‎Des cigarettes avec moins de nicotine : une proposition de la FDA‎

La Food and Drug Administration (FDA) a annoncé en juillet un changement majeur dans sa lutte contre le tabagisme : plutôt que de tendre vers une société sans tabac, elle encadrera l’ensemble des produits contenant de la nicotine tout en favorisant les moins nocifs. Cela pourrait mener à des cigarettes combustibles avec moins de nicotine dont les fumeurs ne deviendraient pas dépendants.

On l’entend souvent : les gens fument du tabac pour la nicotine, mais meurent en raison de sa fumée. Et si, pour réduire les souffrances et les décès dus au tabac, on encourageait les fumeurs à utiliser des sources de nicotine sans fumée, plus sécuritaires? Telle est l’approche que la FDA se prépare à adopter. À première vue, l’idée paraît séduisante. Est-ce bien le cas? Quels sont les avantages et inconvénients potentiels de cette approche?

Disons d’abord que, pour la FDA, la question de la nicotine doit s’intégrer dans une large stratégie qui dépasse la question du tabac combustible. En effet, avec l’arrivée des cigarettes électroniques puis du tabac chauffé, le « marché de la nicotine » a beaucoup changé. Ainsi, pour le nouveau patron de la FDA, Scott Gottlieb, « la nicotine est à la fois au cœur du problème et, ultimement, la solution à la question de la dépendance et des méfaits causés par le tabac combustible.  » (notre traduction) En clair, la FDA veut encadrer les produits contenant de la nicotine d’une manière globale afin de permettre aux adultes qui le souhaitent d’en obtenir par l’entremise de sources potentiellement moins dangereuses, comme la cigarette électronique, tout en amenant les fumeurs à en délaisser les sources plus nocives, comme la cigarette combustible. L’organisme pourrait donc favoriser la commercialisation des cigarettes électroniques tout en limitant le taux de nicotine dans les cigarettes combustibles, afin que les fumeurs s’en détournent et que les jeunes ne développent pas de dépendance à celles-ci.

Les premières cigarettes sans nicotine ont été commercialisées à la fin des années 1980, mais ont connu un échec commercial.

Aux États-Unis, la FDA assure la sécurité de nombreux produits et aliments, incluant les médicaments et les cosmétiques. Depuis 2009, la FDA encadre aussi les produits du tabac et peut notamment contrôler sa quantité de nicotine, sans toutefois l’éliminer complètement. Il y a cependant encore loin de la coupe aux lèvres. Pour l’instant, la FDA a annoncé la publication éventuelle d’un règlement qui détaillera sa nouvelle approche. Celui-ci devra faire l’objet de consultations avant d’être adopté. Mentionnons que le Canada s’intéresse également à cette mesure. Dans le cadre du renouvellement de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, Santé Canada a commandé une étude sur les avantages possibles de mesures permettant de réduire la dépendance créée par les produits du tabac.

Une vieille idée remise au goût du jour

D’un point de vue technologique, réduire le taux de nicotine dans le tabac n’est pas difficile. Cela serait l’équivalent de retirer la caféine du café. D’ailleurs, les premières cigarettes avec moins de nicotine ont été commercialisées à la fin des années 1980 par les cigarettiers eux-mêmes, alors que le grand public devenait plus conscient de la dépendance créée par cette substance. Ces cigarettes ont toutefois été un échec commercial tandis que les groupes de santé les ont dénoncés comme de pures opérations marketing visant à donner l’illusion de produits moins dangereux.

Eric Donny étudie les cigarettes avec moins de nicotine au Center for the evaluation of ‎nicotine in cigarettes. 
Source : FDA Center for Tobacco Products (5 mai 2015). Evaluating New Nicotine Standards for Cigarettes

À ce jour, peu d’études ont examiné l’impact de cigarettes avec moins de nicotine sur l’envie de fumer. Récemment, l’Américain Eric Donny et son équipe de l’Université de Pittsburgh ont examiné l’effet de ces cigarettes sur environ 800 adultes  qui fumaient au moins cinq cigarettes par jour. Résultat : lorsque les cigarettes avaient moins de 2,4 mg de nicotine par gramme de tabac, les fumeurs en grillaient moins par jour, en moyenne, tel que mesuré par le taux de carbone de monoxyde expiré, sans trop souffrir des symptômes du sevrage. Certains ont toutefois critiqué cette étude. Par exemple, Lynn Kozlowski, de l’Université de Buffalo, rappelle que les participants étaient non seulement payés, mais recevaient un plein montant uniquement s’ils complétaient l’étude, ce qui a pu biaiser les résultats. Eric Donny et son équipe reconnaissent que leurs résultats sont préliminaires. Ces derniers restent donc à confirmer dans des situations réelles où les fumeurs, dont certains défavorisés, auraient à acheter des cigarettes contenant peu de nicotine. La FDA, entre autres, promet d’étudier cette question.

Une idée appuyée par l’OMS
Cynthia Callard, directrice de ‎Médecins pour un Canada sans ‎fumée

Malgré ces incertitudes, un groupe de travail de l’Organisation mondiale de la Santé  s’est prononcé en faveur d’une réduction de la nicotine dans les produits du tabac combustibles, dans la mesure où les fumeurs auraient accès à plus d’accompagnement pour cesser de fumer ainsi qu’à des sources de nicotine plus sécuritaires. « La FDA est la première organisation au monde qui propose un plan visant à éliminer les cigarettes combustibles, analyse Cynthia Callard, directrice de Médecins pour un Canada sans fumée. Ce n’est peut-être pas le meilleur plan, mais c’en est un. Avec la période un peu chaotique de changements qui s’annonce, en raison de l’apparition de nouveaux produits du tabac, nous devons au moins examiner cette idée. »

Selon certaines études, les cigarettiers auraient augmenté le potentiel toxicomanogène (addictif) de leurs cigarettes au fil des années, rappelle Flory Doucas, porte-parole et codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Pour elle, il est donc logique que la FDA s’intéresse à cette question. « La philosophie de l’endgame mise sur des mesures peu conventionnelles. Réduire très progressivement le taux de nicotine dans les cigarettes en fait peut-être partie, surtout si les autorités reconnaissent qu’il y a des produits plus sécuritaires avec de la nicotine. Ne pas agir sur le produit le plus mortel serait l’équivalent de resserrer les mesures de sécurité automobile tout en permettant la mise en marché de voitures sans ceintures de sécurité », analyse Flory Doucas.

Certaines réticences

D’autres intervenants sont plus réticents. Certains craignent que les fumeurs associent ces cigarettes à un danger moindre. En effet, plusieurs d’entre eux ignorent que ce n’est pas la nicotine qui est dangereuse, mais les sous-produits de la combustion (goudron, monoxyde de carbone, benzène, etc.). « Réduire la nicotine dans les cigarettes comme le propose la FDA équivaut à les interdire complètement, ajoute Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. Or, une prohibition des cigarettes entraînerait le développement d’un marché noir massif pour des cigarettes avec un taux ‘‘normal’’ de nicotine. » « Oui, il faut se débarrasser de la cigarette combustible, mais il y a d’autres façons d’y arriver, sans les interdire », renchérit Michael Perley, directeur de l’Ontario Campaign for Action on Tobacco. Ce militant de longue date suggère notamment de hausser les taxes sur ce produit afin que son prix devienne prohibitif, de réduire les points de vente du tabac ou de développer des produits avec de la nicotine qui soient à la fois sécuritaires et attirants pour les fumeurs. Pour l’instant, la FDA promet de faire ses devoirs. Sans dévoiler d’échéancier, elle planifie effectuer une revue de la littérature et mener des recherches sur l’impact de cette nouvelle approche sur le taux de tabagisme, la contrebande et l’usage de produits du tabac moins nocifs, entre autres.

L’étonnant soutien de Philip Morris International

Enfin, la FDA a un soutien inusité dans le développement de cette politique : Philip Morris International. Le plus grand cigarettier au monde s’est récemment déclaré en faveur d’un monde sans fumée, maintenant qu’il commercialise des cigarettes électroniques et le tabac chauffé IQOS. Le fabricant espère d’ailleurs que la FDA donnera à l’IQOS le statut de produit à risque modifié, c’est-à-dire moins dangereux. Les groupes de santé ont toutefois plusieurs réserves, notamment parce que, même s’il se dit en faveur d’un monde sans fumée, Philip Morris International conteste présentement des mesures de lutte contre le tabagisme à travers le monde, dont l’emballage neutre. Un dossier qui, certainement, sera à suivre!

Anick Labelle