Le tabagisme : un fléau qui unit la planète

Le cartel de la nicotine est de plus en plus attaqué dans son territoire « naturel », c’est à dire les pays industrialisés occidentaux où il s’est formé et s’est enrichi de manière fulgurante au cours du 20e siècle.

Et pourtant : en même temps, les géants du tabac sont de plus en plus rentables, grâce à la mondialisation des échanges commerciaux et à un opportunisme éhonté dans la promotion du tabagisme sur les nouveaux marchés des pays en voie de développement.

L’Organisation mondiale de la santé s’attend à ce que la mortalité attribuable à l’usage du tabac passe de 3 millions de décès par année actuellement à 10 millions en l’an 2025. On prévoit que la consommation de tabac par habitant dans les pays en voie de développement rejoindra les niveaux des pays industrialisés d’ici une dizaine d’années.

C’est donc un cri d’alarme que l’OMS lance à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac 1997, le 31 mai : il faut un effort international majeur au cours des prochaines années pour empêcher que l’épidémie ne s’étende au monde entier d’ici quelques décennies. Et pour le moment, les défenseurs de la santé publique sont loin d’être les plus forts au niveau mondial.

C’est le constat fort déprimant qu’a fait Neil Collishaw, chef par intérim du programme Tabac ou Santé à l’OMS, qui était de passage à Montréal il y a quelques semaines. Lorsqu’il se rend par exemple dans un pays africain, il ne trouve en général aucune ONG qui se préoccupe du tabagisme, même si l’on prévoit que la mortalité attribuable au tabagisme représentera près de 11 % de tous les décès dans les pays pauvres en 2020.

Du côté gouvernemental, les fonctionnaires et les ministres sont trop aux prises avec les problèmes immédiats – eau potable, mortalité infantile, SIDA, etc. – pour se consacrer à la prévention d’un fléau qui ne frappera de plein fouet que dans 20 à 30 ans, affirme M. Collishaw

Il essaye de les convaincre d’y accorder un minimum de ressources maintenant pour éviter d’avoir à dépenser des millions plus tard – une idée qui est malheureusement difficilement vendable dans bien des pays où les finances publiques sont dans un état pitoyable.

En Europe de l’Est, la situation n’est guère plus reluisante. Sous les régimes communistes, le tabagisme y était déjà fort répandu, malgré la quasi-absence de publicité. « L’important, c’était que la cigarette était toujours disponible, et c’était toujours disponible à un prix très abordable », constate M. Collishaw.

Depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, les monopoles d’État ont en général été remplacés par des filiales des multinationales qui font tout pour associer la cigarette à la liberté occidentale et aux joies de la consommation. Dans un contexte où beaucoup de gouvernements en sont encore à naviguer à vue entre les crises provoquées par l’effondrement de l’ancien système, il est très difficile de formuler des programmes de protection de la santé publique.

S’il y a eu quelques victoires pour les organismes de santé en Europe de l’est – une nouvelle loi antitabac en Pologne sur le modèle canadien, par exemple – on ne voit pas encore la lumière au bout du tunnel.

Donner le bon exemple

Que pouvons-nous faire, en Occident, pour aider d’autres pays à ne pas répéter nos erreurs dans le dossier du tabac?

Il y a des efforts sérieux pour faire adopter une convention internationale sur les produits du tabac; on a même proposé de classer la nicotine comme une drogue au niveau international pour la soumettre aux conventions déjà existantes.

Mais d’après M. Collishaw, le meilleur service à rendre est tout simplement de gagner la lutte au tabagisme chez nous. Quand il voyage dans les pays en voie de développement, c’est d’ailleurs la première question qu’on lui pose : « Qu’est-ce qu’ils font dans les pays riches? »

Pour M. Collishaw, le très attendu projet de loi antitabac du ministre Jean Rochon est donc un enjeu international, surtout pour la francophonie. Pour le moment, dit-il, « la présence francophone dans le dossier est minime ». En Afrique, c’est le désert complet; en France, on a une belle loi qui n’est pas toujours respectée, et un réseau peu développé du côté des ONG. Restent donc la Belgique, la Suisse et le Québec.

« C’est très bien suivi et très bien regardé, tout ce qui se passe (au Québec), dit M. Collishaw. Mais attention, l’exemple peut jouer des deux côtés. Si on réussit, on a un très bel exemple pour la santé publique. Si on échoue, c’est l’autre côté qui a son bon exemple. »

Francis Thompson