L’industrie exagère l’ampleur des vols de cigarettes

« Un autre vol de produits du tabac prouve, une fois de plus, que les taxes élevées entraînent une hausse de la criminalité », titrait un communiqué d’Imperial Tobacco Canada (ITC), émis début août. Au cours de la dernière année, une dizaine d’avis semblables ont été diffusés par le principal fabricant de cigarettes au pays afin de mettre en cause les taxes sur le tabac. Une fois reprises par les médias, ces nouvelles ajoutent une certaine touche de crédibilité à un phénomène dont l’ampleur est relativement minime.

Interrogé par Info-tabac, l’analyste de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) à Ottawa, Francis Thompson, fait le point sur les vols de cigarettes.

Pourquoi l’industrie s’oppose-t-elle aux taxes? « Les taxes sur le tabac font mal à l’industrie, explique M. Thompson, parce qu’elles contribuent à maintenir le prix des cigarettes élevé, ce qui dissuade les jeunes de commencer à fumer. Or, on le sait, l’industrie du tabac a constamment besoin d’une jeune relève pour remplacer les fumeurs morts et ceux qui ont cessé de fumer. C’est primordial à sa survie. »

De plus, pour une des premières fois de son histoire, Imperial Tobacco enregistre cette année une baisse de ses profits, ce qui la motiverait, selon M. Thompson, à faire davantage pression sur les gouvernements afin qu’ils diminuent les taxes, ou, à tout le moins, qu’ils ne les augmentent pas.

Des vols plus médiatisés que nombreux

Chaque année, les vols de cargaisons de toutes sortes sont estimés à un milliard de dollars par l’industrie canadienne du camionnage. Imperial Tobacco, qui fabrique plus de la moitié des cigarettes vendues au pays, a rapporté des vols totalisant 6,6 millions $, depuis août 2003. « Même si nous doublions ce montant de façon à y inclure les vols enregistrés par les autres compagnies de tabac, cela ne représenterait que 1,3 % de tous les vols de cargaisons (tous produits confondus) qui ont eu lieu », souligne l’analyste de l’ADNF.

Depuis octobre 2002, 25,4 millions de cigarettes (l’équivalent de 127 000 cartouches de 200 unités) ont été déclarées volées par ITC. « Cela peut sembler impressionnant, jusqu’à ce que vous réalisiez que ça représente moins de 0,1 % de la consommation annuelle au Canada, précise M. Thompson. Nous sommes très loin des milliards de cigarettes qui sont passées en contrebande dans les années 1990. »

Le prix, de même que la facilité de vol et de revente d’un produit, sont les trois principaux facteurs qui influencent les voleurs à s’emparer ou non d’un bien, d’après Francis Thompson. Puisqu’il est inconcevable de diminuer le prix des cigarettes pour des raisons de santé publique, ce dernier suggère plutôt de s’attarder aux réseaux de vol et de revente.

Mesures de sécurité déficientes

Par leur faible poids et le peu d’espace nécessaire pour les dissimuler, les paquets de cigarettes constituent une cible de choix. Plutôt que de publiciser les vols de cigarettes, les compagnies de tabac devraient investir dans des systèmes antivol, comme le font entre autres, les manufacturiers d’automobiles ou de vêtements.

Actuellement, il est pratiquement impossible de distinguer un paquet illicite d’un autre acquis légalement. Si les vols de cigarettes nuisent vraiment aux fabricants de tabac, pourquoi ne se dotent-ils pas de systèmes de marquage qui leur permettraient de retracer les différentes étapes franchies par leurs produits, se demande l’ADNF.

L’Ontario s’attaque à la contrebande

En Ontario, où les saisies de tabac de contrebande ont augmenté de 40 % cette année, le gouvernement est déterminé à s’attaquer au marché noir. Il s’apprête d’ailleurs à modifier le système de marquage du tabac afin de faciliter la détection des produits illégaux. En ce qui concerne les taxes, le ministre des Finances, Greg Sorbora, souhaite atteindre le plus rapidement possible la moyenne nationale en tenant compte du fait que des taxes élevées s’accompagnent d’une plus grande exposition potentielle à la contrebande. Dans cette province, la cartouche de 200 unités coûte environ 2$ de plus qu’au Québec, qui détient toujours le record des cigarettes les moins chères au pays.

 Josée Hamelin