Les victimes réclament près de 23 milliards aux cigarettiers

Avoir vendu et fait la promotion d’un produit nocif qui entraîne une forte dépendance sont des fautes qui risquent de coûter cher aux compagnies de tabac. Si elles sont reconnues coupables des accusations portées par les membres des recours collectifs, JTI-Macdonald, Imperial Tobacco Canada et Rothmans Benson & Hedges pourraient devoir verser une vingtaine de milliards $ en guise de compensations.

En février, le juge Pierre Jasmin, de la Cour supérieure du Québec, permettait à deux groupes de fumeurs (anciens ou actuels) d’intenter des poursuites collectives contre les géants canadiens du tabac. Le premier rassemble des victimes d’emphysème, de cancers du poumon, du larynx et de la gorge; le second, des personnes dépendantes de la cigarette.

Processus judiciaire enfin enclenché

À la fin avril, la juge Carole Julien a été saisie des recours. Selon Me Philippe Trudel – qui défend les victimes de la dépendance – le fait qu’un juge soit assigné au dossier accélèrera la progression des deux causes. « Habituellement, les avocats doivent se présenter à l’appel du rôle afin de savoir qui entendra leur cause, explique-t-il. Dans le cas présent, la juge Julien participe aux différentes étapes du processus judiciaire. »

Le 30 septembre, les responsables de chacun des groupes déposaient leur « requête introductive d’instance », un document présentant les principaux arguments qui seront débattus. « Avec le dépôt de cette requête s’amorce le dernier droit qui va nous mener jusqu’au procès », indique Mario Bujold, directeur du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), qui chapeaute le recours des personnes que le tabac a rendues malades. M. Bujold confirme par ailleurs que plusieurs rencontres avec la juge Julien ont eu lieu et qu’un échéancier est actuellement en cours d’élaboration. Parmi les étapes à venir, l’industrie pourra demander des précisions sur les requêtes. Des rapports d’experts seront déposés en décembre et l’interrogatoire des représentants de chacune des parties débutera au printemps 2006.

Puisqu’il n’y aura qu’un seul procès, plusieurs points seront plaidés en commun. Alors que les avocats du CQTS auront à établir le lien entre la consommation de tabac et les maladies dont souffrent les victimes qu’ils représentent, ceux du recours sur la dépendance ne feront qu’effleurer cet aspect. Leurs efforts tendront plutôt à démontrer que les compagnies de tabac n’ont pas divulgué toute l’information dont elles disposaient. Pire encore, qu’elles ont menti et conspiré pour cacher les risques reliés à leurs produits. « Puisque la dépendance entraîne un besoin de consommer un produit qui porte atteinte à la vie, le simple fait de vendre des cigarettes constitue, selon nous, une faute civile », déclare Me Trudel.

Près de 23 milliards $ en jeu

Les indemnités demandées par les membres des deux recours s’élèvent à 22 950 675 000 $. Le CQTS espère obtenir 5 148 675 000 $ pour les fumeurs malades. La somme se détaille ainsi : 100 000 $ pour la perte de jouissance de la vie qu’a subie chacune des 49 035 victimes et 5 000 $ en dommages exemplaires. Mandataire d’un groupe beaucoup plus vaste, le cabinet d’avocats Trudel & Johnston réclame 17,8 milliards au nom des personnes dépendantes. « Le chiffre peut paraître gros, reconnaît Me Trudel, mais il ne représente que 10 000 $ par personne, soit 5 000 $ pour les désavantages causés par la dépendance et 5 000 $ en dommages exemplaires. » Si la responsabilité des fabricants est prouvée, il appartiendrait toutefois à la Cour de déterminer le montant des compensations à verser.

Un procès en 2007?

Les cigarettiers ont tellement contribué à ralentir le processus menant à l’autorisation des recours que sept années se sont écoulées depuis que les fumeurs ont manifesté leur intention de les poursuivre. Les fabricants avaient même tenté d’en appeler de la décision d’autoriser les recours mais ils se sont finalement désistés. Fort heureusement, les prochaines étapes devraient évoluer plus rapidement. La juge Julien semble déterminée à faire avancer le dossier. Bien qu’aucune date ne soit encore fixée, le directeur du CQTS croit que le procès pourrait débuter d’ici un an et demi.

Recours sur les maladies

Mené par le CQTS, au nom de tous les résidents (voir note 1) du Québec qui, en novembre 1998, souffraient d’emphysème ou d’un cancer du poumon, du larynx ou de la gorge relié à leur consommation de tabac.

Recours sur la dépendance

Mené par le cabinet Trudel et Johnston, au nom de tous les résidents (voir note 1) du Québec qui, en septembre 1998, étaient dépendants de la nicotine contenue dans les cigarettes et qui le sont demeurés.

Note [1] : Les héritiers légaux des personnes comprises dans l’un ou l’autre des groupes sont également éligibles.
Note [2] : Les cigarettes fumées par les membres des recours doivent être ou avoir été fabriquées par Imperial Tobacco Canada, Rothmans Benson & Hedges ou JTI-Macdonald.

Pas d’exclusion

Au début de l’été, des avis ont été publiés dans les différents médias du Québec afin d’informer les fumeurs ou anciens fumeurs qui ne veulent pas être représentés par l’un ou l’autre des recours, qu’ils avaient jusqu’au 13 juillet pour s’exclure de la démarche légale. Étrangement, personne ne s’est exclu, pas même les avocats fumeurs de l’industrie du tabac.

Josée Hamelin