Les jeunes troquent la cigarette contre le cigare et le cigarillo

Tandis que les campagnes de sensibilisation commencent à porter fruit et que les jeunes délaissent peu à peu la cigarette, l’impact de ce récent progrès pourrait être réduit, voire annulé, par la popularité grandissante des cigares et des cigarillos, qui comptent parmi leurs consommateurs une proportion inquiétante d’adolescents n’ayant jamais fait usage du tabac.

Selon l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire (ETADJES) de 2006, on retrouverait maintenant plus d’adeptes de ces produits (22 %) que de fumeurs de cigarettes (15 %) parmi les 12 à 17 ans.

Entre 2004 et 2006, l’usage de la cigarette a chuté de 19 à 15 %, alors que celui des cigares et des cigarillos est passé de 18 à 22 %. Environ 80 % des jeunes qui en consomment fument également la cigarette de manière quotidienne, occasionnelle ou à titre expérimental. Toutefois, on retrouve parmi leurs utilisateurs 8 % de « non-fumeurs depuis toujours » (moins d’une cigarette à vie). Les cigares et les cigarillos connaissent également du succès auprès des ex-fumeurs et des anciens expérimentateurs. Ainsi, un jeune qui n’est pas resté accroché à la cigarette court quand même le risque de devenir fumeur, en consommant ces produits. Et fait à noter, les filles seraient aussi attirées que les garçons par ce type de tabac.

L’an dernier, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac déposait une plainte auprès des gouvernements du Québec et du Canada pour qu’ils resserrent les règles qui régissent la vente des cigares et des cigarillos. À la suite de la publication des résultats de l’ETADJES, elle réclame une série de mesures susceptibles de rendre ces produits moins attrayants pour les jeunes (voir encadré page 3).

« L’industrie du tabac utilise des arômes de bonbons, de fruits et d’alcool pour adoucir le goût âcre et dissimuler la nature meurtrière du tabac, explique son coordonnateur, Louis Gauvin. Ajouter des saveurs de friandises aux cigarettes, c’est un peu comme si on ajoutait du sucre à de la viande contaminée. »

De son côté, Flory Doucas indique que c’est parce que la cigarette n’a plus la cote que l’industrie présente des nouveaux produits prétendument « différents » et « améliorés ». « Les jeunes voient les cigarillos comme des produits occasionnels alors qu’en réalité, ils contiennent de la nicotine et engendrent eux aussi une dépendance, souligne la directrice du bureau québécois des Médecins pour un Canada sans fumée. Une fois accros, ils risquent de se tourner vers les cigarettes, qui sont moins chères en quantités suffisantes pour alimenter cette dépendance. »

Le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) est lui aussi inquiet de la croissance fulgurante de la consommation de ces produits qui, soit dit en passant, n’est pas comptabilisée au taux de tabagisme des élèves du secondaire. Si l’on ajoute aux 15 % de fumeurs de cigarettes les 11 % de non-fumeurs qui ont déclaré avoir consommé le cigare ou le cigarillo au cours des 30 jours précédant l’Enquête, on obtient une prévalence de l’usage du tabac de 26 %, remarque le CQTS. Son directeur général, Mario Bujold, condamne le comportement de l’industrie du tabac qui ajoute des arômes à ses produits, comme s’il s’agissait de simples friandises, dans le but d’attirer une nouvelle clientèle de jeunes.

Quant à l’Institut de la statistique du Québec, qui a mené l’ETADJES, il soutient qu’un tel gain de popularité exige la mise en place de mesures pour contrôler la vente de ces produits et se demande si l’interdiction des étalages (voir article p. 8), qui entrera en vigueur le 31 mai 2008, aura un impact sur la consommation de cigares et de cigarillos des élèves du secondaire. Puisque la seule question de l’Enquête portant sur le sujet se limitait à savoir si les jeunes en avaient déjà consommé, ses auteurs indiquent qu’il serait intéressant de suivre l’évolution de cette tendance, notamment pour évaluer les croyances des élèves concernant leur nocivité.

Évolution de la consommation de cigarettes

Depuis que l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire est conduite, ses auteurs ont constaté une baisse notable de l’usage de la cigarette. Celui-ci a régressé de 30 à 15 %, depuis 1998. En 2006, on retrouvait 14,9 % de fumeurs, dont 5,7 % de quotidiens, 2,7 % d’occasionnels et 6,5 % de débutants. Aux fins de l’analyse, les fumeurs incluent tous les adolescents qui ont consommé des cigarettes au cours des 30 jours précédant l’Enquête. Les « quotidiens » et les « occasionnels » en ont fumé au moins 100 au cours de leur vie : les premiers, tous les jours et les seconds, de temps à autre. Quant aux « débutants », ils n’ont pas encore atteint le seuil critique des 100 cigarettes.

Même si leur prévalence a chuté depuis 2004 et qu’elles sont en partie responsables de la diminution du tabagisme observée, les filles font encore usage de la cigarette dans une proportion plus grande que les garçons (17 contre 13 %). C’est généralement vers 12,5 ans que les jeunes aspirent leur première bouffée, soit un peu plus tard que par les années passées (12,3 ans en 2004 et 12,1 ans en 2002).

Toutefois, plus ils avancent en âge et plus ils risquent de fumer. Ainsi, en 2006, on comptait 7 % de fumeurs chez les élèves de secondaire 1,18 % en secondaire 3 et 22 % en cinquième secondaire. La quantité de cigarettes inhalées par les adolescents varie énormément, mais la majorité d’entre eux sont de petits fumeurs qui n’en consomment que deux ou moins par jour.

Ce n’est pas parce qu’ils s’initient au tabagisme que les jeunes deviendront tous fumeurs à l’âge adulte. Parmi les 85 % de non-fumeurs estimés dans la dernière enquête, 10 % ont expérimenté la cigarette sans pour autant y être restés accrochés et 1 % sont des ex-fumeurs. De plus, le nombre d’adolescents qui n’ont jamais fumé une cigarette en entier de leur vie ne cesse d’augmenter. En huit ans, leur ratio a subi une remarquable hausse, passant de 48 % en 1998 à 74 % en 2006.

Des facteurs déterminants

Comme on pouvait s’y attendre, un certain lot de facteurs influencent le statut tabagique des élèves du secondaire. En effet, les jeunes qui ont un proche ou des amis fumeurs, sont issus de familles monoparentales ou qui évaluent leur performance scolaire comme étant « sous la moyenne » sont plus susceptibles de fumer. La prévalence de l’usage de la cigarette est également supérieure chez les adolescents qui occupent un emploi et chez ceux qui reçoivent une allocation hebdomadaire de plus de 31 $.

Peut-être parce que la cigarette jouit encore d’une meilleure réputation que les autres drogues (qui tuent pourtant en moins grand nombre), 63 % des jeunes fumeurs ont la permission de fumer et 20 % peuvent assouvir leur dépendance à la maison.

Toutefois, bien que plusieurs parents tolèrent que leurs enfants fument, ils ne les fournissent pas pour autant en cigarettes. La plupart des jeunes fumeurs les obtiennent gratuitement de leurs amis (43 %). Environ 38 % les achètent eux-mêmes dans un commerce ou les font acheter par quelqu’un d’autre. Bon nombre se les procurent, moyennant rétribution, auprès d’un ami ou d’une connaissance à l’école (28 %) ou à l’extérieur de celle-ci (24 %). En fait, une minorité d’adolescents les reçoivent gratuitement d’un de leurs parents (14 %) ou de leurs frères et soeurs (9 %).

Les causes de la baisse

D’après l’Institut de la statistique, le déclin de l’usage de la cigarette résulterait entre autres de la Loi sur le tabac, de la mise en oeuvre du Plan québécois de lutte contre le tabagisme, de même que des campagnes de sensibilisation. « La réduction de la consommation de tabac chez les adultes au cours des dernières années traduit une attitude favorable au non-tabagisme dans la population, ce qui conduit à un changement de la norme sociale dont les répercussions sont très positives auprès des jeunes », soulignent les auteurs de l’Enquête.

Bien que les mentalités aient évolué, plus de la moitié des Québécois de 12 à 17 ans sont encore exposés à la fumée secondaire à la maison. Alors que 29 % des élèves sondés ont dit subir quotidiennement ou presque la fumée de tabac à l’intérieur de leur domicile, 26 % y sont exposés entre une fois par semaine et moins d’une fois par mois et seulement 45 % ont affirmé ne jamais l’être.

Autres comportements et polyconsommation

De tous les comportements à risque suivis par l’ETADJES, le tabagisme demeure le moins fréquent, et ce, même si on jumelait les fumeurs de cigarettes aux « non-fumeurs » qui consomment des cigares et des cigarillos (26 %). Bien qu’on note une baisse pour l’ensemble des problématiques, 60 % des jeunes ont consommé de l’alcool dans le mois précédant l’Enquête, 36 % ont participé à un jeu de hasard et 30 % ont pris de la drogue.

Si la proportion de fumeurs reste faible par rapport au nombre de jeunes ayant expérimenté l’un ou l’autre des actes mentionnés précédemment, ceux-ci seraient toutefois plus enclins à adopter plusieurs comportements à risque. En effet, moins de 1 % (0,4 %) des adolescents n’auraient pour seule « délinquance » que le fait de fumer alors que 6 % d’entre eux consommeraient aussi alcool et drogues et qu’un pourcentage similaire cumulerait toutes les problématiques.

De plus, il y aurait 27 % de fumeurs chez les jeunes qui boivent souvent de l’alcool, 22 % du côté des joueurs habituels et 41 % parmi les utilisateurs de drogues. À ce propos, près des deux tiers (62 %) des adolescents qui consomment du pot à tous les jours fument également la cigarette.

L’ETADJES en bref

Menée à tous les deux ans depuis 1998, par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), l’ETADJES suit l’évolution de certains comportements à risque chez les 12 à 17 ans. Dans le cadre de la dernière édition, 173 classes réparties dans 149 écoles francophones et anglophones des secteurs public et privé y ont participé. Recueillies entre le 6 novembre et le 14 décembre 2006, les données ont été collectées par le biais d’un questionnaire autoadministré. Les 4 571 élèves qui forment l’échantillon final disposaient de 40 minutes pour le remplir et le taux de réponse de l’Enquête était de 89,8 %. Afin de garantir la confidentialité et de réduire les possibilités de biais, un intervieweur de l’ISQ récoltait les formulaires et scellait l’enveloppe dans laquelle ils se trouvaient avant de quitter la classe. Quant aux professeurs, ils étaient invités à demeurer présents pour assurer la discipline mais ne pouvaient, en aucun cas, circuler parmi les élèves.

Pour en finir avec les cigares et les cigarillos

À la fin novembre, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac et l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée ont uni leurs voix pour réclamer des deux paliers de gouvernement une série de mesures visant à renforcer les règles qui entourent la mise en marché des cigares et des cigarillos. Ils suggèrent entre autres d’interdire : la vente à l’unité, l’ajout d’arômes ou de saveurs, de même que toute référence au fait que ces produits pourraient avoir moins d’impact sur la santé, ex : « naturels », « biologiques », « sans additif » ou encore « sans pesticide ». Puisque d’autres produits aromatisés suscitent un certain engouement chez les jeunes, ils souhaitent également que les lois fédérale et québécoise s’appliquent à la chicha sans tabac (à base d’autres plantes) ainsi qu’aux cigarettes aux herbes.

Josée Hamelin