Plusieurs fumeurs sont revenus aux cigarettes taxées en 2009 et 2010
Octobre 2010 - No 84
Première remontée des ventes légales depuis 1996 selon Santé Canada
Dans son rapport financier du deuxième trimestre de 2010, publié le 22 juillet dernier, Philip Morris International (PMI) affirme avoir vendu, au Canada, 18,7 % plus de cigarettes que l’an passé, tout en observant une légère érosion de sa part du marché. PMI est le deuxième plus grand fournisseur légal au pays, à travers sa filiale Rothmans, Benson and Hedges et des dizaines de milliers de dépanneurs et autres points de vente légaux.
PMI, qui au Canada vend notamment les marques de cigarettes Craven A, Mark Ten, Belmont, Accord, Benson & Hedges et Québec Classique, invoque de nouveau les mesures prises par les pouvoirs publics contre la contrebande pour expliquer la croissance globale de son volume de ventes au pays. C’est le quatrième rapport de suite où la plus grande multinationale du tabac au monde et experte du marketing avance une pareille explication de la hausse de son volume de ventes au Canada.
British American Tobacco, le premier fournisseur des fumeurs canadiens, à travers sa filiale Imperial Tobacco Canada et le réseau commercial légal, affirme dans son rapport financier du premier semestre de 2010, paru le 28 juillet : « La croissance du volume [vendu] a été réalisée en profitant d’une réduction significative du commerce illicite [des cigarettes] résultant des mesures coercitives appliquées par les autorités ». C’est la deuxième fois en six mois que le fournisseur des marques Player’s, Peter Jackson, Du Maurier, Matinée, Viceroy et Vogue, entre autres, mentionne une réduction du commerce illégal.
Le marché noir a perdu des clients
Selon les données de Santé Canada sorties en juillet, il y a eu pendant l’année 2009 une augmentation de 3,9 % du nombre total de cigarettes vendues à travers le circuit de distribution légal. Au Québec, le volume des ventes légales a crû de 10,8 % en 2009 par rapport à 2008.
Au Québec comme au Canada, c’était la première fois depuis 1996 que le nombre des cigarettes vendues après avoir été taxées en conformité des lois augmentait. Aucune baisse des taxes sur le tabac n’a pourtant été consentie par les gouvernements au Canada au cours des dernières années; des provinces et des territoires ont même accru leurs charges fiscales contre le tabac.
Au Québec, où le montant total des taxes provinciale et fédérale n’a pas bougé depuis décembre 2003, le prix moyen au détail des cigarettes vendues dans le réseau légal a monté en 2009 et de nouveau durant la première partie de 2010, selon les données de Statistique Canada. Cela n’empêche pas certains dépanneurs de dénoncer l’alourdissement des taxes plutôt que la gourmande politique de prix des cigarettiers. Durant l’année 2009 comme durant le premier semestre de 2010, au Québec, le prix des cigarettes sur le marché légal y a même monté plus rapidement que l’indice d’ensemble des prix à la consommation (IPC). Il ne semble donc pas que ce soit de soudaines aubaines pour les fumeurs qui aient stimulé tout d’un coup les ventes de cigarettes taxées.
Murray Kaiserman, qui dirige le bureau de la recherche sur le tabagisme à Santé Canada, et Rob Cunningham, qui analyse les politiques de santé publique pour la Société canadienne du cancer, croient que l’augmentation du nombre de cigarettes vendues en 2009 est un signe que des fumeurs qui s’approvisionnaient auparavant sur le marché noir sont de retour dans les points de vente légaux.
Les fumeurs continuent de décrocher
Selon les données de l’Enquête sur la santé des collectivités canadiennes (ESCC) de Statistique Canada, sorties à la fin de juin, le nombre de fumeurs a encore diminué en 2009 au Canada. Le nombre d’adeptes de la cigarette n’a jamais été aussi bas, tant au Québec que dans l’ensemble du pays. En parallèle, Santé Canada affirme ne pas avoir observé de changement statistiquement significatif dans la consommation quotidienne moyenne des fumeurs.
En résumé, il est difficile d’expliquer autrement que par le recul de la contrebande la poussée des ventes de cigarettes taxées en 2009.
Les ventes au noir restent un grave souci
Vic Toews, Keith Ashfield et Jean-Pierre Blackburn, trois ministres du gouvernement Harper, ont tenu une conférence de presse à Montréal le vendredi 28 mai.
C’était pour promettre trois choses : la Gendarmerie royale du Canada mettra sur pied une escouade de lutte contre la contrebande du tabac au sein de son unité mixte d’enquête sur le crime organisé; l’Agence des services frontaliers du Canada établira un service de chiens détecteurs de tabac à Montréal et à Vancouver; et l’Agence du revenu du Canada lancera une campagne publicitaire multimédia de 5 millions $ pour sensibiliser la population canadienne aux répercussions négatives de l’achat de cigarettes de contrebande.
Après l’allocution des ministres, la presse a pu admirer le flair de deux chiens renifleurs employés dans les aéroports. En considérant que le tabac de contrebande voyage plutôt par voie terrestre et sur les cours d’eau que par les airs, un journaliste a demandé si un chien saurait détecter du tabac à l’intérieur de conteneurs en métal étanches, et la réponse du maître-chien et agent des Services frontaliers, bien que finalement positive, a paru très mal assurée. La réponse du ministre Blackburn a été encore moins concluante à une question de journaliste sur la volonté du gouvernement de faire fermer les fabriques canadiennes de cigarettes sans licence, fabriques établies sur des réserves amérindiennes que la police fédérale continue d’identifier depuis plusieurs années comme la principale source des produits de contrebande en Ontario et au Québec.
L’Association canadienne des dépanneurs en alimentation (ACDA) s’est montrée satisfaite des mesures annoncées, le jour même de la conférence de presse. En revanche, quelques heures plus tard, la Coalition nationale contre le tabac de contrebande, un regroupement d’associations diverses suscité et animé par l’ACDA, a exprimé clairement sa déception qu’après des années de stratégies et de promesses du gouvernement, aucune usine de cigarettes fonctionnant sans permis n’ait été fermée au Canada.
Régler le problème à la source
Commentant lui aussi les annonces faites par les ministres, François Damphousse, de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), a déploré le fait que le gouvernement fédéral ne s’emploie pas plus précisément à couper les approvisionnements en matières premières des fabriques illégales. Que des usines illégales de cigarettes soient sur des réserves amérindiennes est une réalité qui crée peut-être une difficulté politique, mais les fabriques de filtres ou de papier à cigarette de même que les champs de tabac sont en grande partie en dehors de ces minuscules territoires.
En plus de remarquer la lenteur administrative des autorités fédérales, François Damphousse est déçu que les trop maigres sommes versées par les grands cigarettiers en amendes (amendes pour avoir alimenté la contrebande du début des années 1990) aient surtout servi jusqu’ici à indemniser des cultivateurs de tabac faisant semblant de se retirer du marché (voir notre reportage en page 12 du numéro 83), ou servent bientôt à payer de la publicité contre le marché noir. Aux yeux de l’ADNF et des autres groupes pour le contrôle du tabac, l’argent des amendes devait plutôt servir, tel que promis depuis plusieurs années, à mener une lutte plus efficace contre les sources des produits de contrebande.
Pierre Croteau