes habitudes alimentaires et d’activité physique mais n’aurait pas fumé.

Reste à vérifier par d’autres études si les centimètres manquants s’expliquent uniquement par la consommation de tabac, ou s’ils s’expliquent par la consommation de tabac couplée au fait que le tabagisme recrute une part significative de ses adeptes chez des garçons qui auraient déjà réalisé une partie de leur potentiel de croissance avant l’âge de 12 ans (âge qu’ils avaient au début de l’étude). En attendant que la science clarifie cette question, les garçons sauront quand même à quoi s’en tenir.

Avec son projet de recherche, Jennifer O’Loughlin s’attendait à être bien reçue par les élèves et le personnel des écoles visitées. L’accueil a plutôt été enthousiaste. Ce sont des jeunes sujets de l’étude eux-mêmes qui, lors d’un concours, ont proposé de baptiser la recherche NDIT, pour Nicotine Dependence in Teens, mais cela se prononce « End it! », ce qu’on peut traduire par « Arrête ça! ». Les élèves francophones ont baptisé l’étude NICO, clin d’oeil aux Nicolas peuplant leur univers et à Jean Nicot (1530-1600), dont le nom est à l’origine du mot nicotine.

L’étude NICO (www.etudenico.ca) a déjà donné lieu à la publication ou à la soumission de douze articles scientifiques, et ce n’est pas fini. Les premiers sujets de la recherche sont maintenant sur le marché du travail ou dans leurs études postsecondaires. Les chercheurs peuvent maintenant passer à l’observation de la dépendance à la nicotine chez de jeunes adultes, puisque le contact a été maintenu avec plusieurs sujets, que ceux-ci consentent à ce que la recherche continue, et que les subventions sont au rendez-vous, au moins jusqu’en 2011.

Sylvain Desjardins, attaché de presse international à l’Université de Montréal, a noté que les découvertes publiées en mars ont été rapportées en 72 heures dans trente quotidiens du Canada anglais, des États-Unis et du Royaume-Uni, et ont valu à la professeure O’Loughlin au moins douze demandes d’entrevues par la presse, ce qui est un écho supérieur à celui dont jouit habituellement une recherche universitaire.

La Dre Barbara Whylie, chef de la direction de la Société canadienne du cancer, qui finance l’étude NICO, juge que celle-ci possède un potentiel énorme en matière de prévention du tabagisme chez les adolescents.

Gilles Paradis, Rachel Tyndale, Joseph DiFranza, James Hanley et André Gervais travaillent comme chercheurs à l’étude NICO avec Jennifer O’Loughlin. À travers eux, c’est tant l’Institut national de santé publique du Québec, l’Université de Montréal et l’Université McGill que l’Université de Toronto et l’Université du Massachusetts qui sont mêlés à l’entreprise. Jennifer O’Loughlin se réjouit du côté multidisciplinaire du groupe, où la pneumologie, la cardiologie, la biostatistique, la médecine familiale, la pharmacogénétique et l’épidémiologie, entre autres, marient leurs vues.

Pierre Croteau