Ottawa tarde à bannir les légères

Ministre fédérale de la Santé depuis janvier 2002, Anne McLellan ne partage pas l’empressement de son prédécesseur, Allan Rock, à mettre fin aux appellations trompeuses des marques de cigarettes, comme « douces » et « légères ». Un an et demi après que M. Rock eut annoncé, le 31 mai 2001, l’intention de son gouvernement de bannir les termes faussement rassurants des paquets de cigarettes, et dix mois suivant une consultation écrite des parties intéressées, le dossier semble piétiner.

Au début de la conférence nationale antitabac d’Ottawa, en décembre, l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) a manifesté son impatience en publiant une série de trois annonces d’une page dans l’hebdomadaire The Hill Times, lequel est consacré aux affaires de la Colline Parlementaire. Ces trois messages, adressés à la ministre de la Santé, étaient titrés en rouge (notre traduction) :

L’épidémie de tabac est une épidémie, et devrait être combattue comme telle. Le Canada a besoin de votre leadership;

Quand allez-vous procéder à l’interdiction promise des termes trompeurs « légères » et « douces »?;

Cela ne devrait pas être « légal » de mentir aux fumeurs. Il n’y a pas « d’empêchement légal » à l’interdiction des emballages trompeurs des cigarettes.

L’ADNF a aussi émis un communiqué de presse réitérant l’inquiétude des groupes de santé devant l’hésitation fédérale à bannir les termes controversés, qui se trouvent pourtant sur les deux tiers des paquets de cigarettes achetés au pays. Déjà, le 27 mai 2002, les neuf groupes canadiens les plus impliqués dans le contrôle du tabac avaient diffusé un communiqué conjoint révélant leur malaise face à l’absence de progrès apparents dans ce dossier. « Un an après que le gouvernement ait mis au défi l’industrie de retirer les termes trompeurs, McLellan doit agir maintenant pour mettre fin au mensonge des cigarettes légères et douces », réclamait le titre du communiqué signé notamment par la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

En complément, l’ADNF vient de publier un attrayant cahier de 10 pages, disponible dans les deux langues, démontrant la nécessité d’une telle interdiction. Intitulé La fraude commerciale des cigarettes « douces » et « légères », le cahier rappelle l’historique de ces produits lancés par l’industrie pour rassurer ses clients. L’Association insiste pour qu’Ottawa banisse tous les types de supercherie liés aux emballages, et non une variante ou deux de ceux-ci.

Ainsi interpellé, par la publicité choc, les dépliants distribués à la Conférence et les appels de journalistes, le ministère de la Santé a maintenu qu’il poursuivait sa collecte d’informations de manière à agir efficacement, au bon moment. Dans son discours au Château Laurier, le sous-ministre Ian Green a défendu la démarche lente du gouvernement. « Santé Canada mène une campagne d’information envers le public à ce sujet et nous continuerons à travailler en vue d’une interdiction des termes par voie de réglementation, a-t-il déclaré. (…) Permettez-nous de vous rassurer, au nom de la ministre et du ministère, sur notre engagement clair de résoudre ce problème. Ceci étant dit, nous agirons de manière responsable, cela seulement au moment opportun, lorsque notre action provoquera un changement substantiel. »

Le sous-ministre a néanmoins admis que le gouvernement canadien n’avait pas encore fait définitivement son nid sur la question : « Nous devons nous demander si nous avons le meilleur fondement pour aller de l’avant. Est-ce que nos actions modifieront vraiment les perceptions? Y’a-t-il d’autres manières de solutionner ce problème? Avons-nous une base légale solide? »

Interrogée par Mark Kennedy du Ottawa Citizen, la directrice des communications de la ministre, Farah Mohamed, a répété que le gouvernement n’avait pas renoncé au bannissement des termes trompeurs. Elle a également précisé que Mme McLellan ne fumait plus, pas même occasionnellement.

Le récent jugement de la Cour supérieure du Québec, appuyant en termes très clairs la validité et le bien-fondé de la loi canadienne sur le tabac, s’ajoute maintenant aux autres incitatifs qui encouragent le gouvernement canadien à faire aboutir ce dossier. La cigarette légère n’existe pas et celle « bonne pour la santé » est une illusion, vient de reconnaître le juge André Denis.

Denis Côté