Les cigarettiers perdent des batailles

Les procédures judiciaires engagées au Québec contre les compagnies de tabac progressent lentement, mais sûrement.

L’histoire montre que les cigarettiers ont une technique assez simple pour tenir tête aux poursuites judiciaires entamées contre eux : les retarder le plus possible à l’aide de nombreux recours et appels.

Financée par des poches apparemment sans fond, cette stratégie a toutefois des limites. En effet, cet été, deux juges ont statué que deux procédures engagées au Québec contre l’industrie du tabac étaient justifiées et pouvaient aller de l’avant.

Le premier procès concerne les deux recours collectifs. Ce procès, présidé par le juge Brian Riordan, oppose 1,8 million de fumeurs et d’ex-fumeurs québécois (ou leurs héritiers légaux) aux trois plus grands cigarettiers canadiens. La dernière manœuvre d’Imperial tobacco Limitée (ITL), de JtI-Macdonald et de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) avait été de déposer une requête en non-lieu, c’est-à-dire de demander au juge Riordan de rejeter les recours collectifs, tout simplement. Leur justification? La preuve présentée par les plaignants depuis plus d’un an ne justifiait pas la continuation des procédures. JTI-Macdonald allait jusqu’à demander l’annulation du jugement ayant autorisé ces recours!

Recours collectif : une preuve suffisante

RBH, par exemple, soutenait que les plaignants devaient démontrer que chacun des trois cigarettiers leur avait causé du tort et que cette faute les avait amenés à commencer à fumer ou à continuer à le faire. Pourquoi ItL devrait-il indemniser un plaignant qui n’a pas fumé régulièrement l’un de ses produits? a demandé en substance l’un des avocats représentant la firme. Pour le juge Brian Riordan, au contraire, cette démonstration individuelle des préjudices subis va à l’encontre de l’idée même d’un recours collectif. « Il y a d’autres façons d’établir une preuve, écrit-il, incluant celles adoptées par les plaignants : les opinions d’experts. » En résumé, pour le juge, la cinquantaine de témoins interrogés par les plaignants, ainsi que les quelque 3000 documents qu’ils ont déposés, constituent une preuve suffisante justifiant la poursuite des procédures.

Les cigarettiers ont une technique assez simple pour tenir tête aux poursuites : les retarder le plus possible à l’aide de nombreux recours et appels.

Les cigarettiers ont aussi soutenu qu’il était impossible de déterminer le montant exact à verser à chacun des plaignants. Le juge Riordan reconnaît que le travail ne sera pas simple, mais rappelle que « les cours ont fait preuve de flexibilité et d’ingéniosité » sur cette question. Pour lui, « il ne s’agit pas d’une tâche insurmontable. »

Cigarettiers étrangers : pas d’immunité

La deuxième cause qui a progressé cet été est la poursuite de 60 milliards de dollars intentée par Québec contre 11 compagnies et associations de l’industrie du tabac, dont British American tobacco, Philip Morris et R.J. Reynolds tobacco Company. Québec souhaite récupérer les frais de santé engagés de 1970 à 2030 pour soigner les maladies dues au tabac. Or, les sièges sociaux des compagnies de tabac alléguaient qu’ils n’étaient pas soumis au droit québécois parce qu’ils sont domiciliés en Angleterre ou aux États-Unis. Le juge Stéphane Sansfaçon en a toutefois décidé autrement. Dans un jugement de 13 pages, il explique  comment le Code civil du Québec rend les tribunaux du Québec compétents pour se prononcer sur des fautes commises au Québec, même par des étrangers. Une décision confirmée par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel.

Champix : le procès aura lieu

La compagnie pharmaceutique Pfizer devra affronter un recours collectif pour avoir vendu Champix. Ce médicament controversé servant à la cessation tabagique entraîne parfois d’importants effets psychologiques secondaires, dont des idées suicidaires, de la dépression et de l’anxiété. Entre le 2 avril 2007 et le 31 mai 2010, Santé Canada a reçu plus de 1000 déclarations liées à de tels effets dont Pfizer aurait omis d’informer le public. La suite ces prochains mois devant la Cour supérieure de l’Ontario.

Anick Labelle