Déclaration de Montréal : la solution est politique

La réduction du tabagisme n’est plus la prérogative des médecins ou autres spécialistes de santé publique, elle incombe désormais surtout aux politiciens. La stratégie d’ensemble de la lutte antitabac ayant fait ses preuves à bien des endroits, les élus du monde entier ont maintenant entre leurs mains la santé et la vie de millions d’êtres humains.

Voilà le constat principal de la 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac, tenue au Palais de Congrès des Montréal en septembre. Par un appel à la solidarité des pays francophones à lutter contre l’industrie du tabac, la Déclaration de Montréal, conclusion des travaux, requiert des gouvernements la mise en place, de toute urgence, d’un ensemble de mesures permettant de contrôler l’épidémie, soutenu par un financement public.

Haute en couleurs, riche en accents, la Conférence a réuni 360 participants venus de vingt pays de la francophonie. Une cinquantaine d’ateliers et cinq grandes conférences ont intéressé médecins, infirmières, sage-femmes, tabacologues, chercheurs et représentants d’organismes de promotion de la santé. Canadiens, Belges, Français, Suisses, Algériens, Béninois, Maliens, Nigériens, Tchadiens et Américains (!), entre autres, ont échangé avec enthousiasme sur les situations qui prévalent dans leurs pays respectifs.

Pays en développement ciblés

La première journée a permis de dresser un portrait décapant de l’industrie du tabac, de ses dérapages, mais surtout de ses ravages. Les pays en voie de développement, cible actuelle des compagnies aux dents longues, constituent un terrain de prédilection à envahir. L’Organisation mondiale de la santé estime que, si les tendances actuelles se maintiennent, 70 % des décès attribuables au tabagisme auront lieu dans ces pays dans une trentaine d’années. En plus de se déplacer vers les nations moins nanties, la pandémie fera davantage de victimes, l’hécatombe passant de quatre à dix millions de décès par année. Comme l’a rappelé Mahamane Cissé, avocat malien et coprésident de la Conférence pour l’Afrique, l’industrie vise en effet tout particulièrement les jeunes, qui représentent 50 % de la population de ce continent!

Mais il n’y a pas qu’en Afrique que la crise sévit. Jean-Charles Rielle, médecin responsable du Centre de prévention du tabagisme de Genève, et Pascal Diethelm, président d’OxyGenève, ont parlé du procès en diffamation qu’a intenté contre eux en Suisse le Professeur Ragnar Rylander. Les deux hommes ont osé dénoncer la fraude scientifique organisée par les cigarettiers à laquelle a participé secrètement M. Rylander. Les étranges conclusions du professeur auraient bel et bien un lien avec le financement non avoué de ses recherches par Philip Morris.

Le Canada n’est pas irréprochable non plus, comme l’a démontré le docteur Fernand Turcotte de Québec, puisque aucune université canadienne n’interdit la commandite de recherche ou les dons de l’industrie du tabac. En fait, près de 40 % d’entre elles ont reçu un ou des dons de leur part de 1996 à 1999, d’une valeur moyenne de 54 000 $. Les conclusions exposées par le Dr Turcotte (mais dont l’auteure principale est sa collègue Joanna Cohen, de Toronto) sont celles qui ont le plus fait bondir les médias québécois, lesquels ont bien couvert les travaux de la Conférence.

Pour sa part, Luk Joossens, sociologue belge, a expliqué qu’une cigarette sur quatre exportée au monde, est destinée à une contrebande orchestrée par l’industrie du tabac elle-même, occasionnant des pertes de 25 à 50 milliards US pour les gouvernements.

Dégâts même chez les bébés : Véronique Godding, médecin belge, a rendu compte de ses recherches sur les conséquences de l’exposition du fœtus à la nicotine. Les symptômes de sevrage existent chez le nouveau-né quand la mère a fumé plus de 10 cigarettes par jour durant la grossesse. Non seulement le bébé exposé à la fumée in utero souffre de dépendance physique à la naissance, mais, selon le docteur Godding, il court cinq fois plus de risques de fumer avant l’âge de 10 ans.

Ré-sis-tez!

La deuxième journée du colloque a été consacrée à tous les petits villages d’Astérix qui se dressent un peu partout dans le monde face au Géant Tabac. Programme efficace d’aide à l’abandon du tabac en milieu de travail au Québec, stratégie canadienne de lutte au tabagisme, projets de loi antitabac en Afrique, campagnes aux résultats spectaculaires en Floride visant la dénormalisation de l’industrie du tabac, concours québécois pour fumeurs qui veulent se défaire de la cigarette, mesures particulières auprès des femmes enceintes en France, Journée mondiale sans tabac en Suisse, les moyens de résistance sont nombreux, souvent astucieux et prometteurs.

Un franc succès

Les délégués francophones sont repartis satisfaits et admiratifs du modèle canadien. Saouna Inoussa, représentant de SOS Tabagisme Niger, a beaucoup apprécié de pouvoir observer les méthodes des pays occidentaux et en retire déjà des bénéfices. Les images de poumons ou de gencives attaqués par la maladie sur les paquets de cigarettes canadiens lui ont beaucoup plu. « Quelle bonne idée!, s’est-il exclamé. Au Niger, la majorité de la population est analphabète. La méthode y serait très efficace. » Mais il sait que seule une loi cadre peut faire appliquer une telle mesure. « La mobilisation de l’Occident pour lutter contre le tabac est impressionnante, ajoute-t-il. Mais nous sommes isolés en Afrique. Sans soutien politique, le public devient très difficile à sensibiliser. »

C’est effectivement la conclusion qui s’imposait au terme de ce grand forum international. « Je repars au Bénin avec l’envie de convaincre les autorités que nous n’avons pas besoin de budgets énormes pour appliquer des mesures concrètes. On pourra modifier les comportements à partir d’une législation », pensait aussi David Houeto, représentant d’une organisation de promotion de la santé du Bénin.

Martine Robert, qui travaille en Suisse pour la Commune de Lausanne à la direction des écoles, service de santé, en était bien persuadée aussi. Le simple fait que deux multinationales du tabac aient leur siège social chez les Helvètes engendre l’inertie du gouvernement en matière de lutte au tabagisme. La publicité est autorisée. Des hôpitaux, des écoles et des ascenseurs sont enfumés. Mme Robert ne se sent pas du tout soutenue dans son travail. Elle peine à entrer dans les écoles pour y passer ses messages de prévention : les directeurs ne sont pas intéressés. « Tant que je n’ai pas les politiques de mon côté, je frappe dans le vide, se désole-t-elle. Je passe même pour une illuminée. »

Une mobilisation mondiale

Au terme de ces trois jours d’effervescence, Marcel Boulanger, président du comité scientifique de la Conférence, a rendu public la Déclaration de Montréal sur le contrôle du tabac, laquelle confirme que la solution à ce problème de santé publique est surtout politique. Cette Déclaration est en réalité un consensus auquel le comité est arrivé après ses travaux. « Nous réclamons une politique globale qui encadre l’industrie du tabac, a-t-il déclaré. Il relève de la responsabilité de l’État de protéger les citoyens. »

La Déclaration suggère des moyens musclés, soit la hausse des taxes du tabac, la maîtrise de la contrebande, l’interdiction totale de la publicité du tabac, la protection des non-fumeurs, l’aide au sevrage et l’information du public sur le contenu des cigarettes et sur ses effets. En complément, le Comité scientifique vise à établir un réseau international de correspondants sur tous les continents et à mettre sur pied un secrétariat provisoire au Québec et en Afrique de l’Ouest, en relation avec l’Observatoire du tabac en Afrique francophone (OTAF).

« Je souhaite que cette Déclaration ait un impact significatif sur la manière de travailler des participants dès leur retour chez eux, a ajouté Louis Gauvin, président et initiateur de la rencontre. Cette conférence a été à la hauteur de mes espérances. Et je suis fier de constater qu’en matière de lutte au tabagisme, le Canada fait bien des envieux… dans la francophonie à tout le moins! »

Déclaration de Montréal

Nous, spécialistes du contrôle du tabagisme du monde francophone, réunis à Montréal, avons conclu que la lutte contre le tabagisme passe obligatoirement par une solution politique. L’industrie du tabac, en propageant la dépendance au tabac à travers le Monde, constitue le vecteur de cette épidémie qui tue 4 millions de personnes par année. Nous réclamons la mise en place d’une politique globale qui inclut un encadrement rigoureux de l’industrie du tabac.

L’État a la responsabilité de modifier les éléments de l’environnement social, créés en grande partie par l’industrie du tabac, qui rendent nos concitoyens vulnérables à l’épidémie tabagique. Les gouvernements doivent de toute urgence mettre en place un ensemble efficace de mesures, notamment réglementaires et fiscales, soutenu par un financement public permettant de contrôler l’épidémie et ses effets.

Il faut avant tout :
  • Mettre fin à toute forme de promotion directe et indirecte de ce produit mortel, y compris le parrainage.
  • Rendre le tabac moins accessible en augmentant les taxes et en maîtrisant la contrebande.
  • Protéger les non-fumeurs de toute exposition à la fumée du tabac.
  • Favoriser l’arrêt du tabagisme et rendre accessibles les aides au sevrage.
  • Informer le public du contenu et des effets des produits du tabac.

Le tabagisme étant la source de l’enrichissement mondial des fabricants de cigarettes, leur opposition à ces mesures est avérée et en fait l’adversaire principal à combattre. La solidarité des pays de la francophonie est d’autant plus importante que les pays en voie de développement sont les nouvelles cibles des multinationales du tabac.

Emmanuelle Tassé