Mobilisation autour des jeunes adultes

Au Québec, on trouve la plus grande proportion de fumeurs parmi les 18 à 34 ans. Une situation préoccupante à laquelle s’intéressent de plus en plus d’experts, dont le directeur national de santé publique du Québec.

Même si le tabagisme diminue au Québec, il reste bien présent chez les 18 à 34 ans alors que, paradoxalement, ces jeunes ont grandi avec l’adoption des premières lois sur le tabac. Que sait-on de l’usage du tabac chez ces jeunes et des meilleures façons de prévenir leur dépendance ou de la guérir?

Il y a 24 % de fumeurs chez les Québécois de 18 à 34 ans, contre 18 % dans la population en général.

Notons d’abord que les jeunes adultes forment un groupe sociologique assez diversifié. Certains sont déjà autonomes et actifs sur le marché du travail alors que d’autres viennent tout juste de fonder une famille, poursuivent leurs études à l’université ou les reprennent par l’entremise de l’éducation aux adultes. Aujourd’hui, l’approche des inégalités sociales de santé pousse les spécialistes du tabac à se pencher sur cette population hétérogène dont le taux de tabagisme est particulièrement élevé.

Des statistiques inquiétantes

De fait, la plus récente Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes rapporte qu’il y a 24 % de fumeurs au Québec parmi les jeunes adultes âgés de 18 à 34 ans, contre 18 % dans la population en général. De plus, une part non négligeable des fumeurs s’initient au tabac alors qu’ils sont jeunes adultes. C’est ce que constatent les chercheurs Thierry Gagné et Gerry Veenstra dans le Canadian Journal of Public Health (première édition de 2017). Ces derniers ont examiné, de 2001 à 2013, l’âge auquel avaient commencé à fumer les Canadiens alors âgés de 25 ou 26 ans. Ils ont constaté que la proportion d’entre eux s’étant initiés au tabac avant l’âge de 17 ans avait diminué de manière statistiquement significative au cours de cette période (de 47 % à 36 %) alors que la proportion de ceux s’étant initiés au tabac entre 18 et 25 ans était restée stable (à environ 15 %). Les deux chercheurs constatent, chez les Canadiens âgés de 25 ou 26 ans, des tendances semblables en ce qui concerne l’initiation au tabagisme quotidien : les jeunes sont proportionnellement de moins en moins nombreux à commencer à fumer à tous les jours avant 17 ans, alors que, entre 18 à 25 ans, cela reste stable.

Le Dr Horacio Arruda est le directeur national de santé publique du Québec.

La question est si préoccupante que le directeur national de santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, vient d’y consacrer un rapport intitulé Le tabagisme chez les jeunes adultes : agir ensemble pour diminuer la prévalence. « Le groupe des 18-34 ans constitue une référence pour les jeunes, en plus d’être la nouvelle génération de parents : l’influence de leur tabagisme sur la société québécoise est donc considérable », note le Dr Arruda. Cela est d’autant plus inquiétant que les 425 000 jeunes adultes québécois qui fument sont notoirement réticents à faire appel aux soutiens à la cessation traditionnels, comme les services J’ARRÊTE, pour des raisons encore mal connues. Dans une quarantaine de pages, le Dr Arruda dresse un portrait complet de l’historique de la lutte contre le tabagisme au Québec et décrit les mesures prometteuses qui pourraient permettre de réduire le tabagisme des Québécois, incluant celui des 18 à 34 ans.

Des actions à venir

Au fil des années, des mesures et programmes ont touché plus spécifiquement les jeunes adultes, comme l’interdiction de fumer dans les bars, en 2006. Mentionnons aussi les campagnes De Facto, qui exposent depuis une quinzaine d’années la vérité sans filtre sur le tabac aux jeunes de 18 à 24 ans, ainsi que deux programmes de la Société canadienne du cancer (voir l’encadré). De plus, une mesure de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, adoptée en 2015, concerne plus spécifiquement cette population : l’obligation des établissements d’enseignement supérieur (et des établissements de santé) de se doter d’une politique d’environnement sans fumée avant le 26 novembre 2017. Aujourd’hui, le milieu de la santé se mobilise plus vigoureusement contre le tabagisme de ces jeunes. Le rapport du directeur national de santé publique identifie plusieurs actions possibles à ce propos. Mentionnons :

  • hausser la taxe sur les produits du tabac
  • adopter l’emballage neutre
  • interdire les déclinaisons de marques
  • hausser de 18 à 21 ans l’âge légal minimal pour acheter un produit du tabac
  • diminuer le nombre de points de vente des produits du tabac, par exemple en imposant une distance minimale entre eux ou en les interdisant dans certains quartiers
  • établir une veille sur l’usage du tabac dans les jeux vidéo

Enfin, le Dr Arruda estime indispensable de recueillir « des données précises et en quantité suffisante sur les jeunes adultes qui permettront notamment de mieux élaborer les interventions, de démontrer l’efficacité des actions posées [et] de mesurer les progrès accomplis. » Parmi les données à récolter, mentionnons une cartographie québécoise des points de vente des produits du tabac ainsi qu’une recension des stratégies de mise en marché de l’industrie du tabac. De plus, l’Institut national de santé publique du Québec publiera à l’automne 2018 une synthèse des connaissances sur les méthodes en cessation tabagique les plus prometteuses pour les 18-34 ans. Histoire de bien aligner les efforts dès le départ.

Deux programmes de la Société canadienne du cancer

Grâce à un financement du ministère de la Santé et des Services sociaux, deux programmes de lutte contre le tabagisme de la Société canadienne du cancer (SCC) s’adressent plus spécifiquement aux jeunes adultes. Le Service de messagerie texte pour arrêter le tabac (SMAT) offert aux 18-34 ans depuis 2012 est l’un d’eux. « Bien que le SMAT soit accessible à tous, les moins de 35 ans représentent presque 50 % de sa clientèle, mentionne Dominique Claveau, directrice adjointe du Service de prévention de la SCC. Ce service, sous forme de textos, conviendrait mieux au mode de vie actif des jeunes tandis que nos campagnes de promotion les joignent là où ils sont : sur les médias sociaux. »

Dès novembre 2017, la SCC coordonnera aussi une tournée d’événements destinés aux 18-24 ans, le Nico-Bar. Cette initiative va permettre d’aller à la rencontre de ceux qui sont inscrits dans les centres de formation professionnelle et les centres d’éducation aux adultes. L’idée? « Les attirer avec un univers qu’ils connaissent bien – les bars – puis, sans tomber dans un discours moralisateur, les informer avec humour de la toxicité du tabac », explique Bianca Bourdeau, chargée de projet de la campagne. Le Nico-Bar permet aussi aux jeunes de voir, grâce à un logiciel spécialisé, les effets du tabac sur le vieillissement prématuré de leur visage. « C’est un argument de taille pour les jeunes adultes qui sont habituellement très soucieux de leur apparence », dit Mme Bourdeau. Parce que toutes les raisons sont bonnes pour cesser de fumer!

Anick Labelle