Un an après son renforcement, la Loi sur le tabac demeure bien respectée
Juillet 2007 - No 69
Rares sont ceux qui disent s’ennuyer des volutes de fumée ou de leurs émanations toxiques qui embaumaient cheveux et vêtements jusqu’au lendemain d’une soirée… Le 31 mai 2006 a marqué la fin du règne de la cigarette dans les bars et restaurants de la province, et un an plus tard, l’interdiction de fumer, qui bénéficie de l’appui général de la population, est bien respectée.
En dépit des nombreux appels à la peur, on n’a pas assisté à l’hécatombe des bars ni à la mort du nightlife prédites par l’Union des tenanciers de bars de Peter Sergakis, qui conteste la législation devant la Cour Supérieure, et le groupe monchoix.ca, qui milite pour un retour en arrière.
Dans les bars
« On compte à peu près autant de bars que l’an dernier et il n’y a pas eu plus de faillites qu’à l’habitude, signale le président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec (CPBBTQ), Renaud Poulin. Certaines ont peut-être été précipitées par la Loi sur le tabac, mais ça ne veut pas dire qu’elle en est l’unique responsable. »
Alors que les tavernes de quartier, discothèques et brasseries rurales ont été plus durement touchées par l’interdiction de fumer, le domaine des bars, dont les revenus auraient chuté d’environ 10 %, commence peu à peu à s’en remettre.
Même si clients et employés comprennent que la loi s’insère dans une tendance mondiale, M. Poulin avoue, avec le recul, que pour des raisons de concurrence, la plupart des tenanciers auraient probablement continué à permettre l’usage du tabac, s’ils avaient pu faire ce choix. Outre ces considérations économiques, il admet que la législation antitabac a grandement amélioré la qualité de l’air des bars.
Chez les brasseurs
Puisque les bars ont connu des pertes, Info-tabac a voulu savoir si ces dernières se sont reflétées sur les revenus des brasseurs. Molson révèle que la législation antitabac a eu un impact sur ses ventes, mais refuse toutefois de le quantifier. « On a observé un transfert des ventes de produits consommés sur place (ex. : bars) vers le marché des produits de consommation à domicile, indique sa directrice des affaires corporatives, Marieke Tremblay. Cependant, cette tendance était déjà amorcée avant l’arrivée de la loi. »
« Avec les campagnes de sensibilisation contre l’alcool au volant, les gens sont peut-être plus portés à rester chez eux, poursuit-elle, sans compter que la mode est au cocooning (confort chez soi) et que recevoir des amis permet d’économiser sur le coût des sorties qui peut s’avérer plutôt dispendieux si on calcule les frais de parcomètre, d’admission, de vestiaire et des consommations. »
À peine 526 constats d’infraction en 10 mois
Contrairement à la situation qui prévalait lors de l’entrée en vigueur de la première Loi sur le tabac (en 2000), le Service de lutte contre le tabagisme n’a pas tardé à imposer des sanctions. « On a procédé à plusieurs opérations de surveillance dans les différents lieux visés, indique la Dre Marie Rochette, directrice de la promotion de la santé et du bien-être au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Selon les données dont nous disposons, le taux de conformité se maintiendrait autour de 95 %. »
Très satisfaite que la population ait collaboré au succès de la loi, elle souligne que les gens ont été nombreux à signaler des situations suspectes. La quantité de plaintes formulées a doublé par rapport à l’année précédente pour atteindre 3 175 appels. Environ 93 % d’entre elles étaient relatives à l’usage du tabac dans des lieux où il n’est pas permis comme les restaurants, bars, aires communes d’immeubles de six logements et plus, et établissements de santé.
Sur quelque 26 000 visites et 7 700 inspections, seulement 526 constats d’infraction ont été remis au cours des 10 mois qui ont suivi l’interdiction de fumer. Parmi ceux-ci, 224 concernaient des exploitants de bars ayant toléré que l’on fume à l’intérieur de leur établissement.
Ayant été consentis à l’arrachée par le ministre Couillard, les fumoirs extérieurs n’ont fait l’objet que de très peu de constats d’infraction vu que les règles entourant leur aménagement semblaient nébuleuses pour plusieurs exploitants, qui ont plutôt reçu des avis de non-conformité.
Puisqu’ils ont contribué à l’acceptation de la loi par les propriétaires de bars, Renaud Poulin estime que les fumoirs extérieurs devraient pouvoir continuer d’accueillir des fumeurs, du moins, tant et aussi longtemps que la prévalence du tabagisme demeurera aussi élevée.
Restaurants et terrasses
Comme on pouvait s’y attendre, la loi n’a eu que très peu de conséquences sur les restaurants puisque nombre d’entre eux étaient déjà non-fumeurs. « On a dû s’adapter au début, notamment parce que des clients sortaient fumer entre les services, relate le vice-président aux affaires publiques de l’Association des restaurateurs du Québec, François Meunier, mais l’interdiction de fumer est beaucoup plus facile à gérer que les anciennes zones « fumeurs » et « non-fumeurs ». »
Quant aux terrasses extérieures, « elles n’ont pas été envahies par les fumeurs, comme certains le craignaient », observe M. Meunier qui espère que cette « cohabitation réussie » entre fumeurs et non-fumeurs incitera le gouvernement à continuer d’y permettre la cigarette.
Bingos et loterie vidéo
Du côté des bingos, « l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer s’est bien passée, mais elle a entraîné une baisse d’achalandage d’environ 10 % dans une industrie déjà mal en point », affirme le directeur des opérations du Bingo de St-Eustache, Benoît Bougie, qui est également membre de l’Association des gestionnaires privés de salles de bingo. Afin d’attirer de nouveaux joueurs, il indique que Loto-Québec a bonifié les lots offerts lors des parties en réseau.
Dans un rapport intérimaire couvrant les mois d’avril à décembre 2006, Loto-Québec indique que « les revenus du secteur des bingos ont progressé de 1,6 % » et que « la mise en uvre de judicieuses stratégies de vente et de promotion a permis de contrer les effets réels de la législation antitabac ». Par contre, à cause de la loi, ses recettes provenant d’appareils de loterie vidéo auraient chuté de 96,7 millions $ au cour de la même période.
Autres renforcements à venir
En vertu de l’article 77 de la Loi sur le tabac, le ministre de la Santé devra faire rapport au gouvernement de sa mise en oeuvre d’ici le 1er octobre 2010. En attendant, d’autres renforcements sont encore à venir. À la fin du mois de mai 2008, les fumoirs ventilés aménagés dans certains lieux de travail ne pourront plus servir et il sera interdit d’étaler les produits du tabac à la vue du public dans presque tous les points de vente, à l’exception des boutiques hors taxes et des salons de cigares.
Pas de procès en vue
Le procès sur la constitutionnalité de la Loi sur le tabac, qui devait avoir lieu ce printemps, ne sera apparemment pas entendu avant 2008. Par ailleurs, la compagnie de chemins de fer Canadien Pacifique, qui s’est vu imposer des amendes pour non-respect de la loi antitabac québécoise, en conteste elle aussi la validité sous prétexte qu’elle relève de l’autorité exclusive du Parlement canadien.
Quant à la poursuite en diffamation intentée contre Peter Sergakis et l’Union des tenanciers de bars du Québec par Renaud Poulin et la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec, des interrogatoires ont eu lieu, mais aucune date d’audience n’a encore été fixée.
Plus agréable maintenant
Selon un sondage Omnibus réalisé par Léger Marketing pour le compte de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, une forte proportion de la population appuie l’interdiction de fumer dans les bars. Environ 81 % des Québécois disent que manger dans un restaurant est maintenant plus agréable et 53 % considèrent que sortir dans un bar l’est également davantage.
Bien qu’il se réjouisse de ces résultats et de l’entrée en vigueur réussie de la Loi sur le tabac, le coordonnateur de la Coalition, Louis Gauvin, précise que, outre les effets à court terme, la population pourra également constater ses bienfaits à plus long terme : « Le fait d’avoir banni la cigarette de la plupart de nos lieux publics incitera de nombreux fumeurs à se libérer de leur dépendance, ce qui contribuera à réduire le fardeau imposé à notre système de santé par le tabac. » D’après une étude d’impact de la législation conduite en 2005, chaque baisse de 1 % du tabagisme se traduirait par des économies de 114 millions $ en matière de santé publique.
Josée Hamelin