Prochaine étape : 0 % de fumeurs?
Octobre-Novembre 2013 - No 98
Plusieurs pays se sont engagés à faire disparaître pour de bon le tabagisme de leur territoire. Le Québec pourrait-il faire de même?
Au début des années 2000, certains ont cru qu’un monde sans tabac était à portée de main. Après tout, le nombre de fumeurs québécois avait fondu de moitié depuis la fin des années 1980. Aujourd’hui, les prédictions sont moins optimistes.
Le Conseil québécois sur le tabac et la santé estime possible de ramener la proportion de fumeurs québécois à 10 % d’ici 2025.
En effet, depuis 2005, la proportion de fumeurs s’est stabilisée autour de 24 %, selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. Pour certains, il est difficile de faire mieux. À l’international, par contre, d’autres sont moins fatalistes et décident d’agir. La Nouvelle-Zélande, la Finlande et l’Écosse se sont toutes officiellement engagées à éradiquer le tabac de leur territoire, c’est-à-dire à réduire leur proportion de fumeurs à moins de 5 %. Un tel objectif est-il envisageable au Québec?
Un rêve possible
La Belle Province compte une proportion de fumeurs semblable à celle la Nouvelle- Zélande, de la Finlande ou de l’Écosse. Là-bas, ce sont respectivement 18 %, 25 % et 23 % des citoyens qui fument. Par contre, contrairement à ces trois pays, le Québec espère réduire sa proportion de fumeurs à 16 % d’ici… 2012. D’ores et déjà, le Conseil québécois sur le tabac et la santé estime toutefois qu’il est possible de ramener la proportion de fumeurs québécois à 10 % d’ici 2025. « Nous nous sommes fixé cet objectif en 2011, en sachant que nous avions obtenu à plusieurs reprises des baisses de 1 à 1,5 point de pourcentage chaque année, au cours des 15 dernières années », explique Mario Bujold, directeur général de l’organisme. Selon lui, il est donc possible de continuer dans cette veine, à condition de mettre en œuvre les bonnes mesures.
« Les mesures additionnelles avec le plus grand impact potentiel portent sur les produits du tabac eux-mêmes. » – Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.
Des mesures plus sévères
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie? Le Québec interdit déjà l’usage du tabac dans tous les lieux publics intérieurs, rembourse les aides à la cessation, prohibe presque toutes les formes de publicités sur le tabac et, au fil des ans, a financé plusieurs campagnes de sensibilisation.
Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. En clair : agir sur les saveurs, les emballages, les nouvelles catégories de produits et le prix du tabac. La Division du Québec de la Société canadienne du cancer a d’ailleurs lancé une pétition réclamant plusieurs actions en ce sens. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Réjean Hébert, s’est engagé quant à lui en mai à revoir la Loi sur le tabac. Pourrait-il s’inspirer des mesures annoncées en Finlande, en Nouvelle-Zélande ou en Écosse?
La Finlande : cibler les jeunes
Ces pays expérimentent plusieurs avenues pour ramener à moins de 5 % la proportion de fumeurs sur leur territoire. En Finlande, par exemple, ceux qui achètent du tabac pour un mineur sont passibles depuis 2010 d’une amende ou de jusqu’à six mois de prison. Contrairement à ce qui prévaut au Québec, ce pays prohibe aussi désormais le don de tabac à un mineur et la possession de tabac par un mineur. Ces deux dernières interdictions ne sont toutefois assorties d’aucune peine. Mais, selon les élus néo- zélandais, elles demeurent tout de même utiles puisqu’elles facilitent les interventions auprès des jeunes fumeurs. Enfin, les produits de remplacement de la nicotine sont dorénavant disponibles… dans les restaurants.
Et au Canada?
Le Canada a déjà été un précurseur dans la lutte antitabac, mais il perd tranquillement son avance. En 2012, par exemple, Ottawa n’a pas renouvelé sa Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme et, pour l’instant, n’a aucun objectif précis en termes de réduction du nombre de fumeurs.
Les groupes prosanté peuvent toutefois lui en proposer! « Un objectif ambitieux, mais atteignable serait une réduction de 20 à 10 % du nombre de fumeurs d’ici 2020 », dit Robert Walsh, directeur général du Conseil canadien pour le contrôle du tabac. Pour y arriver, il réclame des mesures qui toucheraient toute la population, comme une hausse de taxes ou l’interdiction des saveurs dans tous les produits du tabac. À l’Association des droits des non-fumeurs, on rêve d’une réduction des points de vente. « Il faudrait que le tabac soit vendu dans des magasins opérés par l’État qui fourniraient aussi des aides à la cessation », estime Lorraine Fry, directrice nationale de l’organisme.
La Nouvelle-Zélande : importantes hausses de taxes
La Nouvelle-Zélande s’est donné 15 ans – de 2011 à 2025 – pour faire chuter sa proportion de fumeurs de 18 % à 5 %. Certaines mesures envisagées sont déjà en vigueur au Québec, comme l’interdiction des étalages de produits du tabac dans les lieux de vente. Mais la plupart n’ont pas encore été testées ici. Mentionnons une hausse annuelle de 10 % des taxes sur tous les produits du tabac, de 2011 à 2016. Le gouvernement a aussi versé 13 millions de dollars NZ (11 millions de dollars CA) à différentes initiatives en cessation tabagique. Mentionnons un autobus pour joindre les populations éloignées qui ont un taux de tabagisme élevé et l’utilisation des arts pour encourager les fumeurs autochtones à écraser. Enfin, le gouvernement songe notamment à adopter l’emballage neutre et à contrôler plus sévèrement les composants du tabac.
L’Écosse : renforcer les actions
L’Écosse, enfin, compte faire passer de 23 % à 5 % la proportion de fumeurs d’ici 2034. Pour y arriver, elle annonce qu’elle vérifiera notamment à quel point elle applique l’article 5.3 de la Convention- cadre de l’organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac. Cet article exige que les États veillent à ce que « leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac […] ne soient pas influencées par les intérêts […] de l’industrie du tabac. » L’Écosse compte aussi examiner ce qu’elle peut faire au sujet du tabac dans les médias, resserrer les lois sur l’achat de tabac par des mineurs et s’assurer que toutes les infirmières soient en mesure de parler de tabagisme et de fumée secondaire à leurs patients.
En fin de compte, ces trois pays mettent en œuvre des mesures ambitieuses afin de contrer l’ennemi numéro un de la santé publique. Interdire complètement le tabac provoquerait probablement des émeutes. C’est pourquoi il est sûrement plus sage de rendre son usage plus désagréable et moins pratique jusqu’à ce qu’il disparaisse, comme l’espère plus d’un au Québec… et ailleurs.
Anick Labelle