Quand interdiction rime avec abandon

N’en déplaise à l’industrie du tabac, les interdictions de fumer, mises en place dans les lieux publics, ne sont pas vaines, loin de là. Selon une étude, publiée à la fin août par Statistique Canada, restreindre l’usage du tabac dans ces endroits encouragerait les fumeurs à se libérer de leur dépendance ou à diminuer leur consommation de cigarettes, ce qui, à long terme, contribuerait à réduire le tabagisme.

À partir des données de l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (menée tous les ans depuis 1999) et de l’Enquête nationale sur la santé de la population (conduite une année sur deux depuis 1994), Margot Shield – de la division de l’information et de la recherche à Statistique Canada – a tenté de déterminer si le fait de proscrire ou de limiter la consommation de cigarettes au travail ou à la maison influençait le statut tabagique des fumeurs.

De plus, elle a aussi cherché à savoir si les interdictions de fumer dans ces mêmes lieux étaient liées à un stade de changement particulier, en fonction du modèle transthéorique qui décrit l’abandon du tabac selon les cinq étapes suivantes : précontemplation (n’a pas de plan pour arrêter), contemplation (songe à cesser dans les six mois à venir), préparation (fixe une date en vue d’arrêter), action (arrête de fumer au moins une journée) et maintien (tente de demeurer abstinent).

Une motivation supplémentaire

« Pour les fumeurs qui souhaitent arrêter, les restrictions sur l’usage du tabac peuvent faire pencher la balance du côté de l’action », conclut Mme Shield. Au cours des 10 dernières années, ceux dont le domicile ou le lieu de travail est devenu sans fumée ont été plus nombreux à rompre avec la nicotine dans les deux années qui ont suivi. On parle de 20 contre 13 % dans le cas d’une interdiction à la maison et de 27 contre 13 % lorsqu’elle s’est produite au boulot.

De plus, en 2005, les fumeurs vivant dans un environnement exempt de fumée consommaient en moyenne neuf cigarettes par jour, tandis que ceux qui n’étaient soumis à aucune restriction en fumaient presque le double (16). Au travail, la quantité variait également dans les milieux avec (12) ou sans (17) interdiction complète.

Concernant leur intention d’écraser, les fumeurs ne pouvant pas fumer au travail ou à la maison étaient plus susceptibles que les autres de se situer aux dernières étapes du changement (préparation, action ou maintien).

Pourquoi les fumeurs écrasent-ils en masse?

Selon Margot Shield, les interdictions dans les lieux publics contribuent à transmettre un message clair aux fumeurs et aux non-fumeurs : « Elles peuvent rehausser le sentiment de responsabilité personnelle des fumeurs et les inciter à accepter, ou même à imposer, des restrictions chez eux, afin de protéger les non-fumeurs. Ces interdictions peuvent aussi raffermir la position des non-fumeurs en leur fournissant des justifications pour imposer des restrictions similaires chez eux, particulièrement en présence d’enfants. »

Quant aux anciens fumeurs, ils bénéficieraient eux aussi des interdictions. « Le fait de devoir fumer à l’extérieur, particulièrement pendant le froid de l’hiver canadien, peut inciter les fumeurs à envisager de cesser et dissuader les anciens fumeurs de fumer à nouveau », indique l’auteure. Une donnée intéressante quand on sait que d’après les études sur les taux de récidives, les ex-fumeurs ont plus de chances de rechutes s’ils sont fréquemment exposés à la fumée.

Domiciles sans fumée

Entre 2000 et 2006, la prévalence du tabagisme a chuté de 24 à 19 % au Canada. Pendant ce temps, la proportion de fumeurs déclarant vivre dans un domicile sans fumée est passée de 27 à 43 %. De plus, chez ceux qui étaient membres d’un ménage composé d’enfants de moins 15 ans, ce ratio a grimpé de 38 à 55 %.

Intitulée « Interdictions de fumer : leur incidence sur la prévalence de l’usage de la cigarette », l’étude réalisée par Margot Shield a été publiée dans Rapports sur la santé (vol. 18, no 3), une revue de Statistique Canada qui paraît tous les trois mois. On peut la télécharger gratuitement via les liens 71 du bulletin Info-tabac.

Josée Hamelin