Agir localement : une stratégie gagnante

Alors que l’attention des grands médias est braquée sur ce qui se passe à Ottawa et à l’Assemblée nationale, une petite révolution est en train de se faire au niveau municipal en matière de tabac.

En effet, une loi fédérale ou provinciale demande souvent des années de préparation, de consultations et de débats à faible « rentabilité » électorale pour les gouvernements, tandis que l’adoption d’un règlement municipal sur les lieux publics sans fumée peut être à la fois relativement rapide et efficace.

Le cas de Hull est intéressant à cet égard. La Commission « Hull, Ville en santé », qui regroupe des conseillers municipaux et des intervenants du milieu de la santé et de l’éducation, a fait du tabagisme sa priorité pour l’année 1996. Après quelques mois de travail, elle a réussi à faire adopter un règlement municipal sur les lieux sans fumée, et les nouvelles restrictions seront en vigueur à partir du 1er mars.

Le règlement bannira entièrement la boucane des édifices municipaux, des magasins d’alimentation, et des parties publiques des centres commerciaux, des bureaux et des commerces.

Dans les restaurants, y compris les foires alimentaires des centres d’achat, la section réservée aux non-fumeurs devra comprendre au moins 50 p. 100 des places. Même dans les salles de bingo, les non-fumeurs auront droit à 25 p. 100. Il n’y a que les bars qui restent entièrement enfumés.

Un sondage réussi

De l’avis d’Agathe Lalande, coordonnatrice de la Commission « Hull, Ville en santé », la clé de la réussite a été un sondage commandité par la Direction de la santé publique de l’Outaouais et réalisé par une équipe de l’Université du Québec à Hull. Les résultats fort positifs du sondage ont encouragé le conseil municipal à aller de l’avant malgré une couverture médiatique parfois assez négative et les protestations de certains restaurateurs.

Vivant à quelques pas de la frontière ontarienne, les citoyens de Hull ont l’habitude de regarder avec attention ce qui se passe chez leurs voisins. Le tollé médiatique suscité par le projet de règlement municipal à Toronto, qui au départ devait comporter une interdiction totale de fumer dans les bars, semble avoir donné un coup de pouce au projet hullois.

Lorsque les médias régionaux ont eu vent du fait que la Commission préparait un règlement sur les lieux sans fumée, la question des bars et des restaurants a monopolisé l’attention. La proposition de la Commission (pas de réglementation des bars, sections non-fumeurs dans les restaurants), lorsqu’elle a été dévoilée, semblait tellement peu radicale, surtout en comparaison avec Toronto, que très peu de fumeurs se sont opposés aux autres éléments du règlement, telle l’interdiction de fumer dans les commerces.

D’après Jean Claude Desruisseaux, professeur à l’UQAH et l’un des réalisateurs du sondage, cela confirme un principe de base dans le contrôle du tabac : la législation vient souvent consacrer des changements d’attitude chez la population plutôt que d’imposer de force des modifications dans le comportement.

D’ailleurs, comme le souligne Mme Lalande, on doit compter sur la pression publique pour appliquer le nouveau règlement, puisqu’on ne pourra pas mettre un policier dans chaque commerce de la ville pour veiller à son respect.

Il reste une question majeure à régler à Hull : le dossier du Casino qui, comme celui de Montréal, n’est vraiment pas un paradis pour les non-fumeurs. Pour le moment, le règlement actuel s’applique aux restaurants du casino mais pas aux salles de jeu, bien que la Direction de santé publique de l’Outaouais se prépare à proposer très bientôt des modifications au règlement qui pourrait apporter une bouffée d’air frais.

Une tendance qui se répand

Hull est loin d’être la première ville québécoise à adopter un règlement de ce genre. Déjà en 1995, une étude de Santé Canada dénombrait pas moins de 74 municipalités québécoises réglementant le tabagisme dans les lieux publics.

Sillery, en banlieue de Québec, emboîte maintenant le pas. C’est le conseiller municipal Robert-J. Delaney qui pilote le dossier. M. Delaney, qui est éducateur physique de profession, se dit étonné des réactions parfois raides que son projet de réglementation a suscitées. « Je me suis lancé dans ça un peu naïvement », avoue-t-il.

M. Delaney croit fermement à l’importance pour les municipalités de prendre leurs responsabilités par rapport aux lieux publics enfumés plutôt que d’attendre qu’on agisse à Québec ou à Ottawa. « Nous sommes plus près des citoyens et plus en mesure de développer des stratégies d’intervention au niveau des jeunes », affirme-t-il.

De plus, il est important que le débat se fasse à l’intérieur de la ville, dit M. Delaney, puisque c’est le meilleur moyen de mobiliser la population et de faire respecter les interdictions de fumer par la suite.

D’autres municipalités – dont Montréal – ont des règlements municipaux assez bien pensés mais qui ne sont tout simplement pas respectés, soit parce que les citoyens n’en connaissent pas l’existence, soit par manque de vigilance de la part de l’administration locale. C’est un piège dans lequel M. Delaney n’a pas l’intention de tomber.

Des consultations publiques au mois de novembre ont donné lieu à des débats vigoureux; plusieurs commerçants ont suggéré par exemple de laisser tomber complètement l’aspect coercitif du règlement. Dans un document de travail, il était aussi question d’imposer des sections non-fumeurs aux petits restaurants (15 places et plus), alors que plusieurs autres municipalités ne réglementent qu’à partir de 40 ou 50 places.

Mais à Sillery comme à Hull, il ne faut pas forcément juger l’opinion publique d’après les échos médiatiques ou les interventions des groupes d’intérêt. Un sondage réalisé en janvier 1996 dans les régions de Chaudière-Appalaches a par exemple permis de constater que 49 p. 100 des répondants étaient en faveur d’une interdiction totale de fumer dans les restaurants.

M. Delaney a bon espoir de faire accepter la nouvelle politique par ses collègues en février ou mars, ce qui laisse prévoir une entrée en vigueur dès cet été, avec probablement une période de transition plus longue pour les restaurants.

Francis Thompson