La loi québécoise sur le tabac est adoptée à l’unanimité

Le Québec a maintenant sa Loi sur le tabac. C’est finalement par un rare vote nominal unanime que l’Assemblée nationale a mis fin aux débats entourant le projet de loi 444.

Après trois ans de promesses, de consultations, de discussions et de délibérations en commission parlementaire, le vote du 17 juin dernier est venu consacrer un nouveau consensus québécois sur la nécessité de mieux protéger les jeunes de la dépendance à la nicotine et les non-fumeurs de la fumée secondaire.

Malgré un contexte très partisan de fin de session pré-électorale, dans lequel le ministre Jean Rochon a été la cible préférée de l’opposition, péquistes et libéraux se sont entendus sur l’urgence d’agir contre le tabagisme en votant 108-0 pour la Loi sur le tabac. Seul Mario Dumont, l’unique député de l’Action démocratique, s’est démarqué en dénonçant le projet de loi 444 le jour de son dépôt à l’Assemblée et en s’absentant le jour du vote.

Les hésitations étaient pourtant encore palpables chez certains députés des deux côtés de la chambre. André Boulerice, ardent fumeur et représentant d’un comté montréalais (Sainte-Marie-Saint-Jacques) où l’on fabrique des cigarettes, s’est fait remarquer en restant assis, l’air quelque peu boudeur, alors que ses collègues péquistes se sont levés pour ovationner M. Rochon au début du vote nominal.

Quelques minutes plus tard, avec une réticence à saveur humoristique, M. Boulerice s’est mis debout pour voter en faveur de la loi, geste qui lui a valu des applaudissements moqueurs de ses confrères. Le péquiste Camille Laurin et le libéral Michel Bissonnette, deux autres fumeurs invétérés, ont connu le même sort.

La députée libérale de Saint-Henri-Sainte-Anne, Nicole Loiselle, n’a pas hésité à voter oui, malgré la présence de l’usine d’Imperial Tobacco dans son comté.

Amendements de dernière minute

Il ne faudrait pas conclure pour autant que la victoire était acquise d’avance; en fait, les tractations autour du projet de loi 444 au sein du gouvernement et avec l’opposition ont duré jusqu’à la dernière minute, et à la veille du vote, on voyait encore M. Rochon discuter du libellé des derniers amendements avec le porte-parole libéral Pierre Marsan.

Les plus importants amendements ont tout de même été présentés le 10 juin, lorsque le projet de loi a franchi en quelques heures l’étape cruciale de l’étude article par article. Les organismes de santé furent alors en mesure de constater jusqu’à quel point les pressions pesaient sur M. Rochon pour diluer les dispositions de son projet de loi.

Le ministre a été contraint de reculer sur deux points importants. Suite aux menaces des cigarettiers concernant une éventuelle délocalisation de leurs usines à l’extérieur du Québec (voir notre dernier numéro), M. Rochon a accepté d’inscrire dans son projet de loi l’obligation d’« harmoniser » toute norme touchant la composition et le conditionnement des cigarettes avec d’éventuelles normes fédérales. Il n’est pas tout à fait clair si cette « harmonisation » limite le gouvernement québécois à adopter des normes qui sont identiques aux normes fédérales, ou s’il peut aussi adopter des normes différentes, dans la mesure où elles ne sont pas en contradiction avec la réglementation fédérale.

L’autre perte importante encaissée par M. Rochon touche à l’épineuse question des commandites. Là aussi, le ministre péquiste a accepté une « harmonisation » avec le fédéral en prolongeant de deux à cinq ans la période de transition pour l’interdiction des commandites en faveur des produits du tabac. Par contre, il a retenu l’idée d’un fonds de transition pour les événements commandités, mesure qu’il a baptisée l’« option Québec ».

Ce fonds, dont la création a été annoncée au mois de février par le ministre Bernard Landry, sera disponible dès cet automne pour les événements culturels et sportifs qui s’engagent à se « sevrer » immédiatement de l’argent des cigarettiers. Pour avoir accès à ce financement transitoire, les organisateurs devront cesser d’accepter les commandites du tabac d’ici deux ans.

En commission parlementaire, M. Rochon a expliqué que les organisateurs d’événements culturels semblaient plus portés à choisir l’option Québec. En coulisses, on parlait de négociations avec certains grands festivals qui pourraient aboutir assez rapidement.

Un amendement de dernière minute, sur lequel le gouvernement et l’opposition se sont entendus après l’étude article par article, impose un plafond à la valeur des commandites; la somme maximale versée par contrat de commandite ne peut dépasser le montant déjà prévu dans les contrats en vigueur actuellement.

Ajustements et souplesse

Les autres amendements adoptés en commission parlementaire ont été d’ordre technique ou symbolique. Suite aux critiques de l’opposition, qui accusait le gouvernement de faire preuve d’hypocrisie en excluant les casinos d’État du champ d’application des articles visant la protection des non-fumeurs, M. Rochon a proposé que les restaurants dans les casinos soient sujets aux mêmes restrictions (maximum de 40 % des places pour les fumeurs, fumoirs ventilés après 10 ans) que leurs concurrents hors casinos.

Les libéraux ont plutôt proposé d’étendre les mêmes règles aux casinos qu’aux autres lieux fermés. « Ce que je décode de ce que le ministre nous dit là, c’est que, sur le plan général, quand ça relève du ministre de la Santé, c’est bon pour la santé publique… Mais quand ça relève du ministre des Finances, ça relève des casinos, des bingos, des revenus, ce n’est plus la même approche à ce moment-là », a résumé le porte-parole libéral, Pierre Marsan. Quelques minutes plus tard, pour souligner cette analyse, son collègue Marcel Parent a même proposé à la blague une « motion de sympathie au ministre ».

Un peu plus tard, M. Rochon s’est rendu aux arguments des exploitants des boutiques hors taxes en les exemptant de l’interdiction des présentoirs libre-service pour les cigarettes; il a aussi cédé du terrain sur la question des distributrices automatiques, désormais autorisées dans les bars.

Sur la question de la vente du tabac en pharmacie, le ministre a lâché du lest en proposant de prolonger de un à deux ans la période de transition menant à l’interdiction complète de la vente de cigarettes en pharmacie.

Les libéraux ont plutôt choisi d’appuyer une nébuleuse proposition de l’Association des bannières et des chaînes de pharmacie du Québec. Celle-ci prévoyait un délai de cinq ans en échange d’un engagement à réduire graduellement l’« espace visible alloué aux produits du tabac » et à offrir des programmes de promotions antitabagiques.

La majorité gouvernementale a rejeté cette idée; le Tribunal des professions a mis fin à la discussion quelques jours plus tard en confirmant que le commerce du tabac est incompatible avec la profession de pharmacien. (Voir « La vente du tabac en pharmacie est déjà illégale au Québec ».)

Une victoire pour les organismes de santé

Le ministre Rochon n’a pas donné suite à la plupart des demandes d’amendements formulées par les organismes de santé, qui ont tout de même eu gain de cause sur un point important, les dates de mise en application. Le ministre a ainsi fait adopter un amendement fixant des dates limites pour l’entrée en vigueur des diverses dispositions de la loi.

Quelques articles s’appliqueront dès le 1er octobre. C’est le cas par exemple pour toutes les restrictions touchant la publicité, en dehors de la publicité de commandites, tout comme pour l’interdiction de vendre du tabac dans les établissements de santé ou sur les terrains d’écoles.

Quant au reste – centres commerciaux, restaurants, etc. – le ministre se donne du temps pour organiser la mise en oeuvre de la loi, que ce soit nommer des inspecteurs, mettre en place des campagnes de sensibilisation, ou tout simplement trouver les budgets nécessaires. Par la suite, le gouvernement pourra mettre tout article de la loi en application par simple décret. Au plus tard dans 18 mois, tous les articles s’appliqueront, qu’il y ait décret ou non.

Pour prendre un exemple concret, l’interdiction de fumer en milieu de travail, à l’extérieur de fumoirs désignés (ventilés ou non), entrera en vigueur au plus tard le 17 décembre 1999. Après cette entrée en vigueur, la loi prévoit un délai supplémentaire pour la mise en place de systèmes de ventilation autonomes. Dans la pire des hypothèses – c’est-à-dire faute d’adoption d’un décret de mise en vigueur – les non-fumeurs travaillant pour une PME (moins de 50 employés) devront attendre jusqu’en décembre 2003 avant d’avoir droit à une protection complète contre la fumée secondaire. Leurs collègues en grande entreprise auront cette protection au plus tard en juin 2001.

Francis Thompson