Revenu Québec réclame 1,36 milliard $ à JTI-Macdonald

Revenu Québec est déterminé à récupérer 1,36 milliard de dollars auprès de la compagnie JTI-Macdonald (JTI), pour les pertes fiscales occasionnées par son implication alléguée dans la contrebande des années 1990. Même si le fabricant de cigarettes a reçu la protection de la Cour, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), le ministère n’entend pas lâcher prise. Il utilisera tous les moyens dont il dispose pour que le cigarettier s’acquitte de ses obligations.

Bien que la bataille ne soit pas encore gagnée, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac se réjouit de l’action entreprise par le fisc québécois. « C’est une grande victoire pour le Québec qui témoigne ainsi de sa volonté de s’attaquer à une industrie qui ne cesse, par des moyens le plus souvent contestables, sinon criminels, d’essayer de miner les efforts en matière de réduction du tabagisme », a indiqué son coordonnateur, Louis Gauvin.

Démarche surprenante

Au lieu d’intenter une poursuite devant les tribunaux, ce sont plutôt des moyens fiscaux, hors du commun, qu’a utilisés le gouvernement du Québec pour tenter de recouvrer son dû. « Nous avons évalué la preuve et notre dossier est bien documenté, alors nous avons émis un avis de cotisation à l’endroit de la compagnie JTI-Macdonald en date du 10 août 2004 », a expliqué à Info-tabac le ministre du Revenu, Lawrence S. Bergman, au cours d’un entretien téléphonique.

Selon les dispositions de l’article 13 de la Loi sur le ministère du Revenu, le ministre peut exiger le paiement immédiat d’une dette fiscale impayée en se prévalant d’une ordonnance de la Cour. Dans un bref jugement rendu public le 13 août, la Cour supérieure du Québec a donc condamné JTI-Macdonald « à payer au ministre du Revenu la somme de 1 364 440 357, 51 $ et les intérêts capitalisés quotidiennement à compter du 11 août 2004 ».

Cette somme correspond à 440 millions $ en taxes impayées, 284 millions $ en pénalités et 640 millions $ en intérêts; elle représente environ 10 années de profits pour la compagnie. Les faits reprochés à JTI-Macdonald s’étalent sur une période allant de janvier 1990 à décembre 1998.

Réactions

La démarche de Revenu Québec en a surpris plusieurs, à commencer par le fabricant de cigarettes. On se souvient qu’au printemps 2003, JTI-Macdonald avait refusé de mettre ses livres comptables à la disposition du ministère du Revenu, ce qui n’a toutefois pas empêché ce dernier de mener à bien son enquête. « L’action entreprise par le ministère du Revenu du Québec est extraordinaire et d’autant plus inquiétante qu’elle bafoue la présomption d’innocence », s’est indignée JTI-Macdonald en défendant la légitimité de ses activités commerciales.

« C’est un juste retour des choses, croit, pour sa part, le directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), François Damphousse. JTI-Macdonald se plaint que le gouvernement utilise des moyens exceptionnels pour tenter de récupérer les sommes dues alors qu’elle semble oublier que la contrebande dans laquelle on l’accuse d’avoir trempé atteignait elle aussi des proportions exceptionnelles. »

Troisième compagnie de tabac en importance au Canada (avec environ 12 % des parts de marché), JTI-Macdonald, qui fabrique entre autres les cigarettes de marque Export‘A’, appartient à la multinationale Japan Tobacco International depuis 1999. Le cigarettier, qui emploie un peu plus de 550 employés, a son siège social à Toronto et sa seule usine se situe au 2455, rue Ontario Est, à Montréal.

Autres accusations

Bien qu’elle se prétende une entreprise légitime et sans tache, JTI-Macdonald n’en est pas à ses premiers démêlés avec la justice canadienne. Au terme de quatre ans et demi d’enquête sur des allégations de complicité dans la contrebande de tabac, la Gendarmerie royale du Canada a déposé en février 2003, des accusations criminelles contre la compagnie, trois de ses filiales de l’époque et huit de ses anciens dirigeants. Six mois plus tard, le gouvernement fédéral a intenté une poursuite au civil contre JTI, sa maison mère (Japan Tobacco) et les autres multinationales du tabac auxquelles elle était anciennement affiliée. Ces procédures sont toujours devant les tribunaux.

Pouvoir de saisir

En réponse à l’affirmation de JTI qui prétendait que le gouvernement avait bafoué la « présomption d’innocence », le ministre du Revenu rétorque qu’il n’a fait qu’appliquer la loi : « J’ai suivi les lois du Québec qui ont été adoptées par la législature. Nous sommes une province démocratique et nous n’avons fait qu’exercer nos droits en vertu de la loi sur le ministère du Revenu. »

Cette loi a d’ailleurs permis au ministère de percevoir les recettes de la compagnie directement à la source, c’est-à-dire auprès des grossistes. Selon le président et chef de la direction de JTI-Macdonald, Michel Poirier, presque tous les revenus des ventes québécoises auraient été saisis par le gouvernement, ce qui aurait privé la compagnie d’environ 40 % de ses produits d’exploitation.

Afin d’échapper à une supposée faillite, le fabricant de cigarettes a sollicité la protection de la Loi (fédérale) sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, le 24 août. La même journée, le juge Jim M. Farley, de la Cour supérieure de l’Ontario la lui accordait jusqu’au 22 septembre 2004. JTI-Macdonald a donc pu reprendre le plein contrôle de ses opérations, et ce, sans avoir à rembourser le gouvernement du Québec. Le juge Farley a, une fois de plus donné raison au fabricant le 14 septembre, en prolongeant la protection de la Cour jusqu’au 30 novembre.

Joint par Info-tabac à la fin août, Revenu Québec ne semblait pas reconnaître la légitimité du 1er verdict rendu en Ontario. Le ministère disposait de sept jours pour en appeler du jugement, ce qu’il n’a pas fait. « J’ai pris connaissance du jugement émis par la Cour supérieure de justice de l’Ontario en date du 24 août 2004, a confirmé le ministre Bergman. Je l’ai ensuite remis à nos avocats en leur demandant d’exercer tous les moyens disponibles, en vertu des lois de la province de Québec, pour assurer le respect du jugement qui a été émis par la Cour supérieure du Québec le 11 août 2004. »

Structure corporative de JTI-Macdonald

Le 11 août dernier, Revenu Québec a déposé une Requête en redressement et en inopposabilité devant la Cour supérieure du Québec. Celle-ci a pour but d’invalider les nombreuses transactions financières qui auraient permis à la compagnie de s’évader de ses responsabilités fiscales en transférant 2,2 milliards de dollars dans des sociétés dissimulées qui lui appartiennent.

Outre JTI-Macdonald Corp., les quatre filiales visées par la requête sont JTI-Macdonald TM Corp., JT Canada LLC II Inc., JT Canada LLC Inc., dont les sièges sociaux sont situées à Halifax, ainsi que BNY Trust Company of Canada, qui a le sien à Toronto.

Puisque cette cause est devant les tribunaux, le ministre Bergman a refusé de dire s’il sera possible de récupérer des sommes d’argent situées à l’extérieur du pays.

Aucune entente possible

Le gouvernement n’envisage pas la possibilité de conclure une entente avec le fabricant de tabac, selon le ministre Bergman : « L’argent des Québécois est non-négociable! C’est une question d’équité envers mes concitoyens. Car il ne faut pas oublier que 96 % des particuliers paient leurs impôts à temps et au complet. »

« De plus, a-t-il ajouté, il y a un jugement qui existe et l’argent est dû depuis le 11 août 2004, alors j’attends toujours le paiement. »

S’il trouve surprenant qu’une compagnie accusée d’évasion fiscale et qui encaisse chaque année des millions de dollars en profits puisse obtenir la protection de la Cour, François Damphousse, de l’ADNF, croit que le gouvernement réussira à récupérer son dû.

« La communauté de la santé doit une fière chandelle au ministère du Revenu du Québec pour le geste courageux et innovateur qu’il a entrepris contre JTI-Macdonald, a-t-il commenté. Cela prouve, comme l’a si bien dit le ministre, que personne ne peut s’évader de ses responsabilités fiscales, et surtout pas les compagnies de tabac. »

Josée Hamelin